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Pedro Almodovar / 2016

Julieta


>> Geneviève sellier / mercredi 15 mai 2019


Julieta est focalisé sur un personnage féminin principalement défini par son destin de mère. L’histoire, pleine de rebondissements mélodramatiques, est racontée en grande partie à travers un récit en flash-back. Sans nouvelles de sa fille depuis de nombreuses années, Julieta entreprend de lui faire le récit de sa vie depuis sa naissance, pour essayer de renouer. C’est un récit structuré par la culpabilité d’une mère que sa fille a reniée.

Curieusement, les « fautes » dont la narratrice s’accuse indirectement concernent principalement son rapport aux hommes : à cause de son manque de compassion quand elle était jeune, un homme d’âge mûr se suicide au début de son récit. Des années plus tard, parce qu’elle a reproché à son mari d’avoir eu une longue liaison avec une de leurs amies, il part en mer par gros temps et y perd la vie.

Julieta sera punie par l’éloignement affectif de sa fille puis sa disparition volontaire, alors qu’elle a entièrement construit sa vie autour d’elle. Présentée au début de son récit comme une brillante enseignante de lettres classiques, Julieta devient épouse et mère à plein temps, s’installant dans la maison de son mari pêcheur. On ne saura d’ailleurs pas comment elle survit après la mort de son mari, mais Almodovar n’en a cure : son héroïne ne l’intéresse que comme mère, mais surtout comme mère malheureuse : la mort de son mari coïncide avec l’éloignement affectif de sa fille adolescente. Le récit elliptique ne s’attache qu’aux moments où l’héroïne est soumise à des épreuves ou à des révélations qui l’accablent. Cette mère qui ne paraît vivre que pour sa fille, subit la peine suprême d’une rupture, sans savoir pourquoi sa fille l’a abandonnée (on apprendra avec elle à la fin que sa fille a voulu la punir d’avoir provoqué la mort de son père).

Il y a une dimension sadique dans ce récit qui nous fait assister au progressif anéantissement d’une femme qui semble au début du flash-back pleine de vie et de séduction et qu’on voit peu à peu se transformer en ombre d’elle-même (elle est incarnée par deux actrices différentes correspondant à sa jeunesse et à son âge mûr et le passage d’une actrice à l’autre a lieu juste après la mort du mari : l’actrice d’âge mûr promène un masque tragique qui ne varie quasiment jamais). Ce qu’elle nous raconte de sa vie à travers le récit qu’elle en fait pour sa fille, ressemble à un calvaire, comme si elle devait expier une faute originelle qui serait d’avoir manqué à la mission qu’Almodovar assigne aux femmes : s’occuper des hommes, de tous les hommes, dans un esprit de dévouement où ne doit pas entrer leur propre désir. Elle croit que l’amour maternel la met à l’abri des déceptions, mais une justice immanente se charge de la détromper.

Ce film ravive un très ancien stéréotype misogyne de notre culture qui consiste à reprocher aux femmes d’être soit des « mauvaises mères » soit des « mères abusives », et souvent, comme dans ce film, les deux à la fois, tout en leur assignant la maternité comme seul destin.
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