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John Madden / 2017

Miss Sloane


>> Geneviève Sellier / mardi 14 mars 2017


Ce film indépendant américain, réalisé par un Britannique, John Madden, co-produit par EuropaCorp, la société de Luc Besson, utilise tous les codes du thriller politique et se focalise sur un personnage féminin de lobbyiste incarné par Jessica Chastain, célèbre depuis son rôle dans le film de Kathleen Bigelow Zero Dark Thirty (2012).

Cette actrice qui se revendique comme féministe et participe activement aux mouvements anti-Trump (Marche des femmes), fait la promotion de son film (elle a été invitée à la Grande Table sur France Culture le 8 mars) avec le même engagement : elle a déclaré que l’intérêt de ce rôle était d’aller à l’encontre de tous les stéréotypes du cinéma hollywoodien sur les femmes.

Miss Sloane est lobbyiste à Washington, et son intelligence diabolique semble pouvoir vaincre tous les obstacles : sa réputation est telle que le lobby des armes à feu tente de louer ses services pour convaincre les mères de famille (public traditionnellement hostile au 2e amendement sur le droit de porter des armes) de la nécessité d’avoir une arme pour protéger ses enfants… Elle leur éclate de rire au nez et refuse, à la grande fureur de l’agence qui l’emploie, et démissionne pour aller travailler avec une agence beaucoup plus modeste qui cherche au contraire à faire voter une loi destinée à contrôler l’achat des armes à feu. Elle emmène une partie de son équipe, sauf sa collaboratrice la plus proche, ce qui provoque la colère froide de cette femme qui n’a visiblement pas l’habitude qu’on lui résiste.

Par ailleurs, cette femme belle à damner un saint n’a aucun attachement sentimental et paie un gigolo quand elle a besoin de « tirer un coup » ! Autre transgression des conventions hollywoodiennes : ce type de comportement est considéré comme banal quand c’est un homme qui paie pour un service sexuel, mais quand les rôles sont inversés, il ne peut s’agir que d’une femme « mauvaise » ou « malade » que le récit sanctionnera d’une manière ou d’une autre…

Elizabeth Sloane organise la campagne pour le contrôle des armes à feu avec son efficacité habituelle, sans s’embarrasser de scrupules moraux. Son cynisme éclate quand elle instrumentalise sa collaboratrice la plus proche, qui a survécu miraculeusement à un massacre dans une école et tient à ce que son traumatisme reste secret. Trahissant sa confiance, lors d’un talk show sur une télévision nationale, Elizabeth révèle son secret et la désigne à l’attention publique, à la suite de quoi la jeune femme se fait agresser et est sauvée par un citoyen ordinaire muni d’une arme et opportunément sur les lieux, qui tue son agresseur. Bien sûr, ce fait divers anéantit les efforts du lobby anti-armes et l’indignation suscitée par la démarche d’Elizabeth Sloane la décrédibilise, aussi bien auprès de ses employeurs que de ses adversaires, et finit par la conduire devant une commission du Sénat pour violation de la déontologie…

Le spectateur habitué aux conventions du cinéma hollywoodien (et encore plus la spectatrice surtout si elle est féministe !) commence à craindre le pire : cette femme d’une ambition impitoyable qui écrase tout sur son passage, va être punie à la hauteur des transgressions qu’elle a commises contre le pouvoir masculin (et dans le film, il s’agit bien d’un pouvoir masculin incarné par des (plus ou moins) vieux hommes blancs qui n’éprouvent pas le moindre doute sur leur légitimité)…

Eh bien non ! Je ne « spoilerai » pas davantage, mais sachez que le retournement du scénario dans sa dernière partie est une des bonnes surprises que procure ce film, sans pour autant nous transporter tout à coup dans un monde idéal !

On comprend mieux à la fin pourquoi la féministe Jessica Chastain a choisi de s’engager dans ce film indépendant : il est peu probable qu’une major hollywoodienne aurait validé ce type de récit, et accepté de valoriser jusqu’au bout un personnage féminin principal (elle est quasiment présente dans toutes les scènes) aussi peu conforme aux normes de genre.


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