Une station de sports d’hiver, une classe sport-études où une douzaine d’adolescent·es subissent la férule de l’entraîneur (Jérémie Rénier), Fred, ex-champion disqualifié suite à un accident, qui pratique plus souvent l’insulte et l’humiliation que les encouragements… Lyz, 15 ans, s’intègre tant bien que mal dans le groupe, contrainte d’habiter seule quand sa mère, divorcée, part travailler à Marseille. Lyz s’accroche et parvient à des performances qui lui valent l’attention de l’entraîneur. A partir du moment où elle gagne une course, elle devient la « chouchoute » de Fred qui propose même qu’elle habite chez lui et sa compagne, monitrice du groupe, pour l’aider à améliorer ses notes qui laissent à désirer, alors qu’elle était une excellente élève.
Il faut dire qu’entretemps l’investissement de l’entraîneur sur Lyz a dérapé vers un comportement d’emprise, y compris sexuelle, sans qu’elle soit capable de réagir, paralysée qu’elle est par son désir de lui obéir pour améliorer ses performances, et paniquée à l’idée qu’il l’abandonne. La compagne de Fred, lassée d’être sacrifiée, le quitte et n’obtient que des dénégations quand elle s’inquiète auprès de Lyz du comportement de Fred… On reconnaît dans les deux figures « maternelles », la mère et la monitrice, des actrices qu’on aimerait voir jouer autre chose que des seconds rôles au cinéma. Muriel Combeau (la mère de Lyz) était, entre autres, la formidable Gladys de la série Avocats & associés sur France 2.
Marie Denarnaud a été Sœur Clémence dans la série policière Sœur Thérèse.com sur TF1, avant qu’on la retrouve sur la même chaîne, à servir de faire-valoir à Audrey Fleurot, l’héroïne de HPI. Ce film d’une jeune réalisatrice qui est aussi l’autrice du scénario écrit en 2014, largement autobiographique, a eu du mal à trouver des financements, mais il arrive à point, confortant le témoignage de Sarah Abitbol sur les abus sexuels dans le sport de compétition.
La force de Slalom est de rester au plus près de l’adolescente, prise entre son désir de devenir une championne et sa fragilité affective, souffrant de l’éloignement de sa mère (le père lui est totalement absent) et de la brutalité des rapports dans le groupe d’adolescent·es ; elle se fait une amie mais celle-ci devient encombrante quand elle la met en garde contre Fred et plus encore quand elle manifeste son désir pour elle.
Incapable d’exprimer ses émotions, comme souvent les adolescent·es, elle dépend entièrement de l’attention que lui porte Fred, dont elle supporte les abus sans réaction, sinon un regard dont la détresse est parfaitement lisible pour qui veut le voir.
Le film évite une sensation d’étouffement en élargissant le cadre à la vie dans cette station de montagne où il faut s’entraîner par tous les temps, dans l’éclat du soleil comme dans le froid de la tempête de neige.
Il se termine au moment où Lyz, devenue championne de France, trouve la force de dire « non » à Fred. On peut regretter qu’il n’aborde pas plus précisément les conditions dans lesquelles la victime parvient à faire cesser l’emprise… En revanche, le jeu de Jérémy Rénier rend à merveille la banalité de cette relation d’emprise, inscrite dans l’asymétrie de ce rapport de Pygmalion : il fabrique littéralement sa championne en lui communiquant sa passion de la compétition, dont il a été privé à cause d’un accident. Cette relation exclusive (toute sa vie est focalisée sur l’entraînement de Lyz) débouche presque « naturellement » sur des abus sexuels, tant devient forte son intimité avec le corps de la jeune fille qu’il façonne, ce que vient illustrer une scène où il lui explique comment gérer ses règles menstruelles.
La réussite de Slalom vient de sa capacité à articuler un point de vue subjectif – le vécu de l’adolescente – avec une analyse politique des rapports de genre, sans que jamais cela s’exprime autrement que par l’observation des personnages.