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Nicolas Bedos / 2022

Mascarade


par Ginette Vincendeau / dimanche 20 novembre 2022

Tristes riches et salauds de pauvres !

Si on prend le dernier film de Nicolas Bedos à la lettre, les stars sont vaniteuses et les nantis sont des escrocs et des hypocrites (on tombe des nues). Malgré les beautés de la Côte d’Azur, les villas sublimes avec vue sur la mer, les yachts et les voitures de luxe, les gens sont mesquins, tout est faux et laid.

Les seuls à échapper à cette vision glauque de l’existence sont des êtres jeunes et magnifiquement beaux, en l’occurrence Adrien (Pierre Niney) et Margot (Marine Vacth). Sauf qu’ils doivent se prostituer pour avoir accès à ce luxe que le film prétend mépriser. Adrien se fait entretenir par des femmes d’âge mûr comme celle avec qui il vit, une star de théâtre et cinéma, Martha (Isabelle Adjani), tandis que Margot séduit des hommes riches, eux aussi d’un certain âge. Les deux jeunes gens naturellement tombent amoureux l’un de l’autre et mettent au point un plan « machiavélique » : se faire épouser chacun de leur côté, divorcer puis partir vivre ensemble en Italie avec l’argent et la fille de Margot. Adrien épouse Martha facilement en lui faisant croire qu’il l’aime tandis que Margot jette son dévolu sur un agent immobilier, Simon (François Cluzet) en se faisant passer pour une jeune héritière britannique à l’accent inspiré de Jane Birkin – imité de manière assez hilarante, il faut le dire. Bien que flatté par la mascarade de l’amour que lui joue Margot, Simon rechigne à divorcer – même si, entretemps, son épouse Carole (Emmanuelle Devos) a été séduite par Adrien. Les choses dérapent. Du dénouement assez embrouillé, il ressort qu’Adrien est en fait l’ultime victime de la mascarade de Margot. Tandis que Simon se retrouve en prison et qu’Adrien est redevenu gigolo, la fin du film nous montre Margot, sa fillette, l’enfant d’Adrien qu’elle a eue entretemps et une ancienne maîtresse d’Adrien, Giulia (Laura Morante) qui se prélassent dans une villa de rêve en Italie.

Je sais qu’il ne faut pas divulgâcher un retournement de situation comme je viens de le faire, mais en fait les personnages sont si peu crédibles que cela n’a aucune importance. Pourquoi en parler alors ? Parce qu’il est navrant de voir de telles ressources – un budget de 14 millions d’euros, de magnifiques décors, des acteurs formidables, une projection hors compétition à Cannes – mises au service d’un film aussi creux, réactionnaire et misogyne. On ne sait pas ce qui est le plus lamentable, la vision éculée et qui pourtant se veut mordante d’un monde de riches à la vulgarité bling-bling (toutes proportions gardées, on pense au film récent de Ruben Östlund, Sans filtre), ou bien la représentation des « pauvres » qui apparemment ne peuvent être que domestiques ou prostitué·es. et qui s’avèrent être aussi ignobles que les riches. On a envie de dire « Salauds de pauvres ! », comme Jean Gabin dans La Traversée de Paris (1956) – mais le film de Bedos est loin d’avoir l’ironie décapante de celui d’Autant-Lara. Et pour l’analyse des rapports de classe, on repassera.

La mascarade dont il est question est principalement sexuelle. Puisque les hommes se comportent tous comme des goujats envers les femmes, le film fait mine d’adopter une posture « féministe » en insinuant que la revanche de ces femmes est légitime. Voilà bien ce qu’on peut appeler la mascarade du film, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, Mascarade confirme les rôles déplorables auxquels tant d’actrices, et non des moindres, sont réduites. Marine Vacth continue à être utilisée uniquement pour son physique et elle reprend ici plus ou moins le rôle de prostituée de luxe où on l’avait découverte dans Jeune et jolie de François Ozon en 2013. Comme si une jeune femme ravissante ne pouvait qu’instrumentaliser sa sexualité. L’excellente Emmanuelle Devos quant à elle a le rôle peu enviable de l’épouse cocue qui en plus tombe dans le piège d’Adrien. Mais le pompon revient à Isabelle Adjani en star capricieuse et narcissique, ignoble avec ses domestiques et ses amants. C’est elle à qui le récit réserve la plus grande humiliation, à la mesure de son statut de star : d’abord en montrant qu’une femme de son âge ne peut trouver l’amour qu’en payant ; puis quand Martha croit naïvement Adrien lorsqu’il lui déclare son amour pour la demander en mariage (alors que les spectateurs et spectatrices savent qu’il s’agit d’un mensonge) et enfin lorsqu’il lui fait lire le manuscrit d’une cruauté inouïe qu’il vient d’écrire, où il lui dit « ses quatre vérités » et révèle qu’il l’a manipulée depuis le début. Il va sans dire qu’Adjani est superbe dans ce rôle écrit pour faire écho à sa « véritable » persona de star : romanesque, excessive, intense.

Comprenant bien le piège dans lequel ce genre de rôle l’enferme, l’actrice, dans un entretien récent au magazine Femina [1] , prend soin d’ailleurs de se démarquer du personnage : « Martha n’est pas du tout un personnage qui m’attire. Elle est égocentrique, narcissique, frustrée, manipulatrice… J’avais non seulement sa personnalité, mais également son avenir à inventer, puisque Nicolas Bedos dépeint dans Mascarade le portrait d’une femme en panne et en panique dans sa carrière, mise de côté par l’industrie. » Hélas, c’est justement ce que l’industrie du cinéma semble lui réserver en ce moment – voir son rôle dans Peter von Kant d’Ozon (2021). Passons rapidement sur la vulgarité de la scène où Adrien doit regarder un film où elle apparait jeune pour pouvoir faire l’amour avec elle…

Dans son film précédent, La Belle Époque (2019), Bedos cachait plus ou moins sa misogynie (et sa muflerie) sous un récit à tiroirs et un décor « vintage » qui n’étaient pas totalement dénués de charme, grâce aussi à Fanny Ardant et Daniel Auteuil. Dans Mascarade, la mise-en-scène est extrêmement convenue – voir les laborieuses scènes de tribunal qui ponctuent le film et déclenchent les flashbacks. Dans ce film qui recycle les vieux clichés sur les femmes fatales qui se jouent des « gogos », l’immaturité et la misogynie du réalisateur peuvent éclater au grand jour, puisqu’il revendique avoir fait un film sur la femme fatale « danger ambulant » et déclare avoir eu « très à cœur de fabriquer, pour l’adolescent d’aujourd’hui, ce que moi j’ai ressenti adolescent hier […] Le plus grand compliment qu’on pourrait me faire sortirait de la bouche d’un adolescent qui me dirait : “J’ai vu Mascarade et j’ai le corps en émoi !” » Les fans d’Adjani peuvent à la rigueur voir ce film à la fois clinquant et terne ; sinon, pour ceux et celles qui ne seraient pas des adolescents « en émoi », il vaut mieux s’abstenir.


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[1Alexandre Lanz, « De Mascarade à MeToo : le monde selon Isabelle Adjani », Femina, 7 novembre 2022.