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Eric Gravel

A plein temps


Par Geneviève Sellier / samedi 2 avril 2022

Trop, c'est trop!


Au fur et à mesure que se déroulait sur l’écran le film A plein temps, j’étais de plus en plus mal à l’aise devant ce que je qualifierais de sadisme du réalisateur vis-à-vis de son personnage : Laure Calamy incarne une mère de deux enfants habitant en grande banlieue, femme de ménage dans un palace parisien, confrontée à une grève générale des transports au moment où elle tente de décrocher un emploi plus au niveau de sa qualification (elle a fait un master de gestion). Dans le même temps, elle doit faire face aussi à la défection de la femme âgée qui garde ses enfants avant et après l’école, elle décide de louer un trampoline pour l’anniversaire de son fils, fête où elle invite toute sa classe ; le père absent ne répond plus au téléphone et ne paye plus la pension alimentaire ; et surtout, elle est absolument seule pour faire face à cette avalanche de problèmes : elle évite sous prétexte de surmenage sa seule amie (Agathe Dronne) ; le père d’un des enfants qui semble s’intéresser à elle, fuit devant son baiser ; elle est dénoncée par ses collègues de travail quand elle s’absente pour aller à un entretien d’embauche ; elle se fait brutalement licencier (le droit de travail n’existe pas dans ce palace ?) et sa carte de paiement est refusée. Et la recruteuse qui devait la rappeler est en déplacement… Et tout ceci pendant une grève générale des transports parisiens… C’est d’ailleurs cette circonstance particulière qui trahit son auteur : il ne s’agit pas de décrire « objectivement » les difficultés des femmes ordinaires, mais d’inventer les conditions exceptionnelles qui transforment ces difficultés en cauchemar… Finalement, en se fantasmant comme deus ex machina, après l’avoir écrasée sous cette avalanche d’emmerdements, dans un geste typique d’auteur démiurge, Eric Gravel lui accorde sa grâce : dans le dernier plan, elle reçoit un coup de téléphone lui annonçant qu’elle est embauchée…

Ce procédé qui consiste, sous prétexte d’illustrer le tragique de la condition humaine, à écraser le/la protagoniste dans une suite implacable de malheurs petits et grands, était déjà celui qu’employait Eric Rohmer dans Le Signe du lion en 1962, où un très antipathique musicien d’avant-garde vivait une véritable déchéance jusqu’à la clochardisation dans un Paris désert au mois d’août, avant que l’auteur ne lui accorde la rédemption finale d’un héritage inattendu.

Soixante ans plus tard, la protagoniste d’A plein temps est en revanche une icône des temps modernes, une travailleuse de la « première ligne », qui élève seule deux enfants en bas âge, incarnée par la très sympathique Laure Calamy, dont la performance dans Antoinette dans les Cévennes a été unanimement célébrée.

De là à ce que le film soit perçu comme féministe, il y a pourtant un grand pas que nous nous garderons de franchir : en effet ce qui manque à ce personnage, c’est la conscience de sa situation et la capacité d’agir : dans une tradition misérabiliste qu’on peut faire remonter à Zola, les pauvres sont montrés comme des victimes certes, mais surtout comme des créatures ballotées par des forces qui les dépassent et sur lesquelles il/elles n’ont aucune prise : souvent même, il/elle.s en rajoutent involontairement dans leur malheur (la location d’un trampoline où le petit garçon va se casser le bras). La façon même dont Julie/Laure Calamy est filmée, constamment en train de courir, ou travaillant à toute vitesse, sans la moindre pause ou le moindre échange autre qu’utilitaire, la construit comme un être totalement aliéné à sa condition. La caméra d’Eric Gravel est celle d’un entomologiste qui scrute son personnage comme un insecte dont on s’amuse à éprouver les réflexes à des fins d’expérimentation.

Sous prétexte de montrer les difficultés auxquelles se heurtent les femmes dans la société contemporaine, certains cinéastes (masculins) se plaisent à les plonger dans les situations les plus extrêmes, à leur faire subir les pires avanies, avant de les sauver in extremis… On trouve le même schéma dans L’Étreinte de Ludivic Bergery (2020) où Emmanuelle Béart, veuve et sans ami.es ni famille, incarnait la solitude extrême d’une femme de 50 ans. Un des indices de cette vision masculine et surplombante de la « condition féminine » est l’absolue solitude dans laquelle ils enferment leur personnage, évacuant de leur histoire la pierre angulaire de l’émancipation féminine contemporaine : la solidarité entre femmes.


générique


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Polémiquons.

