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Emerald Fennel / 2021

Promising Young Woman


Bérénice Hamidi / mardi 25 mai 2021

Changer les regards sur les violences sexuelles


Si [Promising Young Woman [1] n’a obtenu que l’Oscar du meilleur scénario original après être reparti bredouille des Golden Globes, le film de Emerald Fennel a créé la surprise à plus d’un titre dans la compétition des films 2021, obtenant plusieurs nominations d’importance [2]. La nomination dans la catégorie meilleur film en particulier, fait rare pour un premier film, fait rare pour un film réalisé par une femme, est un fait inédit pour le premier film d’une réalisatrice, qui plus est affichant un féminisme de combat. Cette réception imprévue de la profession est comme en miroir de l’esthétique du film.

Construit sur une série d’effets de surprise, il tord les narrations dominantes et les récits cinématographiques imposés, y compris d’ailleurs ceux qui se veulent émancipateurs. Dans une esthétique d’apparence légère, Promising Young Woman traite avec force et finesse d’un sujet politique grave : le viol et la culture du viol. Ce sont les stratégies esthétiques et politiques du film qui vont m’intéresser, mais aussi le débat qu’elles ont suscité chez certaines critiques féministes. Ces critiques ciblent trois éléments clés du film : l’identité ou plutôt la fonction du personnage principal dans la fiction et surtout dans le schéma social des violences sexuelles ; la nature de la quête du personnage (vengeance ou justice ?) ; la fin de la trajectoire de l’héroïne et du film. Qui se venge ? De quoi ? Est-ce de vengeance qu’il s’agit ? Et qui est la « jeune femme prometteuse » du titre ? Il me semble que c’est la façon dont le film travaille les réponses à ces questions qui en fait toute la force politique et précisément féministe. Promising Young Woman entend reprendre le pouvoir sur les narrations imposées en matière de violences sexuelles, tout en mettant en lumière la place dominée à laquelle se trouve la narration qu’il propose dans le régime des représentations [3]. La réalisatrice sait qu’elle ne peut se permettre d’être « contre », qu’elle est forcément dedans, et plutôt en bas, dans l’ordre symbolique. Le film défend donc une esthétique guérillère.

Le motif de la guérilla n’est pas neuf dans les mouvements d’émancipation féministe, des Guérillères de Monique Wittig aux « Guerilla Girls ». À sa façon, Promising Young Woman aussi reprend sur le terrain esthétique les outils propres à cet art de la guerre adapté aux configurations dans lesquelles les opposants sont dans un rapport de force massivement asymétrique. Cette asymétrie en implique une autre dans les armes techniques de combat – leurre, embuscades, camouflage, comme le prône Sun Tzu dans son Art de la guerre. Le travail de sape ne peut que s’inscrire dans un temps long. Un des objectifs secondaires est d’augmenter progressivement le nombre des sympathisants, pour renverser à terme l’ordre en place – un ordre politique, économique, mais aussi symbolique.

En attendant, il s’agit de viser des cibles militaires, institutionnelles – ici, les formes de représentation qui ont colonisé nos esprits et qui sont d’autant plus puissantes qu’elles vont sans dire, tant elles ont été naturalisées. Le film infiltre les narrations hégémoniques mais, s’il se coule dans les formes existantes, il les transperce parfois, à coup de twists (retournements de situation), version esthétique de l’attaque éclair, où l’armée se fait insaisissable comme l’ombre et frappe avec la soudaineté de la foudre. Promising Young Woman dynamite les conventions et stéréotypes de genre et de genres cinématographiques, deux en particulier : la rom’com (comédie romantique), pour l’esthétique visuelle et musicale et le rape and revenge movie (film de viol et de vengeance), pour la trame narrative. Ce mixte constitue la première torsion des codes de ces deux genres, chacun étant aussi tordu de l’intérieur.

