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Catherine Corsini / 2018

Un amour impossible


>> Geneviève Sellier / mardi 6 novembre 2018


Après la tentative réussie de ressusciter les années 1970 dans La Belle saison (2015), autour d’une histoire d’amour entre deux femmes, l’une de la ville, l’autre des champs, Catherine Corsini nous plonge dans la décennie précédente, celle des années 1960, en adaptant le livre autobiographique de Christine Angot, Un amour impossible, dédiée à sa mère.

Contre toute attente, Virginie Efira, qui nous avait habitué·e·s à un registre plus léger (20 ans d’écart, Un homme à la hauteur, Victoria), incarne avec un mélange de retenue et de rayonnement solaire, Rachel, la mère de l’écrivaine, depuis sa rencontre à vingt-six ans avec l’homme qui deviendra le père de sa fille, jusqu’à son troisième âge (le vieillissement du personnage est figuré avec vraisemblance grâce à un maquillage discret…).

C’est suffisamment rare pour être souligné : au lieu de nous raconter comme d’habitude une histoire d’amour où la passion est sensée suspendre les rapports de domination, le film parvient à faire sentir la domination de genre et de classe qui structure cette histoire d’amour depuis le début : on voit à la fois la fascination réelle que ce jeune bourgeois provisoirement déclassé par un séjour dans une prison militaire, éprouve pour cette jeune femme splendide avec qui il joue les mentors, tout en s’immergeant dans une relation d’une sensualité sans doute aussi nouvelle pour l’un que pour l’autre ; et on voit aussi la jeune Rachel découvrir des mondes culturels et des pratiques érotiques étrangères à son milieu modeste et provincial (ça se passe à Châteauroux) ; mais dès le départ, leur relation est inégale, même si leur histoire d’amour est montrée comme parfaitement sincère.

Catherine Corsini réussit le tour de force d’être constamment en empathie avec son personnage féminin, malgré la confiance aveugle qu’elle manifeste en ce jeune bourgeois arrogant qui lui fait un enfant tout en lui expliquant avec le cynisme tranquille de l’époque qu’il n’est pas question qu’il l’épouse, étant donné la différence de leurs conditions sociales.

Le comédien franco-canadien Niels Schneider, qu’on a vu récemment dans Diamant noir, joue l’amant avec toute l’ambivalence nécessaire pour qu’on puisse croire à leur relation. Après quelques mois d’une passion torride, il lui annonce que son stage prend fin et qu’il rentre à Paris : tout ce qu’il lui propose, c’est de demander sa mutation (elle travaille à la Sécurité sociale) et de prendre une chambre à Paris où il viendra la voir quand il pourra ; mais il n’est pas question qu’il la présente à sa famille… Quand elle lui apprend qu’elle est enceinte, il lui répond qu’il prend des vacances en Italie… Ce n’est que le début des rebuffades qu’elle aura à subir.

Le film raconte le poids extraordinaire des préjugés sociaux dans la France des années 60, l’engagement total de la jeune femme dans sa relation amoureuse, puis son pragmatisme pour assumer seule sa fille, grâce aussi à la solidarité familiale, le bonheur de la relation fusionnelle entre la mère et la fille jusqu’à la réapparition du père quand l’enfant a quatorze ans, et le saccage qui va s’en suivre – Angot a raconté dans L’Inceste et Une semaine de vacances les abus sexuels que son père lui a fait subir–… enfin la réconciliation finale entre la mère et la fille. La durée (plus de trente ans) est restituée à travers les décors de cuisine en particulier (nous sommes dans un monde féminin et populaire), sans jamais tomber dans la reconstitution patrimoniale, et grâce à la succession des incarnations très réussies de la jeune Chantal (Corsini a modifié les noms et les prénoms), jusqu’à celle, magnétique, de Jehnny Beth, qui incarne la narratrice dans le présent du récit.

L’adaptation du récit de Christine Angot représentait un défi, à cause de sa durée et de la complexité des sentiments qui s’y tressent, que Catherine Corsini a relevé magistralement. La voix off de la narratrice n’empêche pas les non-dits (comme dans le récit d’Angot). Tout au plus peut-on regretter que Corsini ait trop peu gardé des moments de bonheur fusionnel entre la mère et la fille, que raconte le livre… mais il faut saluer cette représentation d’une subtilité et d’une force exceptionnelle d’une histoire familiale où les affects sont exprimés sans camoufler les rapports de domination sociale et genrée.


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