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Céline Devaux / 2022

Tout le monde aime Jeanne


Par Geneviève Sellier / mercredi 28 septembre 2022

L'humour noir, arme efficace contre la dépression


Voilà un premier film aussi modeste que réjouissant : le titre même de Tout le monde aime Jeanne est à prendre à rebours comme un trait d’humour noir qui caractérise le film. Porté par Blanche Gardin, autre orfèvre en humour noir, le film raconte le voyage de Jeanne à Lisbonne où elle doit vendre, pour rembourser ses dettes, l’appartement de sa mère (Marthe Keller) qui s’est suicidée en se jetant dans le Tage. Militante écologiste, Jeanne a inventé un piège à plastique pour dépolluer la mer, lequel s’est lamentablement échoué lors de l’inauguration et elle doit rembourser les investisseurs.

Nous la suivons dans ce voyage déprimant à Lisbonne, mais l’originalité du film est d’illustrer systématiquement les pensées de Jeanne (dont on entend la voix intérieure) par des dessins humoristiques qui sont aussi l’œuvre de Céline Delvaux, déjà autrice d’un court-métrage d’animation (Le Repas dominical, 2015).

Jeanne se fait aborder à son départ pour Lisbonne par Jean (Laurent Lafitte), qui prétend être un ancien camarade de classe dont elle ne souvient pas, et qui la drague lourdement sous prétexte de l’aider à retrouver ses marques à Lisbonne qu’elle n’a plus fréquenté depuis son adolescence. Elle retrouve aussi une ancienne flamme, dans une séquence « retrouvailles » totalement déprimante…
Le récit conduit par la voix off de Jeanne est un concentré de ce que la vie d’une femme dans la trentaine peut avoir de plus déprimant : échec d’un projet professionnel aussi ambitieux que risqué, rencontres amoureuses plus ou moins calamiteuses, culpabilité par rapport à une mère soigneusement tenue à distance, dont on ignore les raisons du suicide : on peut d’ailleurs regretter que le personnage de la mère incarnée par la grande Marthe Keller dans quelques apparitions post-mortem, soit si peu développé.

On suit Jeanne dans ses tentatives (vaines) pour vider l’appartement de sa mère et dans les visites des agents immobiliers qui sont traitées sur un mode satirique qui illustre aussi l’incapacité de Jeanne à liquider l’héritage maternel. Son frère (Maxence Tual) la rejoint bientôt pour l’aider, sans beaucoup plus d’efficacité. Les déambulations de Jeanne dans Lisbonne sont aux antipodes d’un dépliant touristique, jusqu’à la promenade finale avec Jean entre les containers du port, quand elle a décidé de répondre à ses avances. Happy-end lui-même non dépourvu d’humour.

On rit souvent tout en restant en empathie avec Jeanne, grâce à ce double registre du film, entre vues « réelles » et vues « animées » : Jeanne est une grande dépressive dans le déni de la dépression, mais ce qui lui arrive lui donne quelques raisons de l’être… Mais l’humour permet aussi, aussi bien chez la protagoniste que chez les spectateur·rice·s, de produire une énergie jubilatoire qui est la meilleure défense contre la dépression.


générique


Polémiquons.

  • Le procédé d’inclure un personnage animé pour traduire la pensée du personnage principale se retrouve également dans un premier film norvégien, Ninja baby", sorti une semaine après "Tout le monde aime Jeanne".
    Certes "Ninja baby" est un film féministe. Mais dans les deux cas le personnage est une femme, dans les deux cas le film interpelle le spectateur/trice sur notre époque, dans les deux cas l’humour est au rendez-vous, dans les deux cas des femmes sont réalisatrices.
    Comme quoi les grands esprits se rencontrent !
    Au travers le personnage d’une "startuppeuse" très médiatisée (tout le monde aime Jeanne) et déchue, de celui d’un homme gentiment anarchiste et dilettante,Cécile Devaux nous interroge au sujet du sens de la vie.
    Un film à voir par plaisir et pour réfléchir.

  • J’ai regardé “Tout le monde aime Jeanne” alors que je lisais “Le culte de l’auteur” de Geneviève Sellier. J’ai donc été particulièrement attentif à la représentation du rapport femme/homme et du patriarcat lors de mon visionnage. J’ai été frappé par plusieurs analogies possibles entre les trois personnages masculins qui entourent Jeanne : tous trois sont caractérisés par une barbe (patriarcale) et par la présence systématique d’un enfant (ou une plante en pot) dont ils s’occupent. Ils sont aussi tous trois détachés du schéma familial type. Cette image de l’homme/père est particulièrement intéressante mise en regard des attentes de Jeanne qui ne semble pas attendrie un instant par ces enfants. J’y vois l’expression d’un changement de mentalité possible, déculpabilisant les femmes qui ne veulent pas avoir d’enfant, encourageant les hommes qui le souhaitent à prendre leurs responsabilités pour inventer ensemble de nouveaux schémas.

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