Ni rom’com’, ni revenge movie

Promising Young Woman est livré aux spectateur/trice·s emballé dans une comédie romantique : décors, costumes de l’héroïne, musique… Le film est une sorte de cupcake géant, comme ceux que l’héroïne Cassie, la trentaine encore engoncée dans des habits de jeune fille en fleur, vend dans le coffee-shop où elle végète. Enfin, ça c’est sa vie le jour, dans les creux de sa vie nocturne, sa vraie vie, celle où elle accomplit sa mission secrète. Mais, outre que les cupcakes sont toujours un peu écœurants, le glaçage est d’autant plus glaçant qu’on sait d’emblée combien il est faux et figé, croûte irisée retenant de plus en plus mal ce qui grouille en dessous. La comédie romantique n’est qu’un épisode du film, un des multiples twists, qui confronte d’ailleurs les spectateur/rice·s à l’ambivalence de leurs attentes. La comédie romantique commence quand Cassie rencontre enfin un vrai nice guy (« gentil garçon »), Ryan, croisé autrefois à la fac de médecine. Elle le retrouve par hasard, alors qu’il lui achète un café dans lequel elle crache, parce qu’il lui demande ce qu’elle fait là – comprendre, dans cette vie minable alors qu’elle était promise à un brillant avenir.

On apprend que Cassie était une des meilleures étudiantes de sa promotion, ce qui ravive la question de savoir ce qui a bien pu la faire dérailler de sa trajectoire toute tracée. Malgré ce mauvais départ, Ryan passe rapidement et haut la main son diplôme d’homme nouveau, débarrassé de l’armure toxique de la masculinité hégémonique. Humilité, humour, finesse psychologique, maîtrise du consentement et joie sereine d’acheter des tampons, tout y est, il est parfait dans le rôle du Prince Charmant 2.0.

Quand le filme égraine les différentes scènes obligées de la romance (les discussions interminables, la sortie ciné, le premier baiser, la scène d’amour et de complicité entre fous rires et ébats passionnés, la routine du quotidien en version comédie musicale sur fond de Paris Hilton), on est partagés. Bien sûr, comment ne pas se réjouir pour le personnage de cette bifurcation de l’intrigue, qui semble enfin remettre la jeune femme prometteuse sur les rails de sa vie diurne trop longtemps à l’arrêt ? Mais il faut reconnaître que la mise en pause du revenge movie frustre une attente, et qu’au fond de nous piaffe l’espoir inavouable qu’il reprenne son cours cathartique dont on aimerait savoir jusqu’où il peut aller. Cet espoir est d’ailleurs savamment entretenu par le film, qui ne livre qu’une version peu crédible, en mode clip et accéléré, de la romance. Le leurre est montré comme tel : le revenge movie va bientôt recommencer. Parce que le film est avant tout cela, on le sait dès la scène d’ouverture.

Ivre presque morte, à peine consciente, Cassie, seule au beau milieu d’une boîte de nuit, avachie sur un canapé, tailleur défait, cuisses à demi-écartées. Un groupe de jeunes cadres dynamiques la regarde, d’abord consternés. La proie parfaite, qui attend les ennuis et l’inévitable « elle l’a bien cherché » qui suivra. À vrai dire on les entend déjà ces remarques, prononcées par le petit groupe qui la mate sans complexes. Le double discours est là d’emblée, qui permet aux hommes qui le souhaitent d’agresser des femmes tout en se vivant comme des « types bien », selon la formule que le film mettra de façon répétée dans la bouche de tous les personnages, pour qualifier des hommes dont le film montre qu’ils sont par ailleurs des agresseurs.

Dans cette première scène, le nice guy qui se raconte qu’il veut juste « voir comment elle va » – tout en faisant un clin d’œil graveleux à ses amis – parait se voir dans les nobles habits du chevalier servant prêt à sauver une demoiselle en détresse.

