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Dan Fogelman / 2016

This is us


>> Aurore Renaut / mercredi 28 juin 2017

Série étatsunienne
Un mélodrame masculin


Le genre du mélodrame a depuis ses débuts été associé au féminin : qu’il s’agisse des personnages principaux mis en scène ou du public auquel il s’adresse en premier lieu. Il y a toutefois toujours eu des exceptions et des mélodrames ont pu placer des hommes au centre de la représentation (que ce soit les mélodrames muets de Frank Borzage dès l’époque du muet, certains Minnelli dans les années 50 ou les personnages de pères éplorés de plus en plus fréquents dans les fictions contemporaines).

This is us est un mélodrame affirmé : diffusé sur un network national (NBC), le programme se veut familial et émouvant. Il n’échoue pas à la tâche : on a souvent les larmes aux yeux en regardant la première saison où l’on suit l’histoire de la famille Pearson et de leur trois enfants – deux naturels et un adopté – à différentes étapes de leur vie. La série propose une chronologie originale qui mélange constamment différentes temporalités : si le pilote s’ouvre sur la naissance des enfants Pearson, on fait ensuite un bond dans la chronologie pour voir Kevin, Kate et Randall déjà grands, puis on les suivra individuellement dans leur vie d’adulte avant de revenir au couple initial des parents au moment de l’arrivée des triplés, et ainsi de suite. Série de qualité, This is us l’est par sa narration ambitieuse, son casting convaincant mais aussi ses dialogues souvent très justes et justement salués par la critique.

Ce qui est plus surprenant, c’est le traitement même du mélodrame proposé par la série. Dans les hauts et les bas que connait le couple formé par Jack et Rebecca Pearson (Milo Ventimiglia et Mandy Moore), force est de constater que la sympathie va, assez souvent, au personnage masculin. Et pourquoi pas, rien n’empêche les scénaristes, en toute bonne foi, de créer un personnage masculin plus sympathique que sa compagne féminine. Mais il est plus gênant de constater combien cette répartition d’attributs positif/négatif est déterminée par des critères genrés curieusement distribués.

Quelques exemples : lorsque Jack et Rebecca se rendent compte des aptitudes particulièrement exceptionnelles de leur fils adopté, Randall, si la proposition de lui faire intégrer une école privée pour surdoués est d’abord formulée par la mère, c’est Jack qui in fine prendra la décision et la présentera à son fils dans une très belle scène, pleine d’amour entre les deux. L’idée appartient à la mère mais l’exécution et les lauriers reviendront au père.

Dès l’origine, c’est d’ailleurs bien Jack qui prend la décision d’adopter Randall à la maternité après la perte de leur troisième enfant, les scénaristes le présentant tout de suite comme un personnage à la fois décideur et nourricier.

Porter une faute

Abandonné à la naissance par son père junkie, Randall grandit entouré de l’amour parfois maladroit de ses nouveaux parents. Mais on apprend un peu plus tard qu’au moment de quitter la maternité, le « vrai » père de Randall, William (Ron Cephas), a croisé Rebecca qui a tenté de l’interpeller. Rebecca connaît l’identité de William mais ne partagera pas cette information avec son mari. Et pour cause. Elle portera seule la faute de ne jamais l’avoir avoué à son fils adoptif, même après que William, de nouveau sobre, sollicite l’autorisation de voir Randall. Jack n’étant pas dans la confidence (de manière bien pratique, il était parti chercher la voiture lorsque Rebecca et William se sont croisés), il est sauvé d’une décision déchirante dont son fils, après avoir retrouvé la trace de son père biologique à l’âge adulte, ne se remettra jamais vraiment. Et en voudra profondément à sa mère. Mauvaise mère, Rebecca ? Le doute plane, mais pas pour Jack.

Alors, père parfait Jack ? Non, le scénario prend bien soin de lui donner un défaut, de taille : les années passant, il se met à boire. Mais contrairement à la mère « égoïste » qui ne veut pas avouer à son fils que son père naturel ne l’a pas oublié, l’alcoolisme de Jack est tout au long de la série perçu comme un signe de sa difficulté à faire face : seul à ramener un salaire à la maison, à pourvoir aux besoins d’une famille de 5 personnes, il est en but à des responsabilités qui sont présentées, à raison, comme difficiles à gérer. L’alcoolisme de Jack est d’autant moins une vraie « faute » au sens moral, qu’il semble être l’une des raisons de sa mort accidentelle, évoquée à plusieurs moments de la saison 1 mais pas encore explicitée dans le dernier épisode. Il faudra attendre la saison 2 pour en savoir plus, mais si cette hypothèse était avérée, comment en vouloir à un personnage pour une faute qu’il va payer de sa vie ?

