Ce film indépendant dont le budget est relativement modeste (40 millions de $) au regard de sa longueur et de la diversité des décors naturels qu’il utilise, réactive un genre tombé en désuétude, le western, pour revenir sur la politique américaine vis-à-vis des Indiens, sujet central du genre s’il en fut.
Il le fait avec une certaine rigueur (les Cheyennes parlent cheyenne, ainsi que l’acteur principal qui joue le capitaine Bloker) et la traversée du territoire américain du Sud au Nord, du Nouveau Mexique au Montana, donne lieu à une diversité de paysages impressionnante. Et surtout, le film raconte un moment précisément daté de l’histoire de la conquête du territoire états-unien, quand le président Harrison (en fonction de 1888 à 1893) décide de faire un geste en direction des Indiens, en autorisant le retour dans ses terres du Montana d’un vieux chef cheyenne mourant, incarcéré avec sa famille depuis des années dans un fort du Nouveau Mexique. Le capitaine Bloker qui a conquis ses titres de gloire dans les épisodes les plus célèbres de la guerre d’extermination contre les Indiens, est chargé, contraint et forcé, d’exécuter l’ordre présidentiel, avant de prendre sa retraite.
La petite troupe composée de quelques soldats, dont un caporal noir, pour encadrer la famille indienne, va très vite traverser le lieu d’un massacre que nous avons vu en pré-générique, celui d’une famille de fermiers par des Indiens comanches, auquel seule a survécu la mère. Après avoir enterré le père et les trois enfants, la troupe repart avec la mère que le capitaine Bloker et toute la troupe vont tenter de protéger ; les Comanches en question ne tardent pas à les attaquer, et les Cheyennes ayant fait la preuve de leur loyauté et de leur courage, le capitaine accepte de libérer de leurs chaînes les deux hommes (le père et le fils), pour qu’ils puissent être plus efficaces contre les Comanches, ce dont ils vont bientôt faire la démonstration.
Une première étape s’achève dans un fort dont le capitaine repart avec un autre prisonnier, un officier qui doit être jugé pour avoir massacré une famille indienne. Lequel se révèle être un ancien compagnon d’armes de Bloker, qui plaide sa cause auprès de lui, en lui rappelant que le massacre des familles indiennes a longtemps été leur mission principale, mais Bloker lui rappelle que les ordres ont changé : les militaires se contentent désormais de les incarcérer ou de les déporter dans des réserves. L’officier félon va réussir à s’échapper avant d’être repris et tué par un des officiers de la troupe.
L’intérêt du film (en tout cas de sa première partie) est de rappeler cette guerre d’extermination qui est le ciment de la nation américaine, et que la politique de « clémence » n’advient qu’une fois que les Indiens ont été décimés.
Le personnage du capitaine sur lequel le récit se focalise (la performance de Christian Bale est remarquable) pose néanmoins quelques problèmes : il est construit au début comme une incarnation de la masculinité hégémonique la plus brutale et la plus butée, bien que sa lecture de La Guerre des Gaules dans le texte latin suggère déjà aux spectateurs avertis que nous sommes, que nous n’avons pas affaire à un soudard ordinaire…
Sa brutalité vis-à-vis des Indiens (il fait enchaîner les deux hommes sur leurs chevaux, dès que le fort n’est plus en vue), est très vite « compensée » par son extrême délicatesse à l’égard de la femme qu’il recueille, et plus tard par ses démonstrations d’amitié vis-à-vis du sous-officier noir blessé qu’il doit laisser à l’infirmerie du fort où ils ont fait étape. Le film propose ainsi une représentation finalement flatteuse de la masculinité hégémonique : certes il hait les Indiens, mais c’est le résultat de la guerre d’extermination qu’on lui a ordonnée de mener pendant des années, et par ailleurs il a toutes les qualités d’un grand chef et d’un homme, un vrai : chevaleresque avec les femmes et capable d’apprécier les qualités humaines d’un Noir au-delà des préjugés racistes.
Cette réhabilitation de la « bonne » masculinité va devenir le propos principal de toute la seconde partie, aux dépens de la vraisemblance : progressivement, au cours du voyage et des épreuves, son comportement avec les Cheyennes dont il a la garde change, et il finit par être leur défenseur contre les colons blancs qui veulent empêcher les Indiens d’enterrer leur chef dans leur terre ancestrale, sous prétexte qu’ils ont pris possession de cette terre, et malgré l’ordre présidentiel. Ils en viennent à s’entretuer : seuls survivent opportunément le capitaine, la femme (qui entretemps lui a manifesté son amour) et l’enfant indien…
L’épilogue interminable est d’une invraisemblance totale, comme si à cette époque, une femme blanche pouvait adopter sans coup férir un jeune garçon indien… La figure féminine n’a aucune consistance : elle n’a pas d’autre fonction que de figurer d’une part la vulnérabilité des victimes blanches de la barbarie indienne, dans la plus pure tradition du western (à quoi s’ajoute ici pour faire bonne mesure la brutalité des trappeurs), puis elle est systématiquement instrumentalisée pour mettre en avant les qualités « humaines » du capitaine.