Cela ne l’empêche pas de ramener une Cassie titubante chez lui, de lui proposer encore à boire, puis d’entreprendre de la déshabiller alors qu’elle est à moitié inconsciente et se contente de murmurer, comme dans un demi-sommeil, quelques faibles « qu’est-ce que tu fais ? ». D’un coup, la scène bascule. On n’assiste plus, impuissant, au spectacle d’un corps presque inerte aux mains d’un corps actif. Cassie ouvre grand les yeux, face caméra. Elle redresse le buste et toise le type qui n’a encore rien remarqué, tout affairé qu’il est à lui retirer sa culotte. « J’ai dit : qu’est-ce que tu fais ? » La même phrase, mais prononcée d’une toute autre voix, forte, claire, lucide, celle d’une femme en possession de ses moyens, au grand dam du nice guy/apprenti violeur.

La scène se répètera plusieurs fois, structurant la première partie du film. Dans différents lieux, avec des hommes de différents milieux car, le film le rappelle sans ostentation, le rapport prédateur aux femmes n’est pas affaire de riches ou pauvres, ni d’éducation, il est partout et le restera tant que nos sociétés resteront ancrées dans un système patriarcal qui légitime économiquement, socialement et symboliquement l’exercice de diverses formes de domination des hommes sur les femmes, et qui hiérarchise aussi les hommes entre eux. Un suspens plane sur la façon dont ce jeu dangereux va finir pour l’héroïne. On s’inquiète pour elle. La scène suivante nous rassure… autant qu’elle nous inquiète pour une autre raison. Le lendemain matin, Cassie marche pieds nus sur le bord d’une route, débraillée mais radieuse, croquant à belles dents dans un hot-dog, les joues roses comme après une bonne nuit de sexe… à moins que ce soit le meurtre de son agresseur potentiel qui l’ait ragaillardie ? La coulée rouge qui traine le long de son mollet suscite le doute.

Chaque fois, rentrée chez elle dans sa chambre d’enfant (car la jeune femme vit toujours chez papa-maman), armée de son crayon multi-couleurs, Cassie ajoute un nouveau bâton dans le petit carnet où elle tient ses comptes. Les pages sont déjà bien remplies. Autant de traits, autant de cibles atteintes. Quelle est la nature exacte de cette mission secrète ? Une quête de justice ou de vengeance ? Qu’est-ce qui la pousse à agir ainsi ? On est bien forcé de se demander si elle n’est pas quand même un peu « psycho » (cinglée) comme l’en accusent les hommes qu’elle croise. Quand les trois ouvriers de chantier qui la harcèlent mais supportent mal qu’elle se plante devant eux et les toise sans peur l’insultent, on est avec elle. Quand elle tend des pièges qui pourraient violemment se retourner contre elle, on est moins sûr de la suivre.

C’est une des forces du film de ne pas se contenter de nous confronter au continuum des violences sexistes, du harcèlement de rue au viol, comme à un spectacle extérieur. Bien sûr, Promising Young Woman nous fait éprouver cette violence en nous mettant du côté des personnes qui la subissent. Mais il nous fait aussi à quelques reprises douter des intentions du personnage et nous met en position de juger son état mental préoccupant ou ses actes excessifs, avant de clarifier les situations. Il nous fait ainsi éprouver nos réactions spontanées, nous révélant l’emprise des préjugés sexistes qui font que nous participons tous et toutes à la culture du viol [4]. C’est ce système de croyances inculquées depuis l’enfance et donc largement inconscientes qui conduit, alors que les femmes sont statistiquement victimes de la violence des hommes, à ce que le discours ordinaire accepte cet état de fait (choquant au regard des normes de nos sociétés égalitaires), mais se focalise non sur le modèle de masculinité hégémonique qui fait que les hommes se sentent autorisés à agresser, mais sur le comportement des femmes agressées. Promising Young Woman nous confronte à notre adhésion spontanée à cette culture qui est partout et donc fatalement en nous. Mais il n’est pas fatal qu’elle y reste. Pour cela, nos représentations doivent changer. La comédie romantique fonctionne à la fois comme un appât pour attirer les spectateur/rice·s et comme une preuve dans la démonstration du film. Les représentations comptent et certaines formes culturelles diffusent l’air de rien des stéréotypes sexistes.

