Voilà un film qui s’intéresse aux personnes, de plus en plus nombreuses en France, qui vivent dans la précarité de façon stable, si l’on peut oser cet oxymoron…
Kad Merad a mis tout son poids économique et son talent d’acteur (qui s’est confirmé dans Baron noir, la série politique de Canal+) dans ce film qui raconte une histoire de père et de fils chez ceux qui n’ont rien. NI misérabiliste, ni rose bonbon, Comme des rois (le titre est une antiphrase évidemment) raconte le quotidien d’une famille où l’on n’a d’autres ressources que le travail au noir et les petites arnaques, comme les voisins qui s’appellent indifféremment Marek ou Mehdi, et pratiquent une solidarité de survie.
On y voit le cabanon d’un jardin ouvrier transformé en refuge éphémère, le trafic de métaux pratiqué par des pieds nickelés, les logements de banlieue d’une grande ville régis par des gros bras pour faire rentrer les loyers, et l’inépuisable bagou d’un père de famille qui fabrique des « grands crus bordelais » dans son garage pour les vendre à des femmes au foyer dans une banlieue pavillonnaire à peine moins impécunieuse. La réussite de ce film est de se maintenir sur le fil du rasoir entre la description sans complaisance d’une précarité devenue une condition, et l’empathie avec des personnages qui tentent d’oublier le souci constant de l’argent qui manque, par une imagination débordante et une affection inconditionnelle.
Le fil rouge de l’histoire est la relation entre Joseph le père (Kad Merad) et Micka son fils (Kacey Mottet Klein). Le premier tente d’inculquer au second les ficelles du métier de petit arnaqueur, en mettant au point des improvisations qui sont autant de scénettes hilarantes, pendant que le second rêve de devenir acteur, et présente avec l’aide de son copain Mehdi des scènes de Shakespeare et de Molière pour accéder au graal d’une école « d’acting », selon les termes utilisés sur Internet.
Il apparaît très vite aux spectateurs/trices que les qualités du premier sont de même nature que celles du second, sauf que le fils ne se sent pas de vocation pour l’arnaque, ayant sans doute été imprégné par l’école (?) de valeurs morales et culturelles étrangères à l’univers paternel de la débrouille.
Les relations entre le père et le fils sont contraintes par cette précarité qui est l’horizon indépassable du père, et que le fils rêve de fuir vers un métier tout aussi précaire, mais plus désirable et plus acceptable socialement, le théâtre. Mais chacun souffre de ne pouvoir répondre aux désirs de l’autre.
Tous deux incarnent deux variantes de masculinité dominée, le père compensant ses insuffisances comme « gagne-pain » par une affection chaleureuse qui s’adresse aussi bien aux membres (nombreux) de sa petite famille qu’à ses voisins et amis. Le fils exprime son malaise face au modèle paternel par son mutisme et son incapacité à s’insérer dans les scénarios paternels. Le réalisateur évite assez systématiquement les stéréotypes sociaux : les petits trafics sont autant le fait de « Blancs » franco-français que des représentants des différentes minorités qui vivent dans la même précarité.
On peut cependant regretter que les femmes soient un peu trop périphériques dans le récit : Micka rencontre une étudiante qui prétend être intéressée par la guitare qu’il essaie de vendre, pour l’emmener chez elle pour un « coup » d’une nuit. Le personnage actif ici est la jeune fille, mais le jeune homme, ravi de l’aubaine, ne s’en offusque pas, sans pour autant se faire d’illusion sur la suite…
Sylvie Testut est Valérie, la femme de Joseph et la mère de Micka, qui garde des enfants au noir et gère son petit monde avec une sérénité résignée, jusqu’au moment où ils sont vidés de leur appartement par les gros bras du propriétaire à qui Joseph vient juste de payer le retard de loyer. Toute la famille (la mère de Joseph incluse) se retrouve chez le compagnon de leur fille, laquelle va accoucher d’un deuxième enfant (le premier est visiblement d’un autre père). Tout ce petit monde supporte avec vaillance ces péripéties qui semblent relever de leur ordinaire. Seul Micka essaie de prendre la tangente, avec l’appui de sa mère et de sa sœur, mais le besoin d’argent pour payer l’inscription dans l’école de théâtre où il vient d’être accepté, l’amène à accepter un dernier « coup » avec son père… qui tourne mal évidemment.
L’épilogue est à l’image du film, ni misérabiliste ni rose : le fils joue devant une assistance captivée… de détenus parmi lesquels son père, qui exprime à mi-voix son admiration émue pour le talent de son fils.
Le cinéma français est suffisamment avare de films qui parlent sans démagogie ni condescendance des « pauvres » pour qu’on ne boude pas cette œuvre aussi modeste que réussie.