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Jérome Bonnell / 2021

Chère Léa


Par Geneviève Sellier / vendredi 31 décembre 2021

Encore un homme qui souffre !


C’est l’histoire d’un type qui court après sa vie, qu’elle soit professionnelle ou privée. Il s’est fait virer par sa maîtresse après avoir enfin quitté sa femme pour elle, mais trop tard. Son entreprise se débat avec un investisseur escroc qu’il n’arrive pas à coincer. Il voit grandir de loin son fils de onze ans, sans avoir prise sur lui.

Après une soirée trop arrosée, Jonas (Grégory Montel) se retrouve au petit matin à sonner chez Léa (Anaïs Dumoustier), trente-quatre jours après leur rupture (c’est lui qui les a comptés). Suivent récriminations et dernier élan passionnel avant qu’il se retrouve dans la rue, incapable de partir : il s’installe dans le café d’en face et guette les fenêtres de Léa, tout en décidant de lui écrire. Cette lettre qui finit par faire quinze pages, et dont nous ne saurons rien, lui vaut l’attention du patron du bistrot (Grégory Gadebois) qui la lit par-dessus son épaule. Tout en écrivant, Jonas observe les habitués de ce café, dont le pittoresque est peut-être un peu trop appuyé… Il est interrompu par les coups de fil de son associé qui l’attend de plus en plus impatiemment, de son ex-femme à qui il ne répond pas, et par les coups d’œil qu’il donne aux fenêtres de son ex, quelquefois ouvertes pendant qu’elle chante (elle prépare un concert de Lieder de Schumann). Jonas va passer la journée à essayer de quitter ce lieu pour y revenir chaque fois, jusqu’à ce qu’il se retrouve à l’hôpital, victime d’un malaise vagal.

Le réalisateur Jérôme Bonnell, également auteur du scénario, explique : « J’avais commencé la note d’intention par cette phrase : “ C’est pas la gloire d’être un homme. ” Je voulais interroger la fragilité du masculin, l’insupportable indécision des hommes, trop peu traitée au cinéma, à part, peut-être, par Truffaut dans La Peau douce… Mon personnage met mille ans à quitter sa femme, mille ans à revenir vers sa maîtresse, mille ans à se séparer d’un associé véreux. C’est l’histoire d’un homme qui fait tout trop tard. »

C’est l’histoire d’une rupture racontée du point de vue du type qui s’est fait larguer. Rien de tel pour rendre émouvant ce personnage, d’autant plus qu’il est incarné par un acteur tout en rondeur sympathique, Grégory Montel : celui-ci s’est fait connaître dans la série Dix pour cent, où il joue un agent particulièrement maladroit, gentil et lâche, dans sa vie professionnelle comme dans sa vie privée. Il continue ici dans la même veine, ce qui permet de laisser hors-champ les raisons pour lesquels sa maîtresse a rompu, et ce qu’il a fait subir à sa femme (Léa Drucker) avant de la quitter.

Cette comédie sentimentale a beaucoup de qualités, en particulier la direction d’acteurs et l’épaisseur des seconds rôles (Grégory Gadebois, Léa Drucker, Nadège Beausson-Diagne), et aussi la combinaison de principes narratifs classiques (unité de lieu, de temps et d’action) avec l’importance accordée au « hors-champ » : la lettre de quinze pages que Jonas écrit à Léa et dont on ne connaîtra pas le contenu.

Mais on peut s’interroger sur cette façon de laisser hors champ tout ce qui a trait au comportement de Jonas vis-à-vis de sa maîtresse et de sa femme. Quelques allusions sont faites par le patron du café qui observe le manège de Jonas, sur leur différence d’âge (Anaïs Dumoustier a dix ans de moins que Grégory Montel) et la crise de la quarantaine… mais le comportement de Jonas, typique de la domination masculine (prendre une maîtresse plus jeune sans quitter son épouse, mère de son fils, qui se retrouve de fait à en avoir la garde quand son mari finit par la quitter), ne sera jamais mis en question puisqu’il reste invisible. Ce que nous voyons, c’est un type au bout du rouleau, qui ne maîtrise plus rien de sa vie et qu’on ne peut que plaindre… Le réalisateur appelle ça « interroger la fragilité du masculin »… On peut y voir aussi un récit de déploration qui masque la domination persistante de la gent masculine.


>> générique


Polémiquons.

  • A l’époque des multiples "MeToo" ce film semble être un phénomène de blacklash : les femmes et les enfants souffrent, les hommes aussi.
    J’aurais du suivre ma première impression .... ne pas voir ce film.

  • Rien qu’en observant l’affiche, on voit qu’il y a un problème. Le titre met en valeur une femme (sans doute pour attirer un public féminin et faire plus d’entrées), mais la photo est centrée sur le personnage masculin. Le personnage féminin est flou et incomplet. On voit bien que c’est l’homme et son regard (sa vision) qui sont au centre et que le personnage féminin n’est qu’un faire-valoir... comme souvent. Depuis que je fréquente ce site, je fais attention à ce genre de détails. Bref pas besoin de ce genre de tisane, qu’on nous fait boire depuis l’enfance. Janvier, c’est détox !

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