La sociologue Julia R. Lippman [5] a récemment montré que les spectatrices de ce genre de films avaient un seuil élevé d’acceptation du harcèlement, le justifiant au nom d’une forme d’idéalisation romantique. On reste jusqu’au bout dans cette esthétique, mais le film sape l’inconscient sexiste du genre de l’intérieur. D’abord, parce que le happy end a un goût amer – la scène de mariage attendue sera interrompue par l’arrestation du marié. Ensuite, parce que dans ce cadre visuel et sonore se déploie une tout autre trame narrative qui joue, elle, avec les codes d’un genre quasi opposé.

Promising Young Woman tord aussi le rape and revenge movie. Le premier décalage est esthétique, puisque l’apparence de la comédie romantique est préservée jusqu’au bout. Mais c’est surtout l’héroïne qui marque l’écart. D’habitude, dans ce genre de film, après une première existence de jolie jeune femme et une première fin, celle de la proie laissée pour morte, le personnage renait de ses cendres et opère une transformation psychologique et physique radicale. Elle brûle souvent les étapes de victime à survivante et même guerrière prête à se venger du patriarcat et de ceux qui l’incarnent, particulièrement les hommes qui l’ont agressée. Ce saut passe par un changement de panoplie, habits (treillis-débardeur vs bikini) et accessoires (fusil d’assaut vs talons hauts).

Ça n’empêche pas l’attrait érotique, d’ailleurs, bien au contraire, mais dans un style différent. Ici, rien de tel. Carey Mulligan n’est pas la Charlize Theron de Monster (2003) ou de Mad Max : Fury Road (2015). Elle n’est pas non plus la Lolita reconvertie en Sarah Connor de Revenge, le premier film de Coralie Fargea (2018). Pour Cassie, pas de devenir guérillère. Le changement de costume et de posture consiste à garder les mêmes mais à les porter comme un déguisement désormais, et non plus au premier degré. Jouer la victime mignonne pour ne plus l’être. Se faire appât. Garder sa féminité mais l’armer en secret (certaines critiques ont parlé de « weaponized feminity », féminité armée). Mais Promising Young Woman opère également une torsion des codes narratifs du revenge movie. Le film déjoue triplement les attentes, qu’il s’agisse de la nature de la quête de l’héroïne, de son identité ou de la « leçon » que l’on pourrait tirer de la fin.

Une quête entre vengeance et justice, addiction autodestructrice et mission d’éducation

Commençons par la quête. Sa nature est incertaine pour les spectateur/rice·s, et instable. Un des intérêts du film tient à la démultiplication des questions qu’il soulève ainsi. D’abord : s’agit-il de vengeance ou de justice ? Partons des définitions les plus simples. Selon le dictionnaire, la vengeance désigne une « action par laquelle une personne offensée, outragée ou lésée, inflige en retour et par ressentiment un mal à l’offenseur afin de le punir », tandis que la justice désigne un « principe moral impliquant la conformité de la rétribution avec le mérite, le respect de ce qui est conforme au droit ». Justice et vengeance s’opposent ainsi à plusieurs niveaux, pas tout à fait comme le bien au mal mais, disons, comme le bien à une tentation à laquelle il ne faudrait pas céder. C’est donc par contraste avec l’idéal de justice que la vengeance est définie et délégitimée, non parce qu’elle punit, ce que la justice fait aussi à travers l’institution judiciaire, mais du fait du motif, de la nature et de la source de la punition.

Dans la vengeance, l’auteur/rice de la punition est la victime (directe ou indirecte) du préjudice, et son motif est le ressentiment. La punition est donc attribuée par une instance à la fois juge et partie, ce qui induit le soupçon d’une punition excessive et fondée sur des motifs discutables, autrement dit, sur le soupçon d’une injustice. Dans l’imaginaire collectif de nos démocraties, vengeance et justice s’opposent donc comme le choix d’une société « avancée » contre un système de châtiment archaïque, marque d’organisations sociales frustres et attardées. Elles s’opposent aussi comme l’acte élaboré et dépassionné d’une entité morale considérée comme telle précisément du fait de la dépersonnalisation, avec le passage à l’acte pulsionnel d’un individu lésé, rendu hors d’usage de ses facultés de sujet moral et politique. Pour autant, la vengeance conserve une place licite, comme un refoulé dont les productions culturelles, notamment, pourraient permettre le retour sous une forme cathartique somme toute bénéfique à l’édifice social parce que, tout en étant inoffensive dans le réel, elle permettrait d’assouvir de façon compensatoire et dérivative cette part pulsionnelle que tout humain civilisé garde en lui.

