Pourquoi les profs de fac couchent-ils avec leurs étudiantes ? Parce qu’elles leur sautent dessus (c’est quasi du harcèlement sexuel) et comme ils sont faibles et gentils, ils finissent pas leur faire l’amour dans les toilettes de la fac (c’est tellement plus excitant !). Mais comme elles sont insatiables, même s’ils leur donnent généreusement l’hospitalité, elles finissent pas les tromper avec des jeunes gens de leur âge, et la mort dans l’âme, ils sont obligés de mettre un terme à la liaison, parce qu’ils souffrent trop…
Voilà pourquoi votre fille est muette, comme dirait Molière !
Une telle présentation des relations homme/femme dans notre grande université serait d’un grand comique si elle n’était pas totalement scandaleuse.
Non pas que cette réalité n’existe pas : au contraire, toutes les personnes qui fréquentent l’université française connaissent des enseignants-chercheurs masculins (maîtres de conférence ou professeurs) qui couchent avec leurs étudiantes (c’est bizarrement moins attesté pour les enseignantes hétérosexuelles, et je manque d’informations sur les relations entre personnes du même sexe…), mais c’est rarement parce que les étudiantes sont des nymphomanes (ça peut arriver bien entendu…) : le cas le plus courant est que la relation d’autorité, masquée par l’amour commun pour tel ou tel objet d’études aussi abstrait que prestigieux, rend l’enseignant en question extrêmement désirable, surtout s’il manifeste un intérêt particulier pour les capacités intellectuelles (mais sans doute pas seulement) de l’étudiante (rarement un laideron…). La complaisance française pour les relations « incestueuses » (entre un homme d’âge mûr et une femme qui a l’âge d’être sa fille) fait le reste.
Comme CLASHES [1] le documente régulièrement, cela peut aboutir à des situations dramatiques pour les étudiantes en question, si elles ont la mauvaise idée de vouloir acquérir un peu d’autonomie ou tout simplement si elles ont cessé de plaire. Les représailles peuvent se manifester sous forme d’échec au diplôme ou de remise en cause de la thèse.
Une fois de plus, le cinéma d’auteur français camoufle (assez mal cette fois-ci) une vision masculiniste des rapports homme/femme, derrière une esthétique dont l’austérité est propre à rebuter le vulgum pecus et à enthousiasmer les « vrais cinéphiles » (comme les critiques de l’émission de France Inter Le Masque et la plume). Philippe Garrel est réputé pour son noir et blanc charbonneux et ses intrigues minimales. Ici on a la tristesse de constater que le scénariste Jean-Claude Carrière s’est prêté à l’entreprise… ça n’ajoute rien à sa gloire !
Pour pimenter l’intrigue (et fournir des emplois familiaux dont le milieu du cinéma français, autant que l’Assemblée nationale, est friand), Philippe Garrel a inventé une amitié émouvante entre la petite amie du protagoniste et sa fille, incarnée par la propre fille du réalisateur (elles ont le même âge, évidemment) : elles se font mutuellement des confidences sur leurs histoires d’amour compliquées (autrement dit elles n’ont comme sujet de conversation que les hommes : le film ne passe pas le test de Bechdel [2]). La « modernité » de la chose, c’est qu’elles ne sont pas vulgairement rivales dans l’amour du père/amant : au contraire, elles essaient de l’entourer de leur amour chacune à leur tour.
Le côté malin de ce film très narcissique, c’est qu’il suscite l’empathie du spectateur avec le personnage masculin, professeur de philosophie, alter ego de l’auteur, grâce au choix de l’acteur Eric Caravaca, dont la bonne bouille de chien battu élimine toute idée de domination masculine ou de perversion… On a seulement envie de le consoler quand il se retrouve seul à la fin : heureusement, les choses étant ce qu’elles sont, il est vraisemblable qu’il sera à nouveau harcelé par une étudiante aussi intéressante que baisable…
Inutile de dire que les femmes de l’âge du protagoniste sont totalement absentes de l’univers du film : les profs sont des hommes et les deux sexes ne sont représentés que chez les étudiants. Les femmes d’âge mûr (c’est à dire, en général, de l’âge du réalisateur) ont le bon goût d’être invisibles dans le cinéma d’auteur masculin depuis la Nouvelle Vague… On n’arrête pas le progrès !
Polémiquons.
1. L’amant d’un jour, 12 juin 2017, 18:03, par Julia
"Les femmes d’âge mûr (c’est à dire, en général, de l’âge du réalisateur) ont le bon goût d’être invisibles dans le cinéma d’auteur masculin depuis la Nouvelle Vague…"
Cela dépend de votre définition d’"âge mûr", mais tout de même, pour en rester aux films de Garrel : Monica Bellucci, 47 ans dans Un été brûlant ; Catherine Deneuve, 56 ans dans Le vent de la nuit ; Emmanuelle Riva, 56 ans dans Liberté, la nuit. Et par ailleurs, les protagonistes des films de Garrel sont souvent plus jeunes que lui-même (sauf quand lui-même était jeune).
