Depuis le 3 avril 2020, Netflix diffuse la quatrième saison de Casa de Papel. Cette série espagnole est devenue, depuis son rachat par la plateforme fin 2017, un phénomène international que signalent notamment son très grand nombre de vues et l’Emmy Award de la meilleure série dramatique qu’elle a remporté en 2018.
Dans cette quatrième saison, on retrouve l’équipe qui, au début de la série, avait mené l’audacieux braquage de la Fabrique nationale de la monnaie et du timbre (la Casa de Papel) à Madrid. Elle est désormais en plein braquage de la Banque d’Espagne. Certains des huit membres de l’équipe initiale manquent à l’appel, mais de nouveaux ont fait leur apparition. Au fil des saisons, on apprend à connaitre ces mystérieux/ses braqueur.ses, recruté.es et dirigé.es par le « Professeur » (Álvaro Morte), et qui se sont donnés pour pseudonymes des noms de villes. La quatrième saison reprend la recette qui a fait le succès de la série : mêler action, suspense et romances.
Les femmes et le Professeur
L’intrigue de Casa de Papel doit beaucoup à ses nombreux personnages de femmes, à commencer par celui de Silene Oliveira, dite « Tokyo » (Úrsula Corberó). Fortement inspirée par Matilda (Natalie Portman) dans Léon – jusque dans sa coupe de cheveux et le pendentif ras-du-cou qu’elle porte –, Tokyo assure la narration du récit. L’équipe compte également Agata Jimenez, dite « Nairobi » (Alba Flores), mais si la série fait la part belle aux femmes, c’est aussi grâce aux policières Raquel Murillo, surnommée ultérieurement « Lisbonne » (Itziar Ituño), et Alicia Sierra (Najwa Nimri).
Le casting de Casa de Papel assure une certaine diversité des femmes représentées. Si elles correspondent aux normes de beauté généralement requis dans les fictions audiovisuelles, elles ne sont pas toutes jeunes et l’une d’entre elles, Julia, dite « Manille », est une femme trans, incarnée par Belén Cuesta – une actrice cisgenre comme c’est malheureusement souvent la règle.
Mais c’est surtout sous l’angle de la maternité que les rôles féminins se distinguent de façon intéressante de ce que les « films de braquage » ou « de gangsters » donnent généralement à voir. En effet, Casa de Papel nous montre Alicia Sierra très enceinte, mais très peu maternelle, et Nairobi, qui a été une « mauvaise mère » en mêlant son jeune fils à ses activités de vente de stupéfiants, n’en est pas moins aimante et déterminée à se charger de son éducation.
Casa de Papel montre des femmes en armes, dont le recours à la violence inspire le respect des hommes, qui se défendent d’eux, aspirent à mener leur vie telle qu’elles l’entendent et lient des amitiés et parfois des alliances contre le sexisme des hommes.
Pourtant, toutes ces femmes ne sont que des pions dans le plan sophistiqué qu’a concocté le Professeur et dont personne d’autre que lui ne connait tous les aspects. Néanmoins, il les fait évader lorsqu’elles sont arrêtées, alors que dans le cinéma et les fictions télévisuelles, ce sont elles qui, le plus souvent, aident les hommes à s’évader. Que le Professeur fasse évader ses complices féminines plutôt qu’elles ne s’évadent d’elles-mêmes est révélateur du rôle passif auquel elles sont souvent assignées dans la série et qu’illustre la mort, sans panache, de Nairobi (quatrième saison… Il faut d’ailleurs noter que la série use du fameux cliché selon lequel les actions des femmes sont principalement motivées par leurs sentiments amoureux : les deux personnages féminins de premier plan (Lisbonne et Stockholm) qui rejoignent l’équipe initiale le font essentiellement par amour. Autre cliché : la capacité de décision du Professeur est mise à mal par ses sentiments pour Lisbonne dans la quatrième saison – car, contrairement aux femmes (qui agissent par amour), les hommes sont empêchés d’agir par l’amour…
Le Professeur évoque fortement Michael J. Scofield (Wentworth Miller) dans la série Prison Break. Comme lui, il est un homme énigmatique et intelligent qui occupe son esprit en réalisant des origamis. Comme lui, il a un frère et complice, Andrés de Fonollosa, dit « Berlin » (Pedro Alonso), au regard duquel il apparait sensible et raisonnable. Comme lui encore, le Professeur est assez mal à l’aise avec les femmes (on l’entend dire « J’ai déjà eu des liaisons », sans vraiment nous convaincre) et il tombe sincèrement amoureux d’une femme (Lisbonne) dont il s’est d’abord rapproché pour la manipuler.