Nombre des productions culturelles qui mobilisent les codes du récit de vengeance ou les figures de justicier et de super-héros, travaillent en fait de façon bien plus complexe la frontière entre justice et vengeance, et entre justice institutionnelle et justice parallèle. Ces œuvres questionnent les apories autant que la nécessité du recours à une justice parallèle, dans un contexte où l’institution judiciaire en place manifeste clairement ses failles et son inaptitude à rendre la justice (quand elle n’est pas carrément corrompue et au service des criminels puissants). Or, les statistiques montrent que c’est particulièrement le cas dans les affaires de violences sexuelles.

Promising Young Woman incarne ces chiffres et pose la question : dans quelle mesure peut-on considérer le recours à la violence comme juste, bien que hors du cadre du fameux « monopole de la violence légitime » détenu par l’État ? Justice et violence ont partie liée. Pas de justice sans peur de la sanction, qui passe par un ensemble de dispositifs coercitifs dont le recours à la force physique fait partie. C’est une des bases de l’inculcation habituelle des normes dans nos sociétés, et c’est tout le sens des expressions appelant à ce que la honte et la peur « changent de camp ».

Ceux qui agressent n’ont, dans le système judiciaire et dans le système réputationnel actuels, pas de raison d’avoir peur ni de la justice, ni de la réprobation sociale. L’impunité massive des violences sexuelles fait que les agresseurs n’ont, à raison, pas grande crainte de subir une sanction et qu’inversement les femmes ont à la fois peur d’être agressées, de ne pas être crues et de ne pas obtenir justice, à raison là aussi. C’est pour cela que le recours à l’auto-défense structurelle contre les violences sexuelles peut se justifier, comme une réponse transitoire, en attendant la réforme du système judiciaire et le changement des normes sociales pour l’heure complices des agresseurs. C’est dans cette mesure que le récit de vengeance peut être considéré comme libérateur et empouvoirant d’un point de vue féministe. Pour autant, il peut être questionné de ce même point de vue. L’empouvoirement (« empowerment ») signifie à la fois reprendre le pouvoir sur soi-même et sa propre vie, se construire comme un sujet autonome et capable, en se libérant d’oppressions et d’aliénations mais aussi de toute une série d’injonctions – y compris d’injonctions à se libérer de telle ou telle manière.

Le film a été critiqué à la fois au motif qu’il ne proposerait pas un récit d’empouvoirement et pour l’injonction implicite à la combativité qu’il pourrait adresser aux victimes. Il questionne avec une grande finesse politique et psychologique la dimension empouvoirante que peut avoir un projet de vengeance et même un projet de justice, sans pour autant les invalider. D’abord, il n’élude pas qu’il s’agit pour Cassie d’une démarche trouble, que la réalisatrice compare même à une forme d’addiction. Certains sont dépendants au sexe, Cassie l’est (devenue) aux confrontations avec ces prétendus « types bien » qu’elle démasque à leurs propres yeux et à ceux du public comme des agresseurs. Il y a bien une dimension de passage à l’acte autodestructeur qui met Cassie en danger. Elle prend un double risque : au pire, se faire tuer, au mieux, passer pour la « folle » de service – second rôle social féminin complémentaire au premier rôle masculin à double fond du « type bien »/agresseur.

La nature de la quête se précise en plusieurs temps. Au début, Cassie choisit ses cibles au hasard de ses rencontres nocturnes, d’où le côté addictif mais aussi répétitif, potentiellement sans fin, de sa mission. Puis celle-ci se focalise, ce qui lui donne une fin possible mais la rend plus instable. Cassie apprend par Ryan qu’Al Monroe, un de leurs anciens camarades de promo, est revenu en ville et va se marier.