Un peu plus de rigueur dans vos affirmations...
2. L’amant d’un jour, 14 juin 2017, 07:59, par naga
Une relation entre un vieux et une jeune n’est pas incestueuse, même entre guillemets.
Par contre, c’est une relation qui rajoute à l’inégalité de sexe l’inégalité d’âge (et bien souvent l’inégalité de position sociale), ce qui la rend encore plus problématique.
Je pense que la comparer à un inceste affaiblit la critique que l’on peut en faire. Peu importe les désirs inconscients de coucher avec sa fille ou avec son père, là n’est pas le soucis. Le soucis, c’est les potentielles violence, manipulation, contraintes... que peut amener ce type de relation.
Visibiliser tout cela ne condamne pas ce type de relation à l’avance (ou alors, condamnons toute relation hétéro), mais donne une grille d’analyse pour penser la situation. La comparer à un inceste va dans le sens d’une condamnation morale, qui n’aide en rien.
Bien à vous !
3. L’amant d’un jour, 16 juin 2017, 14:45, par Ginette Vincendeau
Moi aussi, ce film m’a mise hors de moi sur le plan de sa représentation des rapports homme-femme et, malheureusement, le charme des images noir et blanc de Garrel opère ici beaucoup moins que dans, par exemple, Les Amants réguliers sorti en 2005 (même si Louise Chevillotte est excellente).
Je voulais rebondir sur la polémique (voir naga) au sujet du rapprochement que fait Geneviève Sellier entre le couple amoureux du film interprété par Eric Caravaca et Louise Chevillotte et l’idée d’un couple "incestueux". D’une part je ne pense pas qu’il s’agisse d’une condamnation "morale" mais d’une critique idéologique d’un type de récit très courant dans le cinéma français, que l’on trouve dans des comédies de type vaudeville comme Arlette et ses papas (Henry Roussel, 1934), des classiques tels que Gribouille (Marc Allégret, 1937) avec Raimu et la très jeune Michèle Morgan, et bien d’autres en passant par l’ignoble Lemon Incest de Serge Gainsbourg (avec sa très jeune fille Charlotte) en 1984. Ce qui caractérise ces films c’est justement l’ambiguité qui est délibérement maintenue par les réalisateurs et scénaristes masculins entre les rapports amoureux et les rapports incestueux père-fille, qu’ils soient symboliques ou "réels" dans les termes du tilm. Il me semble que L’Amant d’un jour lui aussi joue ce jeu - d’une part un flou est entretenu sur le statut de l’institution (fac ou lycée ? Les deux profs masculins parlent de leurs "élèves" dans la conversation édifiante qu’ils ont sur leurs difficultés à "résister’"à leurs charmes) même si les actrices de toute évidences ont l’âge d’être étudiantes. Et le récit du film est précisément basé sur l’âge commun des deux jeunes femmes, sans parler du fait que la propre fille du réalisateur interprète l’une d’entre elles.
Enfin, sur un autre registre, en parlant de ’moralité’, on note quand même que le film adhère à des vues plutôt surannées : la fille ’qui couche’ est punie à la fin, carrément mise à la porte, et la fille ’bien’ retrouve son jeune et bel amant. Plus ça change...
4. L’amant d’un jour, 16 juin 2017, 14:56, par Chantraine Olivier
Pour éviter tout malentendu sur ce film, précisons que "le Prof" en question vit en concubinage avec une étudiante de l’âge de sa fille, après non qu’elle l’ait "harcelé sexuellement" mais dragué avec constance (si l’on s’en tient à ce qu’elle en raconte). Ils filent le grand amour ... Jusqu’à ce que leur convention non de fidélité mais de discrétion soit enfreinte ... ce que "le Prof" ne supporte pas. Car il ne veut ni "voir" ni "savoir"... pour préserver la paix du cadre dont il croit qu’il leur convient à tous deux... Et que la jeune femme, sous l’influence de la fille du prof, fait, plus ou moins involontairement, éclater...
La scène de baise dans les toilettes est avec un étudiant de 25 ans, et non avec le Prof en question.
D’autre part, l’absence de "femme mûre" renvoie au veuvage du prof-père. Cette femme mure n’apparait pas à l’écran mais elle un personnage à part entière du film.
Ce dernier, le père-prof n’est pas le personnage principal du film... Ni non plus le plus intéressant. Sa jeune compagne est beaucoup plus complexe et énigmatique. Beaucoup plus volontaire et active d’autre part...
C’est la fille qui est cependant en position de narratrice et aussi de regard à la fois transitif et réflexif sur les autres personnages. Fille dont les amours ouvrent l’histoire, par une rupture amoureuse et la referme quand elle retrouve son amant (de son âge).Fille qui d’autre part contribue à réorienter son amie et confidente vers sa classe d’âge... On peut entendre les conversations entre les deux jeunes femmes comme "ayant pour objet les hommes"... Pourtant, c’est surtout d’elles-mêmes qu’elles parlent, les hommes étant surtout pour elles l’objet d’expériences...