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Ann Sirot et Raphaël Balboni /2021

Une vie démente


Par Geneviève Sellier / samedi 18 décembre 2021

Un jeune couple face à la mère atteinte d'Alzheimer

Une vie démente est le premier long-métrage d’un couple de cinéastes belges (il/elle ont déjà réalisé ensemble 8 courts-métrages) qui s’attaque à la maladie d’Alzheimer ; le sujet a été traité récemment sur un mode dramatique dans The Father de Florian Zeller.

Une vie démente prend un parti complètement différent, à la fois sur le plan esthétique, narratif et politique : contrairement au patriarche tyrannique incarné Anthony Hopkins, ici la malade est une femme, Suzanne, brillante et sympathique sexagénaire qui dirige une galerie d’art contemporain ; elle materne gentiment son fils Alex et Noémie, sa compagne, couple trentenaire qui décide d’avoir un enfant. Mais la fantaisie de Suzanne prend un tour inquiétant (Alex découvre qu’elle dépense littéralement sans compter…). Elle réagit comme une enfant capricieuse aux remarques de son fils et bientôt le diagnostic tombe : elle est atteinte de démence sémantique (une sorte d’Alzheimer dont elle est inconsciente). Le jeune couple est bientôt totalement absorbé par le souci de Suzanne, et Alex demande à Noémie de sursoir au projet de bébé… Même après avoir trouvé un aidant aussi gentil que compétent qui s’installe chez Suzanne, Alex est totalement occupé par sa mère, et Noémie finit par le quitter pour pouvoir vivre à nouveau pour son compte.

Les étapes de la maladie sont tristement prévisibles, de l’agitation extrême à l’abrutissement provoqué par les médicaments, mais les cinéastes ont fait le choix d’une sorte de happy-end, quand Alex parvient à accepter que sa mère soit retombée en enfance et à l’accompagner dans ses projets inoffensifs, tout en reprenant le cours de sa propre vie avec Noémie, qui se concrétise bientôt par un bébé. Cette fin pourra sembler discutable à ceux et celles qui ont (eu) à affronter une situation comparable : il n’y a pas de happy-end avec les maladies dégénératives…
Tous les acteur/rice·s sont formidables (et inconnu·e·s en France), en particulier Jo Deseure qui joue Suzanne : la méthode de travail des cinéastes qui repose sur l’improvisation y est sans doute pour quelque chose. Si le film pose un regard empathique sur tous les personnages, on peut regretter que l’aidant soit un homme (Gilles Demiche), contrairement à la vraisemblance statistique… (il y avait le même problème dans Intouchables, où le rôle de l’aidant était tenu par Omar Sy, dans un registre aussi spectaculaire qu’invraisemblable).

L’originalité du film tient surtout à son traitement esthético-narratif : l’irruption d’images poétiques transfigure cette histoire tragique, en la mettant en harmonie avec la personnalité de Suzanne, tout entière consacrée à l’art, à la recherche de la beauté. Le revers de la médaille, si l’on peut dire, c’est que les questions sociales et économiques sont évacuées : les dettes pourtant conséquentes de Suzanne sont remboursées par son fils, dont on en ne comprend pas bien d’ailleurs de quoi il vit.
À part quelques incursions dans la galerie d’art, tout le film se passe dans la (belle) maison de Suzanne agrémentée d’un jardin, où le couple semble vivre aussi…

Sans doute fallait-il ces petits embellissements pour rendre cette histoire supportable… et transmettre l’idée que l’on peut essayer d’accompagner les personnes malades, sans cesser de vivre soi-même. Belle idée : encore faut-il avoir les moyens économiques de la mettre en œuvre…


> générique


Polémiquons.

  • Une ode à la vie qui ne peut se déployer harmonieusement (apparition d’une nouvelle génération) que si et seulement si il y a, à la fois, un respect de l’altérité de l’Autre (cette mère atteinte de sénilité) et de la recherche partout du beau (les dessins d’une enfant sont des œuvres d’art) en se méfiant des conventions toujours castratrices.
    Film poétique de part ses trouvailles cinématographiques : la progression de la maladie étant représentée par la désagrégation d’une œuvre d’art (performance réelle d’une artiste belge) et l’envahissement de la chambre à coucher du couple par le motif florale de la couette. Film à l’humour doux.
    Une utopie ? Sans doute. Mais une utopie joyeuse.
    Film à voir absolument en ces temps inquiétants.

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