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Eva Trobisch / 2019

Comme si de rien n’était


>> Geneviève sellier / lundi 29 avril 2019


Décidément, l’effet #MeToo traverse les frontières : sont sortis quasi simultanément sur les écrans français, le film israélien Working Woman sur le harcèlement sexuel au travail et le film allemand Comme si de rien n’était sur les effets destructeurs d’un viol « ordinaire » à l’issue d’une soirée trop arrosée. Ces deux films sont l’œuvre d’une réalisatrice et cela se voit : non seulement le point de vue du personnage féminin structure complètement le film, mais on retrouve des observations très fines sur la façon dont les femmes ont tendance à « prendre sur elles » ce qu’elles subissent pour « ne pas faire d’histoire ».

Le film d’Eva Trobisch et la performance d’Aenne Schwartz ont été multi-récompensés (Festivals de Locarno, Angers, Munich, Stockholm, Thessalonique, Marrakech, Macao), et on comprend pourquoi : le jeu de l’actrice est d’une grande subtilité, elle occupe quasiment tous les plans et le plus souvent la caméra la cadre à hauteur de visage. Elle a un physique tout à fait ordinaire, ce qui favorise l’identification.

Janne travaille dans l’édition indépendante avec son compagnon Piet, mais le départ d’un auteur au moment où il connaît le succès, provoque la faillite de leur petite entreprise. Piet décide de déménager à la campagne où il a trouvé une maison à retaper, mais Janne rencontre un ami éditeur qui lui propose de remplacer sa secrétaire de direction en congé de maternité. Lors d’une soirée trop arrosée, elle sympathise avec un homme à qui elle donne l’hospitalité, mais il la viole, profitant de leur ébriété, et s’en va. Le lendemain, malgré la trace sur son visage du coup qu’elle a pris en tentant de se défendre, elle va à son rendez-vous « comme si de rien n’était » ; elle accepte le job qui implique qu’elle reste en ville, ce à quoi son compagnon réagit violemment, en disparaissant plusieurs jours. On comprend peu à peu qu’elle gère à la fois son tempérament colérique et ses échecs professionnels.

Mais dans ce nouveau travail, elle est amenée à croiser l’homme qui l’a violée et qui ne sait que manifester son embarras. D’abord froidement ironique, Janne finit par le clouer au pilori par des paroles cinglantes qui tournent en dérision son incapacité à assumer ce qu’il a fait.

Entre la tension provoquée par la présence de son violeur au bureau, l’hostilité de son compagnon à sa décision de travailler et la découverte qu’elle fait qu’elle est enceinte (sans doute de son violeur), elle finit par craquer, toute seule dans sa cuisine, et c’est sa mère qui vient la réconforter silencieusement, en lui faisant à dîner. Mais même à elle, elle refuse de dire ce qu’elle a subi.

Le film dépeint par le menu les effets de la domination masculine sur une jeune femme « moderne » dont on attend qu’elle « ne fasse pas d’histoires », qu’elle « prenne sur elle ». Cette domination masculine se manifeste dans le quotidien, dans la vie de couple où c’est toujours la femme qui « ramasse les pots cassés » et tente de soigner les blessures narcissiques de son compagnon (elle, bien entendu, elle s’adapte) ; mais la domination masculine se manifeste aussi, « à l’occasion », par un viol lors d’une soirée trop arrosée. Et là encore (ce que confirment toutes les enquêtes), quand il est commis par une personne connue dans un environnement amical, les femmes ont tendance à « prendre sur elles », et même à culpabiliser pour peu que leur vigilance ait été atténuée par l’alcool…

La force de ce film est de dépeindre par le menu les manifestations de la domination masculine « en pays civilisé ». Pas vraiment rassurant !


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