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Euphoria, saison 1 : une fiction inclusive


>> Sarah Belhadi / mercredi 21 août 2019


On a récemment découvert sur HBO Euphoria qui reprend la formule de la série pour adolescent.es avec une attention particulière pour représenter ceux/celles qui sont régulièrement invisibilisé.es dans ce type de production. Le rôle principal est tenu par une actrice afro-américaine, Zendaya, (surtout connue des productions Disney jusque-là), qui joue Rue, une jeune fille à la sexualité non définie, et dépendante aux stupéfiants. Parmi les personnages qui gravitent autour d’elle, on trouve une jeune fille transgenre, Jules, interprétée par l’actrice Hunter Shafer (ayant fait elle-même sa transition). L’identité trans du personnage est à la fois centrale et secondaire : elle est nécessairement un élément déterminant dans son existence mais par ailleurs, Jules est confrontée aux problématiques ordinaires des adolescent.es, comme le désir de plaire, à travers les mêmes usages : l’utilisation à outrance des réseaux sociaux et des applications de rencontre. A un détail près, sur lequel la narration insiste : en tant que jeune fille trans, Jules s’expose à davantage de dangers en acceptant de rencontrer les personnes avec qui elle échange : risque qu’elle choisit de prendre en toute conscience pour ne pas totalement renoncer à sa vie affective.

Au cours du premier épisode, une scène particulièrement dérangeante illustre ce risque : Jules se rend dans un hôtel miteux pour rejoindre un homme bien plus âgé qu’elle et dont elle a fait connaissance le même jour par Internet. Leur rencontre se solde par un rapport sexuel brutal que Jules subit plus qu’elle ne le désire… Dans une scène postérieure, alors qu’elle s’apprête à rejoindre de nouveau un homme qu’elle ne connaît pas, Rue tente de la dissuader, ce à quoi Jules objecte qu’elle ne jouit pas du privilège de faire des rencontres dans l’espace public où elle est exposée à la transphobie.

Parmi les personnages secondaires, on trouve aussi Kat (Barbie Ferreira) une jeune fille ronde qui permet à la série d’attirer l’attention sur la difficulté de ne pas correspondre aux canons de beauté dominants. Au sein d’une société qui socialise les jeunes filles à travers leur capacité à exciter les hommes, Kat se croit disqualifiée et tente d’y remédier en devenant « cam girl » : derrière son écran d’ordinateur, elle échange des prestations sexuelles contre de l’argent.

Le traitement de ce personnage montre également la pression mise sur la virginité des adolescentes, dont il s’agit avant tout se débarrasser : au cours d’une scène où Kat discute avec trois autres garçons, ils/elle abordent leurs expériences sexuelles respectives, et la jeune fille, pour ne pas avouer qu’elle est inexpérimentée, accepte un rapport sexuel qu’elle vit davantage comme une injonction sociale que comme une expérimentation de son désir. Dans cette scène, la discussion expose la vision binaire qu’entretiennent les adolescents vis-à-vis des filles, qu’ils divisent en deux catégories : les salopes et les prudes. Kat veut appartenir à la première catégorie, car c’est aussi dans celle-ci que ses amies Cassie et Maddy (Sidney Sweeney et Alexa Demie) sont rangées par leurs camarades masculins. Cassie et Maddy arborent des corps que les normes dominantes qualifieraient de parfaits. Néanmoins, contrairement à la représentation attendue des « bimbos », elles sont investies d’une complexité inhabituelle. Elles participent à une critique de la stigmatisation des femmes attirantes, qui sont souvent présentées comme des aguicheuses écervelées. Au contraire, dans Euphoria, elles sont présentées comme conscientes du pouvoir que leur confère leur apparence, et Maddy plus particulièrement sait l’utiliser pour servir ses intérêts. Cependant, cette lucidité n’empêche pas les violences auxquelles elles sont exposées. Cassie est stigmatisée du fait d’être sexuellement émancipée et Maddy est agressée par son compagnon, Nate (Jacob Elordi).

Regard ambigu sur la masculinité toxique

Euphoria possède son personnage de sportif sexy dont les séries états-uniennes pour adolescent.es raffolent. Il s’appelle Nate Jacobs, arbore un physique imposant, et, trait classique de ce type de personnage, il dispose d’une impunité totale, notamment dans l’exercice de la violence.

