La lesbienne invisible a fini par se faire voir
L’amour est-il vraiment extraordinaire ? Lorsqu’il est à l’écran, il devient souvent fantasque, dramatique, parfois majestueux bien qu’illusoire et pourtant, il est bel et bien commun au plus grand nombre. Là où d’autres mettent en scène un fantasme, Cyprien Vial et Océanerosemarie jouent la sobriété du quotidien.
Il n’y a rien de spectaculaire à voir deux femmes s’aimer : elles se rencontrent, se plaisent, s’embrassent, se déchirent et se réconcilient. La révolution d’un couple lesbien dans une comédie romantique française s’efface à la faveur d’un scénario au ton léger. Les femmes sont capables d’aimer, même sans les hommes, il n’y a rien d’extraordinaire à cela.
Océanerosemarie joue une lesbienne trentenaire bien entourée, surtout d’anciennes petites amies. Elle rencontre Cécile (Alice Pol), dont elle tombe immédiatement amoureuse et décide de se défaire de son passé de don juane fêtarde. Difficile, quand le passé s’invite aux repas de famille, aux fêtes d’anniversaire ou au travail. Ce personnage à la fois drôle et touchant avec lequel on ne peut s’empêcher d’être en empathie, incarne en réalité la force de l’indépendance féminine. Alors que les métiers du soin sont généralement attribués aux femmes pour conférer un caractère altruiste à leur personnage, le métier d’Océanerosemarie (ostéopathe) met davantage en évidence sa propre force physique. Finit l’infirmière qui panse les plaies du soldat en écoutant ses peines, notre protagoniste prend ses patients à bras-le-corps, de la délicate et frêle grand mère à l’imposant boxeur déchu, elle fait craquer les os et s’échauffer les muscles. Elle n’est donc pas seulement bienveillante, elle est aussi vaillante.
Elle répare les corps et brise les cœurs. Don Juan est enfin une femme. Une femme avec une sexualité libérée et visible. Alors que dans son premier spectacle, Océanerosemarie jouait la lesbienne invisible, elle porte ici fièrement l’étendard du lesbianisme. Quelques stéréotypes subsistent, la longue liste d’ex-petites amies et l’infidélité par exemple, mais ils ne nuisent en rien au subtil militantisme LG (et non LGBT) qui se glisse dans ce film.
Militant oui, mais pas sans légèreté. Les femmes sont pour une fois les instigatrices de l’humour. Elles n’ont plus peur du ridicule (qui en passant, ne les tue pas non plus) et osent se défaire du paraître, trop souvent dévolu aux femmes, pour faire rire. Le soin ne réside plus dans l’artifice mais dans l’effort. Personne ne se maquille, tout le monde court. Le sport est pour une fois une affaire de femmes. Qu’elles dansent, fassent de la gym ou du jogging (et surtout du jogging), elles bougent et le résultat est hilarant. En témoigne une scène de danse où Océanerosemarie essaye maladroitement de séduire Cécile en improvisant une chorégraphie aussi burlesque qu’épatante. Le corps est un rouage dans la mécanique du rire et il aura fallu tout ce temps pour qu’on autorise les femmes à s’en servir à des fins comiques.
Le seul bémol n’est pas tant dans le film que dans ce qu’il exacerbe : les beaux rôles féminins se trouvent encore là où les hommes ne prennent pas place. La sororité libère les femmes mais la cohabitation est toujours impossible avec la gente masculine à l’écran. Peu importe me direz vous, puisqu’il y a si peu de femmes libres et fortes au cinéma, réjouissons nous d’en voir autant réunies sous la même affiche, donnons leur un pupitre et que ce film fasse résonner leurs voix.
>> Voir la critique de Geneviève Sellier