Encore une faute

Quand on évoque le genre du mélodrame, on pense tout de suite au sacrifice des femmes (accompagné ou non de la mort d’un enfant comme c’est le cas au début de This is us), souvent des mères, que ce soit Joan Crawford qui assume le meurtre de son mari à la place de sa fille dans Le Roman de Mildred Pierce ou encore Joan Fontaine qui sacrifie son amour pour le talentueux mais volage pianiste viennois interprété par Louis Jourdan dans Lettre d’une inconnue. Si This is us reprend ce motif mélodramatique, il le décale, là encore, sur le personnage du père. Bien sûr, le sacrifice maternel est aussi présent : Rebecca doit renoncer à sa carrière de chanteuse pour élever ses enfants et devient une mère au foyer débordée avant de tenter de relancer sa carrière lorsque Kevin, Kate et Randall seront adolescents. Malgré tout, c’est le personnage de Jack (son nom est d’ailleurs Pearson = Pierce’son ? certainement une coïncidence mais qui en fait le digne héritier des héroïnes mélodramatiques des années 30 et 40) qui endosse les grandes vertus du genre : lui aussi son sacrifice est d’abord professionnel. Il doit renoncer à son désir de monter sa propre entreprise et accepte finalement l’offre de son meilleur ami, Miguel, de travailler pour lui pour assurer un revenu confortable à sa famille. Le personnage de Miguel deviendra par la suite un meilleur ami ambigu quand on découvrira qu’il a finalement épousé la veuve de Jack, mariage qui sonne comme un adultère ou comme une « faute » qui pèse encore et aussi sur Rebecca.

Au-delà du sacrifice professionnel relativement équilibré entre l’homme et la femme, Jack est plus globalement le personnage sacrifié de l’histoire : on apprend rapidement dans l’un des grands écarts chronologiques qui est la signature de la série qu’il est mort accidentellement dans la force de l’âge et devient ainsi la figure disparue, chérie par ses enfants et particulièrement par sa fille, Kate, qui vit, à trente ans passés, avec ses cendres sur la cheminée. Kate a grandi dans un amour-jalousie pour sa mère trop belle et, adulte obèse (le scénario semble laisser penser qu’elle l’est devenue par réaction), elle admet ne pas être très proche de celle-ci. C’est bien Jack, le père idéal, qui est le modèle parental indépassable.

Les hommes pleurent

Au-delà du personnage de Jack, les autres pères de la série sont aussi des hommes au fort caractère sacrificiel. Il y a William qui a accepté de ne plus revoir son fils, se soumettant à l’injonction de Rebecca et donc au pouvoir castrateur de la mère, mais aussi Randall, fils adoptif de Jack et comme son image répliquée, qui veut tout assumer : une carrière brillante et lucrative, une femme qui ne travaille pas, des filles qu’il aime tendrement et bientôt un père biologique qu’il retrouve malade d’un cancer en phase terminale. Mais Randall ne montrera pas la même faiblesse que son père adoptif : affligé de toutes parts, il ne se met pas à boire mais fait un burn-out et s’effondre en pleurs dans son bureau (on peut ici relever que les hommes pleurent autant que les femmes dans cette série) avant que son frère ne vienne le consoler, abandonnant la pièce dans laquelle il devait se produire sur une scène new-yorkaise.

Héros sacrifiés

Décidément, le sacrifice est particulièrement masculin dans This is us. Mais on pourrait, à raison, rétorquer : pourquoi pas ? Et, en effet, il est bienvenu de voir des hommes assumer leurs émotions et ne pas avoir peur d’exprimer des sentiments qui ont trop longtemps été cantonnés aux personnages féminins. Mais le problème se situe ailleurs car, en l’occurrence, ce qui est ici donné aux hommes est, de manière parfaitement arbitraire, (presque entièrement) retiré aux femmes, faisant de This is us un mélodrame émouvant dans lequel les hommes sont des héros sacrifiés et les femmes vieillissent avec le fardeau de leur faute. Comme si, pour faire évoluer la figure du mélodrame, il suffisait d’attribuer aux femmes les défauts qui auparavant caractérisaient (presque exclusivement) les hommes.

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