Réalisé avec de très gros moyens, La Promesse de l’aube, d’après l’œuvre de Romain Gary, sort auréolé de la réputation d’un écrivain multi-récompensé (et héros de guerre) et d’un casting tendance, avec Charlotte Gainsbourg et Pierre Niney.
Le récit « autobiographique », en réalité très romancé, de Gary, paru en 1960, est un hommage parfois grinçant à l’amour illimité de sa mère, Nina (Gainsbourg). Un amour qui permet à cette mère célibataire juive d’Europe centrale, actrice plus ou moins ratée et couturière, de braver la pauvreté, l’exil, l’antisémitisme en Pologne puis en France, les moqueries et la maladie afin que le destin grandiose qu’elle prédit à son fils unique adoré (« tu seras un grand écrivain, tu seras Victor Hugo, Chateaubriand, Gabriele d’Annunzio, ambassadeur de France ») s’accomplisse. Le jeune Roman Kacew, qui deviendra Romain Gary, lui donnera satisfaction, même de manière posthume.
On ne peut pas reprocher au film de faire le portrait d’une mère sacrificielle et envahissante, constamment dans l’excès, alternativement bouleversante et ridicule (et souvent les deux à la fois), puisque tel est le sujet du roman. On aurait pu espérer par contre qu’il observe un peu plus de distance par rapport aux libertés que Gary prend avec sa propre histoire, imitant ainsi sa mère affabulatrice. Par exemple, le film d’Éric Barbier maintient la fiction que Gary parti combattre dans la Résistance ignorait la mort de sa mère et recevait des lettres d’elle « d’outre-tombe ». Il se contente de minimiser les références à l’acteur russe Ivan Mosjoukine, dont Gary laissait croire qu’il était le fils illégitime, récit depuis démenti. La Promesse de l’aube joue les biopics classiques et la figure de l’écrivain y est vue selon les clichés habituels : Pierre Niney (Roman adulte) recouvre furieusement des pages d’écriture, éclairé à la bougie, ou tape sur une machine vintage vue en gros plan. Les choix de casting sont discutables. Pierre Niney est trop joli et Charlotte Gainsbourg curieusement grimée en « vieille » femme à perruque grise. Pour une comparaison éclairante, je conseille d’aller voir sur Youtube la version réalisée en 1970 par Jules Dassin – film oublié de nos jours, non sans raison, mais qui mérite d’être vu pour la prestation de Mélina Mercouri. Celle-ci donne de la mère une version autrement flamboyante !
On peut aussi regretter le manque de distance par rapport au mythe de « la femme derrière le grand homme », même si c’est ce que Gary a romancé dans son livre. On sait que les personnages de mère au cinéma ont toujours tort : elles aiment trop ou pas assez. Dans le livre, Gary lie l’amour dévorant que lui porte Nina à sa déception une fois confronté aux femmes à l’âge adulte. Certes, le film ne reproduit pas exactement la formule du livre, d’une violente misogynie : « Il n’est pas bon d’être aimé, si jeune, si tôt. Ça vous donne de mauvaises habitudes. […] Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu’à la fin de ses jours. » Elégante formule pour celles qui partagèrent sa vie à l’époque, sa femme Lesley Blanch dont il allait bientôt divorcer, et sa nouvelle compagne Jean Seberg.
Quelles que soient les contradictions de l’homme et de l’écrivain Romain Gary vis-à-vis des femmes, le film de toute façon est incapable d’animer des personnages secondaires féminins crédibles. La domestique niçoise, Mariette, et l’étudiante suédoise à Paris sont filmées comme des objets sexuels de manière caricaturale (le roman est plus subtil à cet égard). Le film est raconté en flash-back, comme le livre, mais au lieu de Gary méditant sur une plage californienne, il est au Mexique avec Lesley Blanch – on se demande pourquoi, puisque cette auteure et journaliste réputée, qui n’apparaît pas dans le livre, est ici réduite à l’état de garde-malade insipide.
Adapter La Promesse de l’aube en 2017 aurait pu être l’occasion de proposer une réflexion sur les mythes genrés qui structurent les représentations des rapports mère-fils dans la littérature et au cinéma, voire sur la personnalité d’un auteur brillant et séducteur notoire (en 1980, il dira à la radio, « la seule chose qui m’intéresse, c’est la femme, je ne dis pas les femmes, attention, je dis la femme, la féminité »), mais de toute évidence l’occasion est ratée.