Ce film intensément actuel, dont la réussite tient à son immersion dans le monde du travail, sans aucune échappée (pas de romance, y compris sur le lieu de travail), parvient à associer sans aucune fausse note un acteur chevronné, Vincent Lindon, et tout un éventail de non professionnels, dont l’accent de certains témoigne qu’ils ont été recrutés sur place à Agen, là où l’action est censée se passer. Tous les non professionnels portent d’ailleurs leur nom dans le film.
Beaucoup d’hommes, tant du côté des ouvriers de cette usine de sous-traitance de l’industrie automobile, que du côté des cols blancs : cadres et patrons locaux, parisiens et allemands, conseiller de l’Élysée, représentants du MEDEF, etc. Les femmes ne sont pas absentes, mais, à part la représentante de FO qui fait alliance avec Vincent Lindon, le représentant de la CGT dans l’usine, elles ont plutôt un rôle de supplétives.
L’aspect le plus intéressant du point de vue du genre, est l’opposition entre un type de masculinité ouvrière et un type de masculinité technocratique, autrement dit l’articulation du genre et de la classe. Ce sont les technocrates qui incarnent la masculinité hégémonique, celle qui détient le pouvoir, ne se départit jamais d’un langage châtié, ne perd jamais son calme et fait bloc. La retenue du comportement, l’uniforme costume cravate (décliné en tailleur sombre pour les femmes), caractérisent aussi bien le patronat que les représentants du pouvoir politique. Au-delà de leurs discours, ce sont leurs comportements parfaitement maîtrisés qui trahissent leur appartenance à la même classe sociale, celle des dominants.
Du côté des ouvriers, on est dans une forme de masculinité dominée, où les affects sont constamment à fleur de peau, où la violence physique éclate face à l’impuissance à faire valoir ses droits, ce qui va systématiquement se retourner contre eux. Ils crient beaucoup (les responsables syndicaux ont du mal à se faire entendre), s’engueulent entre eux, s’insultent et en viennent aux mains facilement, et ils sont constamment renvoyés, à travers les reportages télévisés dont leur lutte est l’objet, à l’image dévalorisante que donnent d’eux les médias. Vincent Lindon, qui incarnait un chômeur taiseux dans le film précédent de Stéphane Brizé, La loi du marché (2015), est tout aussi crédible ici en syndicaliste totalement investi dans sa mission, jusqu’au dérapage final.
On a rarement aussi bien montré le rouleau compresseur du capitalisme mondialisé, où toutes les décisions sont renvoyées à un seul responsable parfaitement abstrait : le marché, ce qui permet aux patrons qui délocalisent pour augmenter les dividendes qu’ils versent à leurs actionnaires, de se défausser sur un mécanisme qui les dépasse.
Le réalisateur introduit de temps en temps par la musique et le montage une frénésie inutile, comme s’il craignait que l’histoire qu’il raconte lasse le spectateur, ce qui n’est pas le cas. Et le suicide par le feu qui clôt le film est discutable, dans la mesure où le vrai drame que vivent les ouvrier·e·s régulièrement victimes de licenciement boursier en France, c’est d’avoir à continuer à vivre dans le dénuement et l’abandon. De plus, de façon tout à fait invraisemblable, le reportage sur le suicide annonce l’annulation des licenciements et la reprise des négociations. Dans le monde réel, cela n’arrive pas…
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