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Alain Berliner / 2014

Un fils


>> Olivier Chantraine / dimanche 16 avril 2017


Réalisateur : Alain Berliner / scénariste : Raphaëlle Roudaut


Le mercredi 12 avril 2017, sur France 2, des centaines de milliers de téléspectateurs ont regardé le téléfilm « Un fils », réalisé par Alain Berliner, film précédé dans les programmes de télévision d’une présentation soulignant le caractère « sensible » du sujet et rappelant le « prix d’interprétation féminine » reçu au festival de la fiction de La Rochelle en 2014.

Une dimension pédagogique est même suggérée. On a une mission de service public ou on n’en a pas !

Un prix d’interprétation féminine pour un film dont le titre désigne un protagoniste masculin peut intriguer. C’est que si le « fils » fait le titre du film, il n’est pas pour autant le personnage principal, comme d’ailleurs il n’apparaît ni comme un personnage complexe, ni comme un caractère fouillé, encore moins un sujet analysé.

C’est tout juste, ce fils, le héros d’une « banalité » de la vie de lycéen : un brave petit fils de bonne famille, qui, pour gagner un pari, viole une camarade, tout en filmant son exploit pour pouvoir le prouver.

Malheureusement pour lui, la jeune fille s’inquiète le surlendemain, auprès d’une association d’aide et d’écoute d’obtenir une « pilule du lendemain ». À cette occasion elle laisse deviner ce qui lui est arrivé à « l’écoutante » qui n’est autre que… la mère de son violeur ! La télévision vous réserve de ces surprises !

C’est là que le personnage et le sujet principaux du film nous apparaissent dans tout leur pathétique, car « le fils » n’existera ensuite dans le film que par le regard et le vécu de sa mère, perdue dans sa souffrance, écartelée entre une éthique professionnelle et personnelle encombrante et l’amour inconditionnel que la « nature » lui fait porter à son fils. Elle sera admirable : lui seul comptera ! Quoiqu’il en coûte à quiconque. Ô l’amour d’une mère…

Cette mère est, tout au long du film, le support d’identification des spectateurs. Elle est, nous dit l’actrice Michèle Laroque en interview, « une louve qui redevient animale pour défendre son petit ». On voit et/ou on ne voit pas, qu’avec ses yeux à elle. C’est sa subjectivité qui sera le fil rouge de la narration.

On découvrira « la vérité » quand elle-même visionnera la séquence vidéo où « le fils » a enregistré son exploit (le viol) pour authentifier la réussite du pari… (Ha, ces petits, quand ils sont dans un jeu, ils oublient toute prudence !). Et avec elle, le scénario mettra, dès sa découverte, ce document de côté, à l’abri, pour un certain temps… La justice ni la victime ne seront destinataires de cet unique document tangible et véridique d’un crime que la justice et la société ont nié et nieront toujours à celle qui en a été victime…

Cet autre personnage, la jeune fille qui a été violée par ce « fils », est manifestement elle aussi un personnage très secondaire. Elle sera trompée et manipulée par la « mère », abusant sordidement de son rôle d’écoute et de conseil, avec la complicité de sa hiérarchie, qui saura toujours regarder « ailleurs ».

Mais ces événements qui la concernent n’intéressent le réalisateur et la production qu’en tant qu’ils sont des moments de souffrance et de tiraillement pour la malheureuse « mère », et, on a peur un moment qu’ils puissent valoir à celle-ci une désapprobation sociale, sur son lieu de travail et même par une voisine peu compréhensive ! Heureusement – ouf ! – sur ces deux lieux ça s’arrange très vite.

« Hystérique », l’autre mère, celle de la jeune fille, viendra brièvement demander des comptes, mais – ouf, là aussi – son intrusion dans les locaux de l’association sera brève, et rapide son éconduite. La comédienne jouant l’autre mère n’a d’ailleurs reçu aucun prix pour un rôle à la limite de la figuration…

Pourtant la police sera enfin récipiendaire d’une plainte et viendra poser des questions, ce qui donne lieu à une scène épouvantablement émouvante, où des flics insensibles menottent une mère dont le seul tort est de s’interposer violemment pour empêcher l’arrestation de son fils… lequel est impitoyablement… conduit au poste pour interrogatoire ! Sous le regard de ses parents, de son frère et de sa petite sœur !

L’épisode judiciaire se résumera à quelques interrogatoires.

La jeune fille, dont la mère de son violeur, sous couvert de son rôle d’écoute, a su retarder toute démarche médicale en temps utile, sera vaincue par une institution policière et judiciaire qui conclura « faute de preuves » à un « classement sans suite ».

La réalisatrice n’a pas jugé utile de filmer l’annonce de cette décision judiciaire à ces personnages secondaires que sont la victime du viol et la mère de cette victime… À moins que ce soit la production qui n’ait pas souhaité voir traiter cet aspect annexe de l’intrigue principale.

C’est au contraire par une scène dans la seule famille intéressante, celle de la mère du violeur, que le spectateur est soulagé : parents et enfants communient dans la joie de la fin des poursuites, en partageant un excellent vin rouge, dans des verres de standing.