  • D’après les études sociologiques le nombre des familles monoparentales a augmenté. Elles sont tenues majoritairement par les mères. Cette situation génère un appauvrissement. Seule la femme doit faire face à l’adversité familiale, professionnelle, sociétale. Chaque fin de mois est problématique. Y- a-t-il la possibilité d’un espace de liberté ? J’en doute.
    Le réalisateur crée un film pour montrer en 1h30 la réalité de ce quotidien en filmant son héroïne au cours de quelque jour. Pour engerber toutes les problématiques il introduit un grain de sable, la grève des transports en commun, qui génère une situation de chaos dans la vie de cette femme. Chaos dont elle est la seule à subir les conséquences (elle protège ses enfants).
    De plus dans le premier quart du film nous comprenons qu’elle a subit un déclassement social (ancienne cadre elle occupe un emploi de femme de ménage dans un hôtel de gamme supérieure, responsable du travail d’autres femmes de ménage et formatrice des nouvelle). D’où son obsession pour changer d’emploi (même au pris de nouvelles contraintes drastiques professionnelles).
    Bref spectateur nous suivons au plus près cette héroïne du quotidien au cours de ses journées au rythme effréné. Un condensé de la vie d’une femme des classes populaires à la tête d’une famille monoparentale.
    De la solidarité entre femmes. D’une manière générale entre la fin des temps et la fin du mois le choix est vite fait.
    Mais de plus, en France, j’ai un doute : lors des manifestations de la journée de la femme, dans ma petite ville de province, j’ai toujours été surpris du nombre de femme manifestant très inférieur à celui de leurs homologues entrant et sortant simultanément de chez zara, des galeries lafayettes et autres lieux de consommation majoritairement féminine. D’autre part, campagne présidentielle oblige, il est surprenant de voir des femmes dans l’assistance zemmourienne qui est un personnage au masculinisme reconnu et affirmé. De même dans les assemblées le penniène dont le conservatisme sociétal est avéré, force est de constater la présence de la gente féminine au détriment d’une certaine idée de l’égalité homme-femme.
    Pour résumer, j’ai un doute quant à la réalité de la solidarité féminine quotidienne en France.
    Donc un film au sujet d’une héroïne du quotidien, une combattante, certes réalisé par un homme mais qui a le mérite d’exister sans sombrer dans le misérabilisme en respectant la dignité de son personnage principal.

  • ... car on ne peut pas être "au four et au moulin"

    Pour avoir vécu ce qui est décrit du film, je peux témoigner que la solidarité féminine ne peut tout simplement pas s’exercer, (en dehors du privilège d’avoir une famille soudée et géographiquement proche) car l’immense majorité des femmes est surmenée !
    Les mères isolées, mais aussi les autres.
    (Sans compter, comme dit Philippe ci-dessus, l’absence de conscience politique de certaines femmes, ou leur conditionnement à se positionner en rivales avec les autres femmes).
    C’est le souci de ce ’mouvement social’ qui n’en est pas un, faute des forces vives qu’il faudrait pour pouvoir l’animer (selon Bourdieu : il n’y pas de politique sociale sans un mouvement social capable de l’imposer).
    Les mères solos (les plus désavantagées), comme j’ai coutume de dire, ne sont même pas la 5eme roue du carrosse social, elles sont les petites victimes de la route : hérissons et mulots écrasés, qu’on laisse agoniser sur le bas côté.
    Comment se dresser, comment militer, comment aider les autres femmes quand on est au bord du gouffre, courant après le temps et le sommeil ?
    Et quand on a un peu de répit, quand on est en couple, sans difficulté particulière (seulement des difficultés ordinaires de femme = surcharge de travail domestique, éducatif, devoirs de ’baisabilité’ et de soins aux autres, etc. etc.), il faut être une sainte pour avoir envie de consacrer le peu de temps ’libre’ qui reste pour se mettre en danger et aller militer ! En danger, oui, car quelles sont les récompenses, au quotidien, pour le militantisme féministe ? Aucune. Rejet, moqueries, violences, désillusions, ... what else ?
    Une récompense possible : celle de sa conscience d’avoir oeuvré pour un monde meilleur. Encore une fois, ce genre de considérations n’est pas à la portée de tout le monde, et c’est humain.

    En tout cas, même si la monoparentalité revêt des réalités très différentes d’un foyer à l’autre, ces femmes qui courent et courent encore, et pour qui chaque jour est une guerre, elles existent !

    Je profite de l’occasion pour partager ici le lien vers un mémoire de Master 1 de sociologie sur la monoparentalité. Avec des témoignages.
    https://www.alchimiesolidarite.com/wp-content/uploads/2020/06/Au_four_et_au_moulin.pdf

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