On comprend tout de suite que c’est lui qui a mis un coup d’arrêt à sa trajectoire de promising young woman, qui est la cause de son trauma. C’est lui l’agresseur de Nina, la meilleure amie de Cassie, qui ne s’est jamais remise de ce viol et en est morte, tandis que le promising young man est, lui, bien dans ses baskets et dans sa vie. Il devient la cible principale de Cassie. Mais pas la seule. Scène après scène, le film montre à nouveau que le viol est toujours un crime collectif. Il se focalise cette fois sur l’aval et non plus sur l’amont de l’acte, il montre que la violence du viol est toujours décuplée par la violence sociale et institutionnelle de la police, de la justice et de l’entourage, tous/tes complices plus ou moins passif/ve·s de l’agresseur et de sa version des faits, entre refus de voir, refus de croire et refus de qualifier.

L’enjeu personnel et traumatique de cette ultime mission de Cassie devient évident, et la frontière entre vengeance et justice encore plus ténue. Encore une fois, le film ne botte pas en touche, n’élude pas la complexité et fait éprouver au public un malaise. D’abord, quand Cassie invite à déjeuner une des filles de la bande, Madison, autre jeune fille prometteuse, à l’époque étudiante délurée, aujourd’hui mère de famille rangée. Ensuite, quand elle rencontre la doyenne de la faculté, déjà en poste au moment des faits, tout en bienveillance, inconsciente de la violence de son discours sur Nina dont elle a oublié l’existence, tandis qu’elle se souvient parfaitement d’Al, un « type formidable », venu la semaine précédente honorer son ancienne université d’une conférence sur son prestigieux parcours.

Montrer le viol comme centre invisible et silencieux de la mécanique sociale patriarcale

Confrontation après confrontation, le film donne à voir de façon implacable qu’à l’inverse de la représentation dominante, qui maintient le viol dans les limbes de notre organisation sociale comme un acte anormal qui ne concernerait que quelques individus exceptionnels, côté victimes comme côté agresseurs, c’est un fait social central qui concerne tout le monde. Personne n’est hors de la scène et la position de simple spectateur/rice n’existe pas. Celles et ceux qui se vivent comme extérieurs et neutres sont en fait acteurs et actrices, concerné·e·s et même plus ou moins impliqué·e·s. Leurs silences comme leurs mots profitent à ceux qui agressent, et participent de la culture de l’impunité et de l’opportunité dont bénéficient les violeurs. Loin d’être des témoins innocent·e·s et impuissant·e·s, tous et toutes portent une responsabilité et parfois même, une responsabilité pénale. Bien sûr, il est difficile d’assumer sa lâcheté et d’oser se reconnaitre coupable de non-dénonciation de crime, voire de complicité active.

Préserver sa bonne conscience et éviter les possibles ennuis judiciaires implique donc toujours d’aller un peu plus loin que le simple détournement de regard et d’oreilles. Dans ce discours paradoxal, refuser de voir, refuser de croire les faits, refuser de les nommer pour ce qu’ils sont, quand il s’agit de les attribuer aux agresseurs, implique, en parallèle, de les reconnaitre et de les qualifier pour focaliser la responsabilité sur la victime. Cela s’explique, puisqu’elle est la seule preuve, encombrante, de ce dont on voudrait bien nier l’existence : le viol et le violeur. Aller plus loin, c’est donc la déqualifier comme victime, et la disqualifier comme témoin – ce qu’elle dit n’est pas vrai et si jamais c’est vrai, c’est que c’est de sa faute. On la blâme alors, pour ses mœurs et sa tenue forcément légères, on la rhabille d’un nouveau costume : la « folle » ou la « fille facile », souvent les deux.

