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Gilles Perret / 2022

Reprise en main


Par Geneviève Sellier / vendredi 4 novembre 2022

Une utopie sociale réaliste


Après vingt ans de documentaires, y compris avec François Ruffin (J’veux du soleil ! en 2019 et Debout les femmes ! en 2021), Gilles Perret passe avec succès à la fiction. Cette réussite s’explique par le lien très étroit entre l’histoire racontée et son auteur, y compris le cadre impressionnant de la vallée de l’Arve (Haute-Savoie) dont Gilles Perret est natif. Fils d’ouvrier, il a fait des études d’ingénieur avant de se tourner vers le cinéma. Il ressemble donc comme un frère à ses trois héros : Cédric (Pierre Deladonchamps) est ouvrier qualifié, comme son père (Rufus), dans une usine de décolletage (fabrication de pièces métalliques de haute précision pour l’industrie automobile et aéronautique) dont la direction cherche à faire baisser les coûts face à une compétition internationale de plus en plus rude, et négocie en sous-mains la vente de l’usine à un fonds « vautour », avec licenciements à l’appui.

Cédric et ses deux copains de lycée, l’un cadre bancaire (Grégory Montel), l’autre petit entrepreneur sous-traitant (Vincent Deniard), décident de racheter l’usine, avec l’aide d’un « conseiller financier » (Finnegan Oldfield) que Cédric a rencontré à la faveur de son sport favori, l’escalade. Julie (Laetitia Dosh), l’assistante de direction, qui a fait contrairement à ses copains de lycée, un brillant parcours universitaire, finit par leur révéler les projets de vente de l’usine, choquée par le cynisme du directeur (Samuel Churin). Ils trouvent des fonds en forçant la main de la fille de l’ancien patron, qui cache ses millions dans divers paradis fiscaux. À l’issue d’une course d’obstacles que l’on suit comme un thriller, ils parviendront à réaliser leur projet.
Cette histoire de copains de lycée qui créent un fonds d’investissement pour racheter l’usine du coin, en utilisant les mêmes martingales que les requins internationaux qui convoitent l’usine, est une utopie, mais une utopie réaliste : le film fonctionne comme un mode d’emploi à l’usage de tous ceux qui veulent lutter contre la Finance (plus efficacement que François Hollande !)

Contrairement à ce que pourrait laisser croire la bande annonce, le film n’est pas vraiment une comédie, même si on rit souvent : c’est le récit d’un affrontement entre des « travailleurs » et le « grand capital », mais dans les formes les plus contemporaines, et sans nostalgie pour l’autrefois. On en sort avec plein d’énergie et pas mal de jubilation, contrairement à d’autres films sur le même sujet, comme En guerre (2018) de Stéphane Brizé, qui se termine par le suicide du héros…

Le film co-écrit avec Marion Richoux, évite tout manichéisme. Personne n’est exemplaire, et même le directeur qui gère sans état d’âme l’usine tout en préparant sa revente, dépend de ses patrons à Londres qui finissent par le licencier… L’assistante du directeur qui, elle, est du coin, met d’abord ses compétences remarquables au profit des actionnaires, avant de se retourner contre ses patrons pour rester dans la vallée et sauver l’usine. Laetitia Dosch qui s’est fait connaître par des rôles de femme non conformiste dans des films de réalisatrices, comme La Bataille de Solférino (2013) de Justine Triet, Jeune Femme (2017) de Léonor Serraille, Passion simple (2020) de Danielle Arbid d’après Annie Ernaux, endosse avec efficacité et humour ce rôle d’executive woman à qui il ne faut pas en conter (y compris face aux remarques machistes de ses anciens copains de lycée).

Le trio de copains est très convaincant, en donnant une image pas forcément exemplaire des comportements masculins (la beuverie qui inaugure leur projet), avec une mention particulière pour Pierre Deladonchamps dont Gilles Perret dit qu’« il a donné plus de rondeur au personnage tel qu’il était écrit, et au final on a plus d’empathie pour Cédric qu’il interprète ». Depuis L’Inconnu du lac (2013) d’Alain Guiraudie et Nos années folles (2017) d’André Téchiné, il dessine une masculinité dominée et queer, assez nouvelle dans le cinéma français. Grégory Montel, qui s’est fait connaître dans la série Dix pour cent avec un personnage de loser, continue ici avec bonheur dans la même veine.

Toutefois on peut regretter l’effacement des autres personnages féminins, en particulier Marie Denarnaud qui incarne Nathalie, la femme de Cédric, mère de leurs deux enfants. C’est une très bonne idée de nous avoir épargné une romance pour enjoliver l’histoire, mais pour autant on aurait aimé que ce personnage ait plus de consistance. Et choisir de faire incarner par une femme, Sophie Cattani, l’héritière qui cache les millions de la vente de l’usine paternelle dans des paradis fiscaux, est d’autant plus discutable que le monde de la finance reste quasi exclusivement masculin.

Comme quoi, la présence d’une femme au scénario (Marion Richoux dont c’est le premier travail dans ce domaine) ne garantit pas un traitement équitable des personnages féminins, surtout si la scénariste est dans un rapport de forces trop inégal avec le co-scénariste et réalisateur.


générique


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