Gabriel Le Bomin, cinéaste passé par le Service cinématographique des armées, et réalisateur des Fragments d’Antonin (2006), sur les traumatismes psychiques des soldats de la guerre de 14-18, s’attaque ici à une des figures les plus intouchables du panthéon national, le général de Gaulle, non pas pour la déboulonner, ni même l’égratigner, mais pour l’enrichir de son volet « intime », celui de sa vie familiale avant et pendant le moment décisif de juin 1940.
Le point de vue novateur de ce film, c’est d’imaginer celle que les Français ont coutume d’appeler du surnom gentiment dépréciatif, « Tante Yvonne », en femme encore jeune (elle a 40 ans en 1940), mère de trois enfants, dont la dernière, Anne, née en 1928, est trisomique, et en épouse profondément attachée à ce mari qu’elle a choisi, bien que leur rencontre ait été arrangée par les deux familles, comme il était de coutume dans les milieux bourgeois à cette époque.
Le réalisateur, un habitué des archives, qu’il a sans doute explorées en long et en large pour l’occasion, s’autorise à représenter les relations privées du couple de Gaulle, à partir de l’hypothèse que leur entente et leur soutien mutuel ont joué un rôle essentiel dans les décisions politiques d’une audace folle que le général a prises en juin 1940 (ce dont témoignent les lettres qu’ils ont échangées). On pourrait presque dire que c’est une relecture féministe de la biographie de de Gaulle, en tout cas de ce moment décisif qui en fait ce qu’il est devenu.
Sans doute l’imagination du réalisateur a-t-elle été stimulée par le peu d’éléments matériels dont on dispose sur Yvonne De Gaulle née Vendroux : bien qu’elle soit décédée en 1979, 10 ans après son mari, on ne dispose d’aucun enregistrement de sa voix ! On explique souvent cette curieuse anomalie par son extrême discrétion, mais peut-être aussi est-ce le résultat du peu d’intérêt pour cette femme des médias de l’époque, totalement dominés par des hommes pour qui la politique se conjuguait exclusivement au masculin… à quoi il faut sans doute ajouter qu’Yvonne de Gaulle était dépourvue des attraits susceptibles de séduire ces hommes…
Du fait de cette absence d’archives audiovisuelles, Isabelle Carré, dont on connaît le talent multiforme et subtil (Se souvenir des belles choses, Zabou Breitman, 2002 ; Les Emotifs anonymes, J.-P. Améris, 2010), a composé son personnage assez librement, en s’inspirant en particulier de ses lettres.
Le choix de relater longuement le moment terrible où ils apprennent que leur dernière née est atteinte de trisomie, quelques mois après sa naissance, met en avant le courage d’Yvonne qui choisit en accord avec son mari d’élever elle-même l’enfant, alors que la plupart des familles bourgeoises les reléguaient dans des institutions psychiatriques…
L’autre moment fort du film, du point de vue d’Yvonne, est l’exode où elle doit décider seule de la conduite à tenir, pour ses trois enfants et la gouvernante d’Anne (Catherine Mouchet) : alors que la famille s’est d’abord réfugiée en Bretagne, Charles la rejoint brièvement pour lui apprendre sa décision de quitter la France pour continuer le combat… Quelques jours plus tard, devant l’avancée allemande, elle décide de rejoindre son mari en prenant le dernier bateau pour l’Angleterre depuis un port breton. Dans le chaos indescriptible du sauve qui peut et au milieu des bombardements, elle doit protéger la petite Anne que tout changement terrorise… Le film rend bien compte de l’incroyable audace de sa décision de quitter la France, mettant ainsi son mari à l’abri des menaces que l’occupant aurait pu exercer sur sa famille.
Si le film donne autant d’importance aux combats politiques du général qu’à sa situation familiale, sa nouveauté est incontestablement dans la « réhabilitation » qu’il opère quant à l’importance de la personnalité d’Yvonne de Gaulle dans la vie du général, y compris dans les décisions les plus politiques qu’il a prises.