Un premier long métrage présenté dans la section « un certain regard » au festival de Cannes 2018 et Marion Cotillard en tête de distribution, voilà qui devrait donner un sérieux coup de pouce à la jeune réalisatrice Vanessa Filho. Hélas, malgré cette affiche alléchante et la superbe performance de la petite Ayline Aksoy-Etaix dans le rôle-titre, on ressort de Gueule d’ange accablée par le propos du film sur la maternité et son mépris social.
Cotillard interprète Marlène, une jeune mère célibataire paumée qui vit dans le Midi avec sa fille Ellie, dont elle est visiblement incapable de s’occuper. La première séquence donne le ton, à la fois sur le plan stylistique (gros plans claustrophobes et vacillants qui insistent sur les visages) et sur ce qui nous attend. Marlène se marie et sa copine la maquille – à la truelle : fond de teint épais, paupières bleu fluo, lèvres écarlates, le tout accompagné de cheveux décolorés d’un blond jaunâtre. Marlène boit, fume, parle et chante vulgairement, puis « baise » dans l’arrière-cuisine du restaurant avec un des invités – tout ceci sous le regard implacable de sa fille, âgée de huit ans. Exit l’éphémère mari et s’enclenche le thème du film : les rapports supposément fusionnels entre la mère alcoolique et sa fille qui lui voue une adoration sans faille, malgré ses abandons à répétition pour aller « s’éclater ». Le lendemain du mariage calamiteux, une scène montre bien la vision sociale du film. Marlène regarde une émission de télé-réalité du type Les vraies housewives (à en juger par le dialogue), avachie sur son canapé et tellement prise par le spectacle qu’elle envoie promener sa fille et la somme d’aller se chercher quelque chose à manger.
On a compris : une femme au capital culturel si bas, et avec un prénom comme Marlène, ne peut qu’être une mauvaise mère. Le film, lui, signale sa distance par rapport à ce milieu, non seulement par son casting de luxe, mais aussi par la musique. Les premières images nous font entendre une belle mélodie au violoncelle. La fin, qui réitère lourdement le thème de l’amour mère-fille, est accompagnée de la chanson « Sans toi » de Michel Legrand et Agnès Varda du film Cléo de 5 à 7 (1962). Mais dans le film de Varda, Cléo (Corinne Marchand) rejette la chanson en raison de sa morbidité et s’émancipe à partir de ce moment-là. Ici, par contre, la même chanson renforce une conception de la féminité essentialiste, voire réactionnaire – cet amour mère-fille sensé être si fort est apparemment dépourvu du minimum de lucidité ou de souci de l’autre. On mesure le chemin parcouru depuis 1962, et pas dans le bon sens.
Certain.e.s objecteront que les mauvaises mères existent et les bons pères aussi. C’est vrai, mais le film charge la barque en présentant, face à la mère irresponsable, un beau jeune homme marginal, Julio (Alban Lenoir), en sauveur – lui aussi à répétition – de la petite. Là où contre toute vraisemblance, ni l’école, ni les voisins, ni les services sociaux, ne se manifestent face à l’abandon affectif et matériel dans lequel vit la fillette (qui se met à boire de l’alcool pour imiter sa mère), c’est un homme du voyage qui la protège, au risque de sa propre vie. Produit d’un certain type de cinéma d’auteur français qui veut éviter à tout prix le film social, Gueule d’ange se présente comme poétique, contournant ainsi l’obligation d’un minimum de réalisme. Cependant les quelques envolées lyriques du film n’atténuent pas le côté extrêmement répétitif du récit. Marlène aime sa fille, l’abandonne, la retrouve, et ainsi de suite. Marion Cotillard reprend ici le registre mélodramatique de Deux jours, une nuit des frères Dardenne (2014), avec en plus des cris et des larmes, mais on ne peut lui imputer les excès de Marlène.
En dépit de sa présence glamour, et du formidable naturel de la petite Ayline Aksoy-Etaix, le manque de crédibilité du film fait que le regard d’Ellie sur les adultes n’a aucune portée et au lieu d’être poignant et/ou instructif, Gueule d’ange génère un mélange désagréable d’ennui et de malaise.