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Peter Sattler / 2014

Camp X-Ray


Par Noël Burch / mardi 25 avril 2023

Une femme à Guantanamo

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La différence entre démocratie et dictature ?
La dictature, c’est : « Ferme ta gueule ! »
La démocratie, c’est : « Cause toujours… »

Aux USA, ce n’est pas pour rien que l’extrême droite déteste Hollywood où séviraient les « libéraux » haïs – ces « communistes » selon leur vision du monde. Et en effet, on peut s’étonner de voir à quel point les idées du Tea Party et assimilés sont pratiquement absentes de toute la production hollywoodienne au sens large ("indépendants" compris), et au cours des dernières décennies, de la production relativement fréquente au contraire de films clairement dénonciateurs de l’impérialisme US et de ses crimes.

Depuis une vingtaine d’années, on voit bon nombre de films étasuniens qui dénoncent, plus ou moins explicitement, les agissements néfastes de cet « Etat voyou [1] : Les Rois du désert (Three Kings, D.O. Russel, 2011), allégorie satirique de la prédation impérialiste pendant la guerre faite à l’Iraq ; The Green Zone (P. Greengrass, 2010) située à la suite de cette guerre et dévoilant le caractère mensonger des accusations des néoconservateurs qui avaient servi à la lancer - les prétendues armes de destruction massive irakiennes ; ou encore Détention secrète (Rendition, Gavin Hood, 2007), détaillant la délocalisation par la CIA du régime de torture auquel étaient soumis les « soupçonnés de terrorisme », à tort ou à raison. Pour n’en citer que quelques-uns...

C’est un autre film, moins spectaculaire, moins connu, mais qui traite d’un sujet voisin, que je voudrais évoquer ici. Camp X-Ray (titre pour la France : The Guard, Peter Sattler, 2014) est situé à l’intérieur de la prison de Guantánamo, cette enclave US sur le sol cubain où sont encore détenus des prisonniers suspectés de terrorisme afin qu’ils ne puissent pas bénéficier de la protection qu’offrent les lois de cette « grande démocratie ».

A priori, ce film n’a pas sa place sur ce site… et pourtant si, car « The Guard », personnage auquel le/la spectateurice est amené·e à s’identifier, est une femme. La caporale Amy Cole (Kristen Stewart) a été affectée gardienne à Guantánamo alors qu’elle espérait être envoyée en Iraq. Elle voulait « se rendre utile », explique-t-elle. Lors d’un briefing initial, un officier apprend à tous ces jeunes militaires que s’ils et elle croient être là pour empêcher les « détenus » de s’évader, c’est une erreur, puisque les murs se chargent de cette tâche. Leur présence est nécessaire uniquement pour les empêcher de se tuer. Un soldat pose une question en évoquant les « prisonniers ». On le reprend aussitôt : ne jamais prononcer ce mot, ce sont des « détenus » (detainees [2] ). Plus tard, le questionneur s’interroge auprès de ses camarades : pourquoi « détenus » ? Amy connaît la réponse : « Parce que des “prisonniers de guerre” bénéficieraient des conventions de Genève ».
Les activités d’Amy consistent à arpenter un court couloir flanqué d’une demi-douzaine de cellules et à jeter un oeil toutes les trente secondes à travers un guichet pratiqué dans les portes. Et aussi, chaque jour, à pousser un charriot chargé de livres de la bibliothèque de la prison, en proposant de la lecture aux « détenus ». C’est ainsi qu’elle fait la connaissance d’Ali (Payman Maadi), détenu sans doute soupçonné de terrorisme et appréhendé en Allemagne (évènement évoqué en un plan unique et pratiquement abstrait), qui interpelle la soldate lorsqu’elle fait sa tournée de bibliothécaire : « Est-ce que vous avez le dernier tome de la série Harry Potter ? Ali en est accro et c’est en quelque sorte le seul espoir qui illumine son quotidien dramatiquement vide. Mais hélas non, cet épisode de la célèbre épopée pour adolescent.es manque et continuera de manquer jusqu’à la fin du film... ou presque.

