pour une critique féministe des productions audiovisuelles

♀ le genre & l’écran ♂


Accueil > Archives > Année 2018 > Guy

Alex Lutz / 2018

Guy


>> Ginette Vincendeau / lundi 24 septembre 2018


avec Alex Lutz, Pascale Arbillot, Nicole Calfan, Dani, Elodie Bouchez, Brigitte Roüan


Guy est un faux documentaire – ou « documenteur » (pour reprendre le titre d’un film d’Agnès Varda de 1981) – qui retrace la vie et la carrière d’un chanteur pop imaginaire des années 1970, Guy Jamet, interprété par le réalisateur du film, Alex Lutz.

Tout ce que nous voyons passe par la caméra d’un jeune cinéaste, Gauthier (Tom Dingler), qui vient d’apprendre de sa mère qu’il est le fils de Guy (fait sur lequel il doit garder le secret), complété par ses souvenirs de sa mère et par les « documents » d’époque qu’il ajoute, comme dans un vrai documentaire.

Si on entend assez souvent la voix de Gauthier dans le dialogue qu’il a avec son supposé père, on ne le voit qu’à la fin quand Guy lui prend la caméra pour le filmer, dans une complicité qui « entérine » tacitement leur lien. Guy recrée toute une époque à l’aide de flashbacks, scopitones, tenues vintage et couvertures d’albums plus vrais que nature (bien que le personnage soit apparemment inspiré de plusieurs chanteurs, la minceur et les cheveux blonds de Lutz évoquent irrésistiblement Claude François). Et surtout, Alex Lutz se vieillit de quarante ans grâce à un maquillage qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. Pas une critique, pas une promotion télévisée ou interview dans la presse qui ne mentionne les 3 heures (ou 4, ou 5, selon les versions) quotidiennes qui furent nécessaires pour que le juvénile quadra devienne cet homme âgé et pas en très grande forme (il a eu un AVC), qui néanmoins se produit toujours vaillamment en scène et déplace encore les foules. Il faut dire que le maquillage est impressionnant, comme l’est la performance, d’acteur et de chanteur, de Lutz.

Comédien et metteur-en-scène de théâtre, Alex Lutz s’est fait connaître du grand public par des petits rôles au cinéma et surtout, depuis 2012, par ses sketches comiques sur Canal+ avec Bruno Sanches, Catherine et Liliane. Les deux hommes y sont travestis en secrétaires qui commentent l’actualité sur un mode frivole. Pour citer la fiche Wikipédia, « leurs personnages caricaturent les femmes de 40-50 ans au travail avec les clichés qui s’imposent : le bureau rempli de babioles et souvenirs de voyages (poupées russes et autres tour Eiffel), le PC portable mi-ouvert, la critique de leurs collègues de travail ou des célébrités de la presse people. » Plutôt que « clichés qui s’imposent » il serait plus exact de dire : « avec le sexisme auquel l’humour Canal+ nous a habituées ». Les deux hommes interprètent leurs personnages féminins avec de grands effets de perruque (blonde pour Lutz, brune pour Sanches), robes et bijoux bariolés, colifichets et voix efféminées. Rires (jaunes) garantis. Guy est infiniment plus subtil mais le film retient le déguisement et la performance comme éléments majeurs de mise en scène. Et Lutz s’en sert non pour caricaturer les femmes mais pour les marginaliser.

Dans ce film « dédié aux pères », le récit démarre donc sous le prétexte qu’un jeune homme, Gauthier, apprend de sa mère (interprétée par la réalisatrice Brigitte Roüan), fan de Guy Jamet dans sa jeunesse, que celui-ci est son père. Elle lui fait cette confidence peu avant de mourir. Gauthier décide de tourner un documentaire sur Jamet, alors qu’il trouvait auparavant sa musique ringarde. Il n’avouera jamais explicitement au chanteur qu’il est son fils mais les deux hommes, méfiants l’un envers l’autre, vont peu à peu se comprendre et s’apprécier. Encore une histoire, donc, où il faut qu’une femme meure pour que des hommes se retrouvent et se réalisent ; on ne voit la pauvre Brigitte Roüan que quelques minutes.

En tant que faux biopic d’un chanteur, Guy reproduit les rapports de domination homme-femme que l’on sait ou devine dans ce milieu, mais sans aucune distance. Si Guy Jamet est montré comme un être humain dans toute sa complexité – il a des angoisses (vieillir, être malade, se ringardiser), il réfléchit sur la vie, la mort, la musique, les chevaux – les femmes n’existent autour de lui que comme accessoires. Elles le servent sur le plan professionnel, que ce soient ses choristes actuelles, ses anciennes partenaires interprétées par Marina Hands et Elodie Bouchez dans les scopitones et à la télévision, ou son attachée de presse (Nicole Calfan). Elles le servent aussi sur le plan sexuel, dans le passé comme dans le présent (lors d’un dîner post-concert, il drague l’organisatrice et la ramène dans sa chambre).

Deux personnages féminins montrent particulièrement bien cette complaisance vis-à-vis de la domination masculine. Sophie (Pascale Arbillot), la compagne actuelle de Guy, est beaucoup plus jeune que lui, naturellement, et elle est définie par Guy auprès de Gauthier par la beauté de son postérieur. Actrice dans une série télévisée dont on voit un court extrait, elle est associée à un genre méprisé. De plus on ne la voit jamais travailler, mais uniquement comme compagne dévouée du chanteur. Même devant son comportement grossier, elle hurle mais continue à le servir. Cerise sur le gâteau, lorsque Gauthier l’interroge pour son documentaire sur Guy, elle déclare sa passion pour l’astrologie canine – Catherine et Liliane ne sont pas loin !

L’autre personnage féminin notable est Anne-Marie, incarnée par la chanteuse Dani, qui vient ré-enregistrer avec Guy, le duo qui les a rendus célèbres, accompagnés au piano par Julien Clerc. Ancienne compagne et partenaire musicale du chanteur (et mère de leur fils « officiel »), dont Elodie Bouchez interprète la version jeune, elle ne fait que passer. La scène suggère que ses rapports avec Guy sont tendus et qu’elle contrôle leur fils – traduisons, c’est elle qui s’en est occupée. Mais Dani fait aussi office de faire-valoir de Guy face au vieillissement. Elle est doublement remplacée dans le récit par une femme plus jeune, le personnage de Sophie d’une part et l’actrice Elodie Bouchez d’autre part. Le physique de Dani, tristement déformé par la chirurgie esthétique, sert de repoussoir au vieillissement plus flatteur de Guy/Lutz. Son visage boursoufflé et la brièveté de son passage dans le film suggère son statut de « has been », alors que Guy se produit toujours en scène et passe à la télévision (dans l’émission célébrissime de Michel Drucker), et cela bloque l’empathie que le spectateur pourrait éprouver pour elle.

En revanche, le long cheminement du récit qui, à travers la caméra bienveillante de Gauthier, suit le chanteur, dans sa vie privée et professionnelle, nous conduit à comprendre et apprécier Guy, dans ses succès comme dans ses échecs, dans ses excès comme dans ses faiblesses. Comme Gérard Depardieu dans Quand j’étais chanteur (Xavier Giannoli, 2006), Alex Lutz réussit – presque ! – à rendre touchant un macho ringard, en nous montrant à quel point il est plus complexe, plus intéressant et même plus beau que les femmes qui l’entourent.


>> générique


Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.