La victime déboutée par le procureur ne recevra un peu de secours amical et médical que lorsqu’elle fera une tentative de suicide dans les toilettes de son lycée…

À cette occasion pourtant la médecine ne s’intéresse qu’à suturer les veines coupées, à sauver la jeune fille d’elle-même… Personne ne fouille plus avant pour savoir de quelle aide cette victime pourrait avoir besoin, quelle justice il faudrait lui rendre. Même autour de cette circonstance du suicide, la vox populi restera dans la ville et dans le lycée à la gloire, ou au moins en la faveur, du mâle, soit, pour une partie machiste du public, en héros d’un acte viril, soit, pour une partie tout « naturellement » misogyne, en malheureux qui est tombé dans les griffes d’une « allumeuse »…
Ce n’est qu’après que le violeur est définitivement tiré d’affaire judiciairement que la mère partage enfin « son secret », c’est à dire la vidéo dont elle a été recéleuse tout au long de la procédure judiciaire, avec le père. Elle entreprendra alors, enfin tranquille du côté judiciaire, son « action éducative » en s’employant à « bien faire comprendre » à son fils que « quand c’est non, c’est non ». À la manière d’un message publicitaire de prévention. Et surtout, dit-elle en aparté à son mari et au public, parce qu’elle a très peur qu’il ne « recommence ». Imaginez qu’elle doive revivre tout ça !

Cette action « éducative » tardive conduite sous la forme d’une tendre pression psychologique suffit à désorienter le pauvre violeur, le conduisant à un simulacre de fugue, et… à manquer une partie de cerf-volant ! Heureusement son absence sera de courte durée : le brave petit réapparait avec la bonne nouvelle à la bouche : « Il a envoyé une lettre à sa victime pour demander pardon. » Et tenez vous bien, la simple évocation de l’envoi de cette lettre vaut pour « happy end » ! Toute la petite famille, y compris la petite sœur – qui est pourtant parfois filmée en gros plan un peu désemparée –, fusionne, rassurée et réconciliée avec le bonheur d’être ensemble, dans la chaleur de chaudes embrassades, dont le « fils » miraculé par sa lettre de pardon n’est pas le moindre récipiendaire.

Les 90 minutes imparties à un téléfilm étant écoulées, on ne saura pas ce que la jeune fille a pensé de cette lettre, ni ce qu’elle en a fait… Dans un monde un peu moins verrouillé par la protection des mâles abusifs, elle irait au commissariat avec cette lettre d’aveu… Et la justice serait bien obligée de rouvrir les yeux et le dossier. La production n’a pas voulu s’encombrer de telles complications.

Les interviews ici et là dans les magazines de télévision feignent de croire que le message du film serait : « Quand une femme dit non, c’est non ». Ça trompera peut-être quelques personnes. Mais le message est en fait : faute avouée est à moitié pardonnée, bien sûr, mais n’avouez pas avant d’être en sécurité ! Et… un petit viol au début de sa carrière sexuelle n’est pour un jeune homme de bonne famille qu’un faux pas facile à se faire pardonner, du moins de sa famille, ou plutôt de sa mère, la seule personne qui compte : il suffit de faire une lettre, de demander pardon. Quant au point de vue de la violée ? Circulez, il n’y a rien à voir… Une femme doit savoir pardonner !
Pourtant, on vous dit que ce personnage de « mère » est touchant, bouleversant ! Si ça ne marche pas sur vous, c’est sans doute que vous n’avez pas de cœur…

Ce téléfilm a peut-être néanmoins un certain intérêt sociologique. Il fait une bonne description de la coordination unanime des institutions familiale, d’aide sociale, policière, scolaire, judiciaire et même médiatique pour mettre l’éteignoir sur le viol ordinaire et protéger les mâles de bonne famille des conséquences de leurs actes.
Est-ce pour faire passer ce message réaliste que la télévision a programmé ce téléfilm « sensible et pédagogique » ?


>> générique

Polémiquons.

  • Découverte par hasard, cette critique d’un téléfilm que je n’ai pas vu ( Un fils) parait d’une extrême finesse et justesse. Elle étonne pour ces deux raisons et provoque un grand réconfort.
    L’auteur s’est attaqué à l’analyse d’un film très retors à cause du conflit des valeurs qu’il met en jeu. Avec une simplicité déconcertante, une assurance qui ne se dément pas du début à la fin, le critique démêle les fils, évite les pièges et aboutit à l’issue d’une démonstration parfaite, à la conclusion implacable : la collusion des différentes institutions pour mettre " l’éteignoir sur le viol ordinaire et protéger les mâles de bonne famille des conséquences de leurs actes."
    Si cette analyse est aussi réconfortante c’est qu’elle s’inscrit dans un contexte où une telle lucidité est fort rare. Je voudrais donner un exemple, celui d’un film qui date de deux ou trois ans et dont j’ai malheureusement oublié le titre. France culture en avait fait la promotion en invitant le réalisateur. Celui-ci s’était montré si convaincant dans son affirmation qu’il avait eu pour but de faire un portrait de femme
    aussi nouveau que profondément féministe que je m’étais aussitôt précipitée pour aller le voir.
    Le portrait était celui d’une jeune femme prostituée, battue, trompée, rançonnée qui ne cessait d’en redemander et léchait la main du tortionnaire . La pute au grand coeur, très nouveau en effet.
    Quant aux mâles , il s étaient aussi bien traités, des brutes sordides et sans scrupules.
    Ces deux clichés étaient tellement énormes, à la mesure de ma confiance dans la critique du cinéma le mercredi, à France culture, que j’ai douté un moment de ma raison.
    Je n’ai retrouvé ma sérénité qu’en trouvant sur internet la longue analyse indignée d’une femme au milieu de commentaires inodores et sans saveur.
    Bref, Le Genre et L’Ecran avec sa critique féministe des productions audiovisuelles est fort nécessaire et bienvenu.

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