Le film rend admirablement le sinistre ennui de la vie dans cette prison qui échappe à toutes les lois, dont les détenus n’auront jamais de procès, « their day in court », ce droit inaliénable dans une « grande démocratie » comme les États-Unis d’Amérique. On assiste à la prière collective du vendredi soir (puisque tous ces internés sont musulmans) et l’on assiste aussi à une manifestation de la seule résistance violente que ces hommes ont la possibilité d’opposer à leurs geôliers, lancer leurs excréments au visage d’un gardien.

Et puis arrive le moment de vérité. Ali explique calmement à Amy qu’il a reçu la visite d’un homme en civil qui lui a dit qu’il sait qu’il est innocent, qu’il n’est pas un terroriste. Mais si jamais on le relâchait, aucun pays au monde n’accepterait de l’accueillir précisément parce qu’il a été enfermé ici... L’on se prend à se demander si Donald Rumsfeld a lu La Colonie pénitentiaire d’un certain Kafka...

Puis un jour nous voyons Ali sortir une lame de la doublure de son exemplaire du Coran et se préparer au suicide. À travers le guichet, Amy le surprend, lui parle doucement, calmement, finit par le dissuader de commettre l’irréparable...

Bientôt la mission de la jeune femme se termine. Et elle entend démissionner de l’armée, dit-elle à son ami. De toute évidence, elle a perdu ses illusions... L’histoire d’Amy peut être lue comme un conte édifiant. En effet, pendant longtemps un certain courant féministe, en particulier aux Etats-Unis, réclamait haut et fort le droit pour les femmes de servir dans les forces armées, une forme d’égalité que dénonçaient des féministes plutôt minoritaires là-bas mais dotées d’une conscience politique plus aiguisée. Le parcours d’Amy, qui « voulait se rendre utile » mais qui, confrontée à l’inhumanité carcérale d’une administration masculine, en sort déniaisée, est comme une mise en garde...

Amy est partie, remplacée par un homme. Les semaines passent. Le soldat de garde longe le couloir, poussant le charriot chargé de livres. Il en propose à Ali, mais celui-ci a tout lu... Et puis soudain, le « détenu à tort » fixe le chariot. « C’est quoi, celui-là... ? Oui, celui-là, à la couverture jaune ». Le soldat lui tend le livre qui n’est autre que le tome 7 tant désiré de Harry Potter. Amy s’est souvenue de lui...

Ce film a-t-il permis la fermeture de cette prison illégale ? Cela se saurait... Et je crois que si ces films qui dénoncent tel ou tel aspect de la politique étrangère de l’hyper-puissance peuvent se faire aux USA, c’est que là-bas la politique étrangère n’a jamais été un enjeu électoral, à la seule exception de la guerre du Viet Nam. Mais à cette époque, il y avait encore la conscription et les manifs monstres étaient surtout composées de petits bourgeois blancs qui n’avaient aucune envie d’aller faire la guerre à des milliers de kilomètres...

Les Étasuniens dans leur immense majorité sont à peine conscients de la réalité du reste du monde et des dommages, des ravages que leurs gouvernements y provoquent (80% d’entre eux ne possèdent pas de passeport !).

Alors posons-nous la question : à quand un film français sur le rôle de la France dans le génocide rwandais ou sur les bavures de l’opération Barkhane en Afrique de l’Ouest ? Poser la question, c’est y répondre ! C’est qu’en France tout le monde a un passeport, tout le monde sait que l’étranger, ça existe, et les affaires étrangères sont sans cesse objet de débat, et donc ne seront jamais sujet de film...


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[1Traduction de "rogue state", expression longtemps utilisé par les responsables US pour désigner des pays qui échappaient à leur contrôle » à travers le monde

[2Mot peu courant en anglais et qui connote la détention extra-judiciaire, alors que « détenu » est en français le terme utilisé par les autorités policière et judiciaire.