Ce film noir, premier long métrage de Frédéric Farrucci, écrit par le réalisateur avec deux co-scénaristes masculins, a été accueilli chaleureusement par la critique. Clarisse Fabre dans Le Monde parle d’« une belle rencontre entre le cinéma noir aux codes stylisés et le réalisme contemporain d’une grande ville comme Paris, teinté de faux-semblants mystificateurs [1]. » Libération (Sandra Onana) est plus sophistiqué ou plus emberlificoté, au choix : « Le film noir en habit nocturne, lui, n’a pas une ride à cacher, réservoir d’effets de style à l’attrait immortel que le Français Frédéric Farrucci souhaitait faire siens dans son premier long métrage. Tout se joue ici dans l’acculturation des sources : la nuit dans laquelle nous jette le cinéaste est parisienne, maquillée par touches phosphorescentes en métropole à la Wong Kar-wai. Sa dangerosité torve sort du fourreau d’un polar chinois, mais délocalisé au milieu des buildings et de la diaspora d’Aubervilliers [2]. » Références flatteuses au film noir et à Wong Kar-wai, à propos d’un film qui paraît en effet peu ancré dans une quelconque réalité sociologique, comme le confirme l’article du Monde : « Pour nourrir le scénario de son film, coécrit avec Nicolas Journet et Benjamin Charbit, Frédéric Farrucci s’est inspiré d’une légende urbaine selon laquelle des chauffeurs chinois seraient en fait de faux taxis sous la coupe de la mafia. Le cinéaste a choisi d’ancrer son histoire dans le milieu des VTC, plus actuel et témoin de ‘l’ubérisation’ de la société. »
L’histoire est racontée du point de vue d’un jeune Chinois sans papiers qui est VTC de nuit pour rembourser sa dette (il est en France depuis cinq ans) au réseau qui l’a fait venir en France. Il occupe un lit superposé dans un appartement de marchand de sommeil et envoie régulièrement de l’argent à sa mère à qui il parle par Internet. Son apparence impeccable (costume sombre, chemise blanche et cravate) et son visage aussi beau qu’impassible contrastent avec ses conditions de vie misérables. Tous les soirs, un homme de main distribue aux chauffeurs de VTC les téléphones qui grâce au GPS, permettent au patron de constamment savoir où ils sont.
Au moment où commence l’histoire, il pense être libéré de sa dette dans quelques semaines. Mais le patron, entouré de sbires, qui organise le travail d’une armée de chauffeurs au volant de voitures volées, le désigne pour former un nouveau chauffeur, et prélève sur sa paye le manque à gagner du débutant. Ses protestations ne lui valent que des menaces. Dans l’arrière-cuisine d’une gargote où il retrouve quelques collègues pour des repas pris sur le pouce, il prend en pitié l’un d’eux qui, déprimé, a trop bu, et entreprend de le suivre dans une course folle dans Paris la nuit, qui se termine par un accident : pas de blessé mais sa voiture est en piètre état : notre héros arrache les plaques d’immatriculation avant de s’enfuir pour éviter la police. Les représailles de son patron ne tardent pas : il devra faire le chauffeur pendant encore 4 ou 5 ans pour rembourser la voiture...
Or il a rencontré une jeune femme qui utilise les services de son VTC car elle aussi travaille la nuit : elle est incarnée par Camelia Jordana en magnifique brune explosive : stripteaseuse dans une boîte de nuit, elle termine la nuit à l’occasion avec un client à l’hôtel. Contrairement aux autres passagers de son VTC, elle le regarde et s’adresse à lui comme à un être humain, commentant la musique qu’il met sur son lecteur (les amateurs reconnaîtront la musique synthétique de Rone, qui a fait la bande-son du film) : il lui révèle qu’il était DJ en Chine avant... Il vient désormais la chercher, en se cachant de son patron. Un jour où elle revient d’un rendez-vous en larmes – ça s’est mal passé, mais on n’aura pas de détails –, il la fait passer devant et parle avec elle. Il n’a désormais plus qu’une idée, la revoir : il vole un des chauffeurs de sa chambrée pour acheter des billets pour un concert de Rone. Il l’y retrouve et la musique planante aidant (ainsi que des pilules de substance illicite), ils terminent la soirée en faisant l’amour. Mais elle lui annonce qu’elle a décidé de partir à Marseille pour changer de vie (on n’en saura pas plus). L’engrenage se met en marche. Il essaie de vendre son VTC pour la suivre, ça rate lamentablement, on le retrouve sur l’autoroute dans le VTC avec sa belle, faisant des plans sur la comète. Au premier arrêt, un homme de main de son patron l’abat dans les toilettes.
Le film se termine sur elle arrivant à Marseille en car en écoutant le morceau qu’il a composé pour elle…
Au-delà de l’atmosphère de film noir, ou pour s’y conformer, le film reprend des stéréotypes éculés, une histoire d’amour romantique qui finit mal, sauf que le film ne s’attache qu’au personnage masculin qu’un destin semble accabler, y compris à travers sa rencontre avec une belle fille qui se révèle fatale… Les couleurs de Paris la nuit intéressent davantage le réalisateur que la réalité sociale des clandestins chinois, et Camelia Jordana, contrairement à ce que l’entretien qu’elle a donné au Monde [3] laissait espérer, reste une apparition, belle et sympathique certes, mais largement fantasmatique.