Lola Pater, ni pater, ni mater
Avant de commenter ce film, il est nécessaire de détailler les termes que nous allons employer pour parler de la transidentité. Il est précisé que le personnage de Lola est opéré, mais le film n’associe pas cette opération à un terme définissant sa transidentité. Ainsi, sur le conseil de l’Espace Presse Transgenre (groupe d’analyse des médias sur la question des transidentités), nous emploierons le terme générique de « trans* » avec un astérisque pour regrouper toutes les transidentités, sans exclure ou imposer un modèle.
Dans Lola Pater, Nadir Moknèche met en scène Fanny Ardant dans le rôle d’une trans algérienne dont le quotidien est bouleversé par l’arrivée d’un fils, Zino (Tewfik Jallab) qu’elle n’a pas vu grandir. Ce dernier vient d’enterrer sa mère et cherche à rencontrer son père, Farid, bien loin de se douter que celui ci s’appelle désormais Lola.
Pendant qu’Outre-Atlantique, on polémique autour de la nationalité anglo-indienne de l’actrice pressentie pour jouer le rôle de Jasmine dans le prochain Aladdin (dont l’intrigue se déroule à Agraba, pastiche d’Agra ?), en France, Fanny Ardant, femme française cisgenre, joue une femme algérienne trans [1]. Vêtir le costume d’un groupe marginalisé et stigmatisé par une société, lorsqu’on fait partie des privilégié.e.s peut s’avérer une tâche délicate, propice aux faux pas. Malheureusement, malgré un jeu d’actrice à saluer, le personnage de Lola manque de crédibilité. À commencer par sa composition visuelle qui, truffée de clichés, se rapproche plutôt de la caricature que du réalisme. Nadir Moknèche exagère autant les traits dits féminins du personnage que les traits dits masculins de l’actrice, à la limite du déguisement. Lorsque Lola est décrite, on appuie volontiers sur ses caractéristiques dites masculines : « Une grande brune, la voix grave » dit le collègue de Zino. Comme s’il fallait sans cesse insister sur la masculinité de cette femme. À l’inverse, on couvre l’actrice d’artifices dits féminins. Des bagues à chaque doigt, plusieurs colliers, des talons hauts en toutes circonstances, un maquillage tape-à-l’oeil, un manteau de fourrure rouge : la parure féminine à son paroxysme, la parodie de la transidentité. En additionnant grossièrement les attributs genrés – qu’il s’agisse des attributs féminins ou masculins –, Lola devient un stéréotype trans dont l’apparence rappelle celle des drag queens, renforçant ainsi l’amalgame souvent fait entre la transidentité et le travestissement.
Nadir Moknèche ne cherche pas à rendre Lola crédible en tant que femme, mais en tant que trans. Paradoxalement, le réalisateur semble ne pas vouloir que le spectateur croie en la femme qu’elle est devenue. En caricaturant son apparence, il ne nous présente pas une femme, il nous donne à voir sa transidentité, comme si son identité se résumait à cela. D’ailleurs, si le physique de Lola ne suffisait pas, le dialogue en rajoute. Pendant un repas où Lola hausse le ton, sa compagne lui répond : « Tu as beau te couper la kékette et te faire pousser les seins, tu restes un macho du sud », une réplique qui ne fait que reprendre l’idée selon laquelle Lola n’est pas une femme, mais un travesti opéré.
C’est donc ce personnage prisonnier de sa transidentité que Moknèche met face à des obligations parentales. Alors que Lola décide d’assumer sa paternité en dévoilant son identité à son fils qui la recherche, elle prend peur et confesse à son entourage ne pas se sentir à l’aise de devenir père avec un corps de femme. Sa compagne lui propose alors de devenir plutôt « la nouvelle maman » de Zino. Est-ce qu’une femme trans peut être mère lorsqu’elle n’a pas su être père ? Il semblerait que non, selon Moknèche, et cette réponse est truffée de présomptions dangereuses. La première est l’idée selon laquelle le rôle de parent est dévolu aux femmes : c’est sous l’identité de Farid que Lola a déserté le foyer familial.
Même si le film l’excuse en donnant quelques brèves explications – la mère de Zino n’aurait pas laissé Lola devenir ce qu’elle est –, il n’explique en rien pourquoi elle a renoncé à son rôle de père. La tante de Zino lui révèle que sa mère filtrait les lettres et que quelques enveloppes perdues auraient dissuadé le père de voir son fils. Comme elle le dit elle même, Lola a été « un père indigne ». D’ailleurs, il n’y a aucune figure masculine dans l’éducation de Zino, juste une mère et une tante. Les hommes, visiblement, ne savent pas être parents. Face à ce modèle de femme-maman renforcé par l’adoration que porte Zino à ces femmes qui l’ont fait grandir, Lola peine à exister. Le décès de la mère de Zino réveille chez elle une envie de parentalité. Après vingt-cinq ans d’absence, elle se préoccupe soudainement de son fils. D’un père indigne, Lola devient une maman inquiète. Mais être mère sans utérus s’avère impossible dans ce film. Bien qu’elle essaie de se rapprocher de son fils, ce dernier se retrouve sans arrêt dans la position de devoir prendre soin d’elle – notamment lorsqu’il la raccompagne ivre à son hôtel. Après que Lola a tenté de se suicider, c’est encore lui qui vient vers elle pour créer le lien parent-enfant qu’elle n’arrive pas à établir. Lola n’a pas su être un pater, elle ne saura pas non plus être une mater. Son échec dans son rôle de mère s’oppose au succès des femmes cisgenres dans ce même rôle, ce qui suggère que Lola ne serait pas une « vraie » femme car elle ne sait pas être mère. Et vice versa.
Le film Lola Pater lie la maternité à la féminité biologique, et la fuite devant la parentalité à la masculinité biologique. Bien loin de rendre justice à l’expérience transidentitaire qu’il caricature, ce film condamne les femmes à n’être que mère, les mères à n’être que femme, et les hommes à ne pas pouvoir être parent.