Pourtant la série essaie de ne pas enfermer ses personnages dans des stéréotypes : ainsi Nate est décrit comme un garçon torturé, dont la violence s’exprime en réponse à un cumul de traumas provenant notamment de la figure paternelle. Celui-ci mène une double vie, le jour il est un père de famille modèle ; la nuit, il se rend dans des hôtels miteux pour rencontrer des jeunes gens, souvent mineurs, et pratiquer une sexualité brutale.

La manifestation de la violence est généralement associée à une relation toxique, abusive ou à un passé traumatique. Cependant, réactiver le stéréotype du brun ténébreux à travers un personnage extrêmement violent (Nate agresse trois personnages au cours de la saison, dont un très grièvement et avec préméditation) participe à une esthétisation de la violence dont sont coutumières les productions audiovisuelles. On pourrait citer American Psycho, dont la série semble s’être inspirée pour concevoir la chambre de Nate, aux teintes sombres et à l’ambiance aseptisée, exactement comme l’appartement de Patrick Bateman (le personnage principal d’American Psycho). Par ailleurs, Nate est caractérisé par des traits qui le rendent attirant pour des générations biberonnées au stéréotype du mâle dominant : corps baraqué, regard ténébreux et attitude menaçante (Taxi Driver, Scarface...). Et son inclination pour la violence est justifiée par la souffrance qu’il endure, en lien avec sa relation toxique au père et son incapacité à la verbaliser. On en viendrait presque à le plaindre lui, plutôt que ses victimes…

Sexualité des adolescents

« Votre génération offrait peut-être des fleurs mais réveillez-vous on est en 2019, les photos dénudées sont la devise de l’amour. » C’est ainsi que la voix-off (celle de Rue) commente les pratiques sexuelles des adolescents 2.0, alors qu’une vidéo de Cassie circule parmi des garçons rigolards. Elle ajoute : « Cessez de nous humilier. Humiliez plutôt les connards qui créent des sites de mineures à poil. »

La série aborde la sexualité des adolescent.es avec un certain réalisme et sans fausse pudeur, dans la lignée d’autres productions sur ce sujet, comme Skin, Scam ou encore tout récemment Sex education. Dans Euphoria une attention particulière est portée à l’élaboration de personnages qui malmènent l’hétéro-normativité. Dans une scène où Maddy s’interroge sur l’orientation sexuelle de Nate après avoir découvert des photos de pénis dans son téléphone, Cassie affirme que la sexualité est un spectre, suggérant une certaine fluidité dans les attirances que l’on peut ressentir. L’attirance qu’éprouve Rue pour Jules n’est pas nommée et encore moins interrogée : elle est montrée comme la chose la plus naturelle du monde, ce qui a pour effet de déloger l’hétérosexualité de sa place de norme par défaut.

D’autre part, l’influence des images pornographiques sur les pratiques sexuelles des adolescents est montrée au cours d’une scène où Cassie et son petit-copain McKay (Algee Smith) s’apprêtent à avoir une relation sexuelle, lorsque celui-ci devient violent, arrache les vêtements de Cassie et la brutalise sans même avoir conscience de ce qu’il fait.

La narration s’arrête alors et la voix-off, celle de Rue toujours, propose un commentaire de cette scène, avec images de film porno à l’appui. Selon ce commentaire, les schémas de domination masculine empreints de brutalité de la production pornographique, sont en partie responsables de la façon dont les garçons pratiquent leur sexualité. Après cet intermède, la scène reprend et Cassie, bien qu’un peu secouée, explique à McKay pourquoi il ne peut pas se comporter ainsi. McKay (qui est par ailleurs régulièrement soumis aux injonctions à la masculinité toxique par son entourage) comprend et applique les recommandations de Cassie. Mais une autre scène réunissant ces deux personnages dans l’intimité, montre McKay redevenir violent, après avoir été humilié et malmené par des hommes qui simulent sur lui une relation sexuelle sur le mode du bizutage. Le caractère homophobe de cette attaque est explicité par le fait que les agresseurs déforment le prénom de McKay en McGay. Cette scène montre comment la violence machiste s’exerce à l’intérieur même des cercles masculins, et se déplace ensuite sur les femmes qui deviennent le réceptacle des frustrations subies.

Par bien des aspects, Euphoria apparaît donc comme une production innovante qui traduit avec beaucoup de justesse les préoccupations de la jeunesse actuelle, tiraillée entre le cynisme d’une génération trop connectée et l’apprentissage maladroit des relations amoureuses. Si on excepte une critique un peu tiède de la figure du mâle dominant, le traitement des personnages dans Euphoria apporte une véritable respiration dans l’univers de la série pour adolescent.es, d’autant plus que la mise en scène et la direction artistique sont particulièrement exigeantes.


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