Le Front National : la faute des femmes ?
Il n’était pas encore sorti en salle que le dernier film de Lucas Belvaux recevait déjà les foudres du FN. Chez nous raconte l’histoire de Pauline (Emilie Dequenne), candidate aux élections municipales de la ville de Hénart pour le parti du Rassemblement National Populaire (un pastiche du Front National).
On aurait pu se réjouir que Lucas Belvaux choisisse une femme comme personnage principal d’un film politique quand il aurait pu classiquement s’appuyer sur la confiance morale communément (bien qu’injustement) accordée aux hommes sur ce type de sujet. Toute exception aux conventions patriarcales est la bienvenue. Cependant, rien ne nous empêche de remettre en question la manière dont il le fait. Offrir une représentation des femmes ne garantit pas que l’on serve un discours féministe. En l’occurrence, avec ce film, Belvaux prouve que l’on peut construire une histoire autour d’un personnage féminin et pour autant continuer d’alimenter un modèle de représentation obsolète, réducteur et néfaste.
Pauline est naïve. Elle croit en tout, ne se méfie de rien, ne cherche pas à comprendre. Infirmière à domicile au milieu des corons, elle accepte de représenter un parti politique d’extrême droite sans se soucier d’avoir un programme. D’ailleurs, elle n’en a pas besoin puisqu’elle ne parle jamais, elle n’a rien à défendre ni à déclarer. Belvaux a fait d’elle une femme témoin de tout et actrice de rien.
On a d’ailleurs bien du mal à croire qu’elle ait pu être élevée par un père communiste étant donné la facilité avec laquelle Berthier (André Dussollier), un médecin d’extrême droite au discours caricatural, réussit à la faire changer de bord en un repas. Une scène de quelques minutes où, entre l’entrée et le plat principal, Pauline passe de l’extrême gauche à l’extrême droite, sans réflexion, sans raison. Belvaux n’essaye même pas de lui trouver des excuses – celles qu’on entend tous les jours de la part des fans de Marine Le Pen.
On aurait aimé y croire. Croire que ce personnage féminin muet et influençable se réveille à la faveur d’un twist féministe, une révolte intérieure qui la ferait tout remettre en question et se retourner contre le parti. Eh bien, on devra y renoncer. Après s’être fait teindre les cheveux en blond pour coller à l’image du RNP, s’être fait traiter de « tête de gondole », s’être mise à dos son père, Pauline finit bel et bien par quitter le parti. Sauf que, stéréotype oblige, c’est l’amour qui lui dicte cette décision. Lorsque la manipulation du RNP touche au peu d’intimité qui lui reste, au couple qu’elle forme avec Stanko (Guillaume Gouix), un « ancien » facho, elle décide enfin de demander des comptes à ceux qui la contrôlent avec tant d’aisance depuis le début du film. À cette occasion, le RNP lui révèle le « passé » fasciste de son compagnon. Pendant quelques instants, elle se retourne contre lui mais finit par croire en la rédemption par l’amour et lui pardonne l’impardonnable (nazisme, violences, crimes, etc.). Elle quitte le parti et file passer de beaux jours avec son petit ami facho. Ce qui signe l’une de ses deux seules actions dans le film. La seconde est tout autant orchestrée par l’amour. Lorsqu’elle découvre que Stanko n’a pas quitté le groupe fasciste comme il l’avait promis, qu’il continue de violenter des migrants, elle met enfin un terme à sa relation. On ne saura jamais si c’est le mensonge ou le dégout du fascisme qui lui a fait prendre cette décision.
Lorsqu’on est une spectatrice un tant soit peu féministe, face à Pauline, on a envie d’arracher son siège. Et puis, on se rappelle qu’elle n’est qu’un personnage inventé et mis en scène par un homme, alors la colère se déplace. On ne pense plus à s’énerver contre elle pour avoir fait passer toutes les femmes pour des enveloppes vides, on préfère se tourner vers son créateur. Belvaux a fait de Pauline une victime. Loin d’être une héroïne féministe, elle incarne et alimente la représentation désuète des femmes impuissantes et sans cervelle. On ne peut que constater la vacuité du personnage qui offrait pourtant l’opportunité à Belvaux de participer à une déconstruction des modèles de représentation des femmes au cinéma. À croire que lorsqu’il s’agit de jouer un personnage principal désarmé et inopérant, les femmes ont bel et bien, toujours, leur place à l’écran.
Polémiquons.
1. Chez nous, 2 avril 2017, 02:05, par Chloé
Je suis tout à fait d’accord -et bien contente- de lire une telle critique. Je pense qu’on pourrait se pencher encore plus sur la position de Pauline dès le début du film, et la légèreté avec laquelle elle aborde certains sujets. J’ai été d’abord choquée par la scène du barbecue du début du film qui laisse libre cours aux moqueries racistes et qu’elle les accepte, ainsi que par sa visite chez sa patiente musulmane, qui respire la condescendance de la femme blanche envers la femme arabe opprimée par son mari (on ne saura d’ailleurs jamais rien de la situation de cette famille, si ce n’est que le réalisateur a tout de même l’air de l’enfermer dans une sorte d’obscurantisme). Et enfin comme vous l’avez souligné, à la position de Pauline par rapport à Stanko.
Ainsi, je reprocherais aussi au film une très grande complaisance envers son héroïne. Alors qu’il semble vouloir souligner les modes manipulatoires par lesquels opèrent le RNP, il me semble qu’il met en scène un personnage chez qui les caractéristiques même du parti sont latentes, la rendant tout autant désagréable que les gens qui réussissent à l’"embrigader".