Comment comprendre les faiblesses de ce film, par ailleurs plein de bonnes intentions ? C’est comme si le réalisateur (qui est aussi l’auteur du scénario) avait eu deux projets contradictoires : rappeler aux Etats-Uniens la faute originelle de leur construction nationale, l’extermination des Indiens, mais en même temps, ce qui est totalement contradictoire, remplacer la vérité par la légende d’une nation qui aurait ensuite accepté l’intégration de toutes ses composantes, blanches, indiennes et noires…
Polémiquons.
1. Hostiles, 29 juin 2018, 19:33, par Jane
Bonjour,
Merci pour ce billet sur un film que j’ai trouvé assez insupportable notamment pour ce que vous dîtes, très justement, sur la représentation de la masculinité hégémonique du héros.
Mais il me semble que si ce film se veut « progressiste » et confronter l’histoire du génocide sur lequel s’est construite l’ Amérique il n’est pas si « contradictoire » que ça si on le resitue dans l’histoire du western, genre qu’il « réactive » comme vous l’écrivez. Ou alors ses contradictions sont typiques du genre.
Je crois qu’il est tout à fait dans la lignée d’autres western qui parviennent à la fois à condamner la violence des politiques de déplacement et d’extermination des « Native-Americans » et à dédouaner l’Amérique dans le même mouvement en centrant le regard et la narration autour de quelques figures de ’bons’ qui sauvent l’affaire : y’a le bon général qui fait confiance en son capitaine et sait qu’au fond il connaît bien les Cheyennes et qu’il saura accomplir sa mission et surmonter sa haine (et c’est effectivement ce qui se passe), et puis il y a les bons et les méchants Indiens - et des bons Indiens (les Cheyennes) qui sont d’autant plus bons qu’ils savent dire eux-mêmes qu’il y en a des « sauvages » (les Commanches) et se chargent de les tuer de leur propre initiative.
Et comme vous dîtes : le film réactive le bon gros vieux mythe et gros trope cinématographique du « Vanishing Indian » - « l’Indien » qui n’est bon et ne vaut d’être pleuré et regretté que parce qu’il va mourir et son peuple disparaître. C’est susceptible de plaire du coup à tout le monde : ceux et celles qui regrettent pas trop, et ceux et celles qui regrettent, y’a à manger pour tout le monde. Idéologiquement, c’est safe.
Car le Chef Indien est d’entrée de jeu montré comme tel : mourant d’un cancer dans sa cellule.
(D’ailleurs, ce diagnostique m’a paru un peu anachronique en contexte, mais bon je ne sais pas...)
La clémence a son égard (et la sympathie qu’il est censé suscité chez le/a spectateur/trice) vient essentiellement de ça, pas de la violence du traitement que lui, sa famille et son peuple ont subi du fait de la colonisation.
C’est parce qu’il est malade que les rappels du héros sur sa cruauté extrême (passée) n’ont pas d’effet. C’est « juste » un vieux monsieur malade, et donc clairement inoffensif, qui veut aller mourir sur sa terre avec sa famille.
A bien des égards, ce film m’a rappelé le film de Ford Cheyenne Autumn (1968), qu’on qualifie généralement de « révisionniste » (au sens américain, c’est à dire revisitant le mythe de la conquête de façon « critique ») – et surtout pour ce que vous dîtes du rôle de la femme très blanche et très blonde. Il y a une pareille adoption à la fin de Cheyenne Autumn avec l’institutrice Quaker et le capitaine qu’elle a réussi à « humaniser ».
Le fait qu’elle adopte l’enfant – seul survivant de cette famille Cheyenne – et l’élèvera avec le gars renvoie aussi à une réalité historique sordide : celle de la politique d’adoption forcée d’enfants amérindiens pour les acculturer - prolongement de l’effort d’exterminer, après les politiques et opérations militaires de déplacements, de confiscation des terres et de massacres.
Oui, pendant des décennies, le gouvernement américain a mis en place des programmes de placements d’enfants pour les « civiliser » dans des familles blanches. Et en fait, ça continue
https://www.npr.org/2011/10/25/141672992/native-foster-care-lost-children-shattered-families
C’est pour ça que j’étais assez écoeurée à la fin du film, de voir cet enfant, déjà habillé en costume, et prenant le train (symbole récurrent dans les westerns, très souvent associé au progrès et à l’avancée de la civilisation).
Je suppose qu’on est supposé trouver ça trop mignon quand le gars rejoint finalement la femme et l’enfant en sautant à l’arrière du train, et voir en cette « famille recomposée » une métaphore de l’ Amérique « hybride », mais, personnellement, ça m’a glacé le sang.
Bien à vous,
Jane