Sophie Fillières pratique depuis plusieurs décennies, mais malheureusement à dose homéopathique, comme beaucoup de réalisatrices, un cinéma au féminin singulier et pluriel aigu et original, d’un comique discret qui nait d’une observation fine de sa génération. On peut citer Des filles et des chiens (CM, 1991), Grande petite (1994), Aïe (2000), Gentille (2005), Un chat un chat (2009), Arrête ou je continue (2014).
Avec La Belle et la belle, Sophie Fillières invente un dispositif « fantastique » simple et plein d’humour : Margaux, 45 ans (Sandrine Kiberlain) rencontre Margaux, 25 ans (Agathe Bonitzer) dont elle s’aperçoit qu’il s’agit d’elle-même à vingt ans d’écart. La ressemblance physique entre les deux actrices est suffisante pour qu’on se laisse prendre, sans pour autant être dupe. La réalisatrice a eu la bonne idée de nous épargner le double rôle pour une même actrice, avec tout ce que ça suppose de maquillages plus ou moins réussis…
L’intérêt « philosophique » de cette rencontre qui s’avère pleine d’empathie est de permettre à la plus jeune de s’interroger sur ses choix d’objet (l’histoire concerne essentiellement les rencontres amoureuses, et l’on peut regretter que les questions professionnelles restent périphériques…) mais surtout pour la plus âgée de réfléchir sur les choix qu’elle a faits au cours de sa vie. La permissivité sexuelle contemporaine, en tout cas dans les milieux urbains cultivés (Sandrine Kiberlain est prof d’histoire-géo dans le secondaire en congé sabbatique, Agathe Bonitzer abandonne son master après avoir couché avec son prof) est montrée sans jugement moral mais sans complaisance : la jeune Margaux se vante de coucher dès le premier soir, sans qu’on puisse voir si ça lui apporte une quelconque satisfaction. Quant à la Margaux d’âge mûr, on sent qu’elle est dans une phase suspensive après des expériences douloureuses : sa rencontre avec elle-même lui permettra d’avancer.
Le récit ne se laisse pas piéger par l’argument assez classique dans ce genre d’histoire, où la plus âgée tente (en vain) d’empêcher la plus jeune de faire ce qu’elle estime des erreurs.
Elles rencontrent l’une et l’autre l’homme avec qui Margaux a vécu pendant neuf ans (Melvil Poupaud) mais là aussi, le film évite l’écueil du « couple incestueux », où l’homme d’âge mûr tomberait amoureux d’une version plus jeune de la femme qu’il a aimée autrefois.
Mais le plus intéressant dans le film est sans doute la façon dont les deux femmes s’aident mutuellement à avancer, en évacuant le troisième écueil, celui de la rivalité entre deux femmes à propos d’un homme.
Elles sont toutes les deux très belles, dans un genre de beauté non conventionnel, très convaincantes et filmées avec beaucoup d’empathie, sans que le regard de la caméra ait quoique ce soit de voyeur. Ça nous change !