Pour documenter « l’affaire du Sofitel », neuf années après les faits (l’agression a eu lieu le 14 mai 2011), la mini-série (4 épisodes) co-produite par l’agence Capa et Netflix, et réalisée par Jalil Lespert, fait le choix d’interviewer tous les protagonistes directs et indirects, aux États-Unis et en France, et en cas de refus (pour DSK), d’utiliser leurs déclarations publiques. A été confié à Raphaëlle Bacqué, grande reportrice au journal Le Monde, le soin de tracer le fil rouge de l’affaire. Mais il n’y a pas de voix off qui viendrait faire des commentaires sur un mode surplombant.
L’intérêt principal de ce documentaire est de nous permettre de comprendre comment DSK a finalement échappé à la justice américaine, alors que son arrestation spectaculaire aurait pu laisser penser qu’il n’aurait pas de traitement de faveur. L’autre intérêt est de mesurer l’aveuglement des « élites » françaises, en particulier les dirigeant·e·s du Parti Socialiste (la palme à Jack Lang : « Bon, il est peut-être plus spécialement porté vers les choses de l’amour, et alors ? Et alors ? Un président de la République doit être un homme sans sensualité ? »). Enfin, le documentaire donne la parole longuement à trois des victimes de DSK, Nafissatou Diallo bien sûr, la femme de ménage du Sofitel, mais aussi l’écrivaine Tristane Banon et l’ancienne prostituée Mounia R., trois femmes dont la vie a été sinon ruinée, en tout cas complètement bouleversée par l’agression qu’elles ont subie, alors qu’aucune des trois n’a obtenu réparation devant la justice.
A partir d’un rappel minutieux des faits par les protagonistes de l’affaire du Sofitel de New York (tout le personnel de l’hôtel est mis à contribution, ainsi que les nombreuses caméras de surveillance) qui laisse peu de doute sur la réalité du viol de la femme de chambre par l’hôte de la suite présidentielle, on suit d’abord l’arrestation, l’inculpation et l’incarcération de DSK par la police newyorkaise, puis le passage de l’affaire à la justice et c’est là que tout change. Le procureur général de New York nomme un nouvel enquêteur, spécialisé dans les homicides et non pas dans les violences sexuelles, qui reprend tout à zéro, en collaborant avec les enquêteurs embauchés par les avocats de l’accusé, dont on comprend très vite que leurs ressources sont illimitées, grâce à la fortune d’Anne Sinclair, arrivée très vite pour soutenir son mari. A ce moment-là, non seulement l’accusé est libéré sous caution, mais l’enquête va se faire à charge contre la victime, alors même que l’accusé a échappé à tout interrogatoire : en effet, aux États-Unis, un accusé a le droit de garder le silence, si son avocat le lui recommande, et DSK a pu faire appel aux meilleurs (et aux plus chers) avocats de New York. Inutile de dire que la victime n’a pas accès aux mêmes ressources : malgré le soutien de son syndicat et les manifestations publiques de solidarité de ses collègues, elle est interrogée des dizaines de fois, et accusée d’être un témoin non fiable, à cause des conditions dans lesquelles elle a obtenu un visa d’entrée comme réfugiée guinéenne, et le procureur décidera de ne pas donner suite, alors que DSK, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, n’a jamais pu être interrogé. Il est libéré et rentre en France, après avoir évité le procès au civil en passant un accord financier confidentiel avec la plaignante.
Trois affaires, antérieures au scandale du Sofitel, sont également évoquées par le documentaire : l’agression sexuelle en 2002 contre Tristane Banon, alors jeune journaliste, qui sera classée sans suite parce que prescrite ; le harcèlement sexuel subi en 2008 par l’ex-responsable du département Afrique du FMI, Piroska Nagyy, qui a démissionné pour échapper aux « comportements inappropriés » de DSK, alors que celui-ci a été blanchi après l’enquête interne du FMI. Le documentaire relate également l’affaire du Carlton de Lille, où DSK est inculpé en 2012 de proxénétisme aggravé pour des faits entre 2008 et 2011. Il sera également relaxé de cette charge, alors que l’une des anciennes prostituées qui s’est portée partie civile, évoque clairement une sodomie forcée, c’est-à-dire un viol.
Son mariage avec Anne Sinclair ne résistera pas à cette dernière affaire (ils divorcent en 2012) mais DSK reparaît bientôt au bras d’une 4e épouse, une femme d’affaires franco-marocaine ! Si la présidence de la République lui a échappé, sa carrière d’expert économique est toujours aussi florissante…
En revanche, que ce soit au FMI, à Paris ou à New York, les victimes de DSK ont vu leur vie définitivement affectée par leur rencontre avec le prédateur. Si l’on a pu dire que cette affaire était prémonitoire du mouvement #MeToo, ce qui frappe surtout à la vue du documentaire de Jalil Lespert, c’est le prix payé par les victimes de DSK, pour avoir eu le courage de dénoncer l’agression qu’elles avaient subie, et l’indifférence de la société française à leur sort. On peut y voir un avertissement à celles qui osent briser le tabou : elles auraient mieux fait de se taire… Enfin, les déclarations de l’entourage de DSK, en particulier celles des responsables socialistes, témoignent d’une confusion persistante entre « séduction » et agression sexuelle, ce qui est exactement la définition de la culture du viol.