____
La jeune Eva (Lucie Charles-Albert) est envoyée par son entreprise de nettoyage sous-traitante du palace parisien Astor Palace pour remplacer une femme de ménage en grève. Elle est prise en charge bon gré mal gré par une ancienne, Simone (Corinne Masiero) qui elle est une « interne », salariée directement par l’hôtel, ce qui lui donne accès à des petits privilèges auxquels les « externes », employées par la sous-traitance, n’ont pas droit. Certaines d’entre elles sont en grève contre ce système, qui vise à les diviser, à diminuer les salaires et à dégrader les conditions de travail. Simone refuse de se solidariser avec les grévistes, et cache des problèmes de dos de plus en plus graves pour garder son travail.
Le film raconte d’une part le travail du ménage et les relations de travail dans un grand hôtel, mais dans ce registre-là le film d’Eric Gravel, À plein temps (2021), avec Laure Calamy, était mieux documenté ; d’autre part il raconte la grève mais d’une façon si anecdotique qu’on a du mal à prendre la mesure des épreuves que les grévistes ont eues à traverser. Safiatou (Marie-Sohna Condé), Aissata (Maimouna Gueye), Violette (Salimata Kamaté) sont les femmes de ménage noires, seconds rôles pittoresques qui donnent de l’épaisseur à l’histoire. Agnès (Mariama Gueye), la gouvernante, défend les intérêts de la direction, avec de plus en plus de difficultés.
Le réalisateur Nessim Chikhaoui a déclaré :
« Les femmes de ménage noires sont les petites mains des grands hôtels, tout comme les actrices noires sont, à l’heure actuelle, les petites mains du cinéma, du moins en France. »
Malheureusement son film confirme cette réalité peu reluisante, puisque les deux rôles principaux sont tenus par des actrices blanches, Corinne Masiero et Lucie Charles-Albert. Au début du film, la jeune actrice qui incarne Eva évoque des origines martiniquaises devant les « anciennes », des femmes de ménage noires ; mais son physique est aussi « blanc » que celui d’Adèle Exarchopoulos à qui la presse l’a comparée...
Les intentions du film sont évidemment louables : il s’agit d’évoquer la grève des femmes de ménage du palace parisien Paik Hyatt Vendôme en 2018 qui a abouti au bout de 87 jours à un accord favorable aux grévistes. Mais les leaders étaient les femmes de ménage noires, et on aurait bien aimé qu’elles soient aussi les rôles principaux du film qui relate leur lutte… Mais apparemment, le cinéma français n’est pas encore prêt à rendre compte de la réalité sociale dans sa véritable diversité.
Par ailleurs, le film souffre d’un autre défaut récurrent du cinéma hexagonal : le scénario est mal écrit. Eva, le personnage principal, manque de cohérence, on ne comprend pas pourquoi elle se joint à la grève, on lui invente même un flirt avec un employé de l’hôtel, péripétie traitée de façon indigente.
Quant à Simone qui a été contrainte de prendre sa retraite après que le médecin du travail l’a déclarée « inapte », on la retrouve suivant un cours de claquette ( !) et courtisée par le professeur : double invraisemblance compte tenu du vieillissement que le film lui fait subir et de l’incapacité physique du personnage.
Les difficultés spécifiques que rencontrent ces femmes étrangères en butte aux tracasseries administratives, qui sont aussi des mères de famille, ce qui les rend doublement vulnérables, sont à peine évoquées à travers le personnage de Safiatou.
Enfin, après que les grévistes ont obtenu l’ouverture de négociations, le film se termine sur la décision d’Eva, sur la suggestion de Simone, d’arrêter ce travail pénible pour reprendre des études. On n’en saura pas plus…
On rêve du film qu’aurait pu écrire et réaliser Ken Loach sur ce sujet…