La misogynie des hommes
Les discours et les comportements misogynes ne manquent pas dans Casa de Papel. D’abord deux de ses principaux personnages, Berlin et Denver, sont profondément machistes. Si la misogynie de Berlin est réelle, elle peut presque passer inaperçue compte tenu du manque d’empathie qu’il a d’ordinaire pour les autres. La misogynie de Denver est plus remarquable car le personnage est, par ailleurs, fort sympathique. Ainsi, dans la première saison, il s’en prend brutalement à Mónica Gaztambide, la future « Stockholm » (Esther Acebo), quand celle-ci veut avorter. Lors de la troisième saison, il explose de joie, à la naissance de son enfant, lorsqu’il apprend que c’est un garçon et, alors qu’il est lui-même père, il veut empêcher Stockholm de participer au braquage sous prétexte qu’elle a un enfant.
Durant les quatre saisons de Casa de Papel, deux femmes parmi les otages retenu.es au cours des braquages de l’équipe sont violées : l’une par Berlin et l’autre par Arturo Román (Enrique Arce). Comme souvent à l’écran, seuls les méchants violent… En effet, dans l’un et l’autre cas, ces viols n’abiment pas l’impression laissée jusque-là par leurs auteurs : Berlin est tyrannique et mégalomane et Arturo est un personnage vil.
Par certains aspects, Casa de Papel fait un travail de pédagogie en matière de sexisme car celui-ci est régulièrement dénoncé par les personnages féminins. Par exemple, Tokyo conteste à plusieurs reprises la direction masculine de l’équipe et Stockholm confronte Denver quand celui-ci compare Tokyo à une voiture de luxe (quatrième saison). La prise d’otages qui accompagne le premier braquage de la série est aussi l’occasion d’expliquer ce qu’est le « syndrome de Stockholm » et à Moscou de donner à son fils Denver une leçon sur le consentement sexuel.
Les personnages des policières Raquel Murillo et Alicia Sierra, des femmes évoluant dans un milieu professionnel très masculin, permettent de dénoncer la misogynie de celui-ci et les violences domestiques commises par les policiers. À travers Raquel Murillo et la menace, brandie par ses anciens collègues policiers, à laquelle elle fait face de perdre la garde de son enfant, Casa de Papel donne un aperçu du traitement assez fréquent réservé aux femmes criminalisées : elles perdent, bien plus souvent que les hommes, la garde de leurs enfants.
Quel féminisme ?
Au cours de ses différentes saisons, Casa de Papel a abordé, de manière progressiste, des thèmes comme les violences sexuelles, l’homosexualité masculine, la transidentité ou le don de sperme et la fécondation in vitro. Certaines séquences mettent en scène des personnages ayant des réactions exemplaires – comme celle où une otage dénonce le viol dont elle a été victime par Arturo. Autre exemple : quand Julia (la future « Manille) fait son coming-out à son oncle Moscou et à son cousin Denver, leurs réactions sont extrêmement positives – ce qui n’est pas sans surprendre de la part d’un Denver dont on est habitué aux saillies sexistes et à l’attitude patriarcale. À moins qu’il faille mettre cette réaction sur le compte d’une évolution positive du personnage qui a, entre temps, embrassé son rôle de père d’un enfant dont il n’est pas le géniteur.
L’intention pédagogique de ces séquences (comme le cours particulier sur la transidentité que Manille donne à Denver) est certes louable. Malgré de bonnes punchlines féministes – dont le fameux « Que le matriarcat commence ! » de Nairobi dans la deuxième saison –, il est parfois difficile d’y voir autre chose qu’un appel du pied aux téléspectatrices. En effet, Casa de Papel n’échappe pas au male gaze, que ce soit dans la manière dont les femmes sont filmées (en s’attardant sur la plastique de certaines d’entre elles, en particulier Tokyo) et la construction de personnages féminins qui utilise la figure de la « rebelle sexy » et « indomptable ».
À l’instar de Prison Break, Casa de Papel a le défaut des séries dont la recette originale qui a fait leur succès initial s’use au fil des saisons. Le suspense est ravivé par des rebondissements de plus en plus rocambolesques et des histoires sentimentales de plus en plus invraisemblables (comme les ruptures entre Rio et Tokyo et entre Stockholm et Denver au beau milieu d’un braquage où ils risquent leur vie et leur liberté).
Le réalisateur de Casa de Papel, Álex Pina, a pu compter sur ses actrices, en particulier Itziar Ituño (Lisbonne), pour faire évoluer les dialogues pour qu’ils soient moins sexistes [1]. La carte du féminisme jouée par la série est celle d’un féminisme feel-good qui, sans trop risquer de heurter les spectateurs, ne passe néanmoins pas inaperçu – ce qui en dit long sur le paysage télévisuel...