Bac Nord est un polar « musclé » qui suit une unité de la BAC (brigade anti-criminalité) dans les quartiers nord de Marseille, présentés comme un territoire hors-la-loi, régi par la violence et le trafic de drogue. Malgré le texte d’usage au début du film, selon lequel il s’agit d’une fiction, la publicité autour de Bac Nord, ainsi que les déclarations du réalisateur Cédric Jimenez, ont largement fait le rapprochement avec des faits réels qui datent de 2012 : des officiers de la BAC nord marseillaise ont été impliqués dans des trafics de drogues pour leur propre compte. Dans la réalité, les policiers ont été en partie disculpés, quoique des doutes subsistent (de même pour l’affaire du Commissaire Neyret à Lyon). Le film par contre tranche nettement en faveur de ses héros flics.
Bac Nord nous entraîne dans le quotidien d’un trio de policiers très soudés, Greg (Gilles Lellouche), Yass (Karim Leklou) et Antoine (François Civil) que l’on nous présente comme frustrés par le fait qu’ils n’arrivent à rien en raison du décalage entre leurs piètres moyens (en personnel, véhicules, armes) et la violence qui règne dans des cités multi-raciales comparées à « Bagdad ».
Lorsque leur chef, Jérôme (Cyril Lecomte), leur ordonne d’être plus efficaces et de « faire du chiffre », ils se lancent dans la collecte de 5kg de drogue – par des méthodes parfois discutables – pour rémunérer l’indicatrice d’Antoine, Amel (Kenza Fortas) qui peut les mener à débusquer une filière importante. Malgré la réussite de la mission, les trois policiers sont accusés de corruption par l’IGN (police des polices) et incarcérés. Abandonnés par leur chef, ils « craquent » en prison, Greg en particulier. Yass met alors la pression sur Antoine pour qu’il livre l’indicatrice. Celle-ci est arrêtée et les trois policiers disculpés quoique brisés par l’affaire.
Bien que les quartiers en question connaissent un niveau de criminalité très élevé, Bac Nord offre une vision manichéenne et complaisante de flics héroïques confrontés à des hors-la-loi d’une violence verbale et physique caricaturale. Le film débute pourtant sur un mode relativement léger, mélange de film de banlieue style La Haine (Mathieu Kassovitz, 1995) et Les Misérables (Ladj Li, 2019) et de comédie policière du genre Les Ripoux (Claude Zidi, 1984) : des scènes montrent, sur un mode ludique, les trois policiers qui exploitent leur position pour manger et boire gratuitement dans les quartiers qu’ils sont censés surveiller, et se livrent à des poursuites grisantes en moto ou en voiture. On note cependant que, contrairement à ces films de banlieue, Bac Nord ne fait preuve d’aucune empathie pour les populations de ces quartiers, bien que le réalisateur dise en être originaire. Changement de ton avec le raid sur l’immeuble qui abrite les dealers, où l’on passe au film d’action macho, style western urbain. La longue scène de l’assaut, vue par Jimenez comme un « film dans le film » , qui rappelle la fin déjà controversée de Dheepan (Jacques Audiard, 2015) ou des Misérables (Ladj Ly, 2019), transforme les trois policiers en justiciers armés jusqu’aux dents, confrontés à des délinquants vus comme des hordes de sauvages prêts à tout.
Même un adolescent apparemment sans lien avec les trafiquants se révèle violent : lorsque Yass se réfugie dans l’appartement où un garçon vit avec sa mère (connotée maghrébine), le gamin va chercher un couteau à la cuisine et le poignarde. Tout est donc fait pour nous ranger du côté des trois héros, d’autant plus qu’après avoir affronté un ennemi potentiellement mortel, ils sont trahis par leur hiérarchie. Nos braves policiers sont peut-être délinquants sur les bords, mais les véritables criminels sont dans les échelons supérieurs et dans les cités.
Par ailleurs, le film s’efforce de nous présenter ces combattants de choc comme des hommes « vulnérables ». Greg, célibataire bodybuildé, barbe de trois jours et cheveux ras, est celui qui craque le premier en prison. Antoine (mini queue de cheval et cheveux peroxydés) pleure lorsqu’il doit livrer son indicatrice à la police ; la fin du film le montre reconverti en infirmier de prison. Yass, en couple avec la jolie Nora (Adèle Exarchopoulos), est un jeune papa.
Comme souvent dans les buddy movies (films de copains), les vertus féminines – douceur, empathie – sont endossées par des personnages virils mais les femmes n’existent pas. La fonction du personnage de Nora, bien qu’elle soit employée à la police (dans un bureau) est uniquement d’avoir un enfant. Nous la voyons perdre les eaux, puis le film passe directement à une scène de beuverie où les trois copains fêtent bruyamment le fait que Yass est devenu papa ; de Nora à l’hôpital, puis de ses efforts pour combiner maternité et vie professionnelle, on ne verra rien. De même, le fait que l’indic d’Antoine, Amel, soit une jeune femme n’est absolument pas exploité, sinon pour en faire le maillon faible de l’intrigue. On ne la voit jamais dans son milieu ni réussissant (on se demande comment) à berner de redoutables trafiquants de drogue sans se faire prendre. Dans le rôle d’Amel la jeune actrice Kenza Fortas, révélée par Shéhérazade (Jean-Bernard Marlin, 2018), tout comme Adèle Exarchopolous, est donc totalement sous-employée, réduite à un rôle décoratif. On objectera que ceci n’a rien d’étonnant dans un polar. Si, en fait, car Bac Nord traduit aussi le retard du film policier français sur son équivalent américain, où des actrices comme Sandra Bullock, Scarlett Johansson ou Jessica Chastain ont pu avoir des rôles de premier plan dans des films d’action – ou bien, pour rester dans l’hexagone, du film policier sur les séries policières : voir Laure Berthaud (Caroline Proust), tête d’affiche de la série Engrenages (2005-2019) ou Corinne Masiero dans Capitaine Marleau (depuis 2014). Il serait temps que le cinéma français comprenne que les spectatrices et spectateurs ont aussi envie de voir à l’écran des femmes flics.