C’est ce qu’a fait Madison avec Nina jadis, et ce qu’elle refait quand Cassie la confronte. Elle lui explique que « ce n’est pas elle qui fait les règles » et que quand on a « la réputation de coucher à droite à gauche » et qu’on « se prend des cuites », « on ne peut pas s’attendre à être crue si on dit qu’on a couché avec un gars contre son gré ». Ce disant, elle reconnait avoir tout vu et avoir laissé faire, comme les autres. C’est aussi le discours de la doyenne alors que Cassie lui rappelle les faits, dont le récit, pour la première fois détaillé, apparait en décalage avec la version édulcorée à laquelle s’accroche Madison. Au cours d’une soirée bien arrosée, Al a eu des relations sexuelles à plusieurs reprises avec Nina alors qu’elle était inconsciente. Les actes, qui se sont déroulés en partie devant leurs amis, ont été si violents que le lendemain, la jeune femme avait le corps couvert de bleus. Ce récit n’empêche pas la doyenne de tenir sa ligne, quand Cassie lui rappelle qu’elle avait refusé de donner suite à la plainte de Nina. Si celle-ci « avait bu et ne se rappelait pas de tout », il est logique qu’elle ait jugé son témoignage peu crédible. Elle réaffirme sa priorité : « il est impossible de ruiner la vie d’un jeune homme chaque fois qu’il y a une accusation de ce genre », d’autant que, précise-t-elle sans ciller, on « reçoit de genre de plainte deux fois par semaine ». Entre l’hypothèse d’une épidémie d’agressions sexuelles sur les campus et celle d’une épidémie de mensonges de jeunes femmes déséquilibrées, elle a choisi sa version des faits. Le discours de ces deux femmes est un pur concentré de culture du viol, qui ne fait jouer la responsabilité individuelle que du côté de la victime, jamais de l’agresseur. Comme le résume la doyenne : « personne ne veut reconnaitre qu’on s’est mis dans une position vulnérable, qu’on a fait une erreur », mais c’est à la jeune femme de l’assumer, pas au jeune homme « innocent jusqu’à preuve du contraire », et donc toujours innocent puisqu’on n’ira pas chercher cette preuve.

On n’a donc pas grande sympathie pour ces femmes. Pour autant, quand Cassie, à la fin du déjeuner où elle a fait boire Madison, remet de l’argent et une clé à un type en lui demandant d’emmener la femme ivre dans une chambre d’hôtel, on ne peut cautionner ce qu’on craint de comprendre : qu’elle veut faire vivre à Madison ce qu’a vécu Nina. De même, comment ne pas être mal à l’aise quand Cassie explique à la doyenne que sa fille mineure se trouve en ce moment même dans l’ancienne chambre de dortoir de Nina, en compagnie des trois garçons majeurs qui l’occupent désormais ? On se demande même si l’accusation de folie n’est pas un peu méritée. En tout cas, on en vient à douter de la nature et du bien-fondé de la quête de Cassie. Mais, loin que ce soit un problème comme l’ont estimé certaines critiques féministes, c’est l’intérêt de Promising Young Woman que de montrer que cette quête n’est pas simple, ni limpide, qu’elle se joue sur le fil. Le film confronte Cassie à sa pulsion de vengeance et le public à l’ambivalence de son désir : d’un côté, la satisfaction cathartique de voir les méchants punis ; de l’autre, le plaisir de voir l’héroïne triompher de ses pulsions vengeresses archaïques et des nôtres. Ces scènes questionnent la teneur et la tenue morales de la quête du personnage et des attentes des spectateur/rice·s. À ces attentes, le film apporte une réponse pertinente parce qu’ambivalente, qui nous confronte à notre propre ambivalence. On est déçu et rassuré quand on apprend que le type a simplement accompagné Madison dans la chambre, et que la fille de la doyenne aura juste vécu la déception d’avoir attendu en vain de rencontrer le groupe de musique dont elle est fan. Ces deux issues frustrent la pulsion qu’entretient le code narratif du revenge movie, mais rassure la part progressiste des spectateur/rice·s, et clarifient le projet de Cassie et du film : ne pas céder à la vengeance ni même au projet de se faire justice, mais éduquer.

Cassie ne rechigne pas à une forme de violence psychologique puisque, sans faire subir à ces femmes ce que Nina a subi, elle leur fait éprouver un moment l’état émotionnel de la victime ou de ses proches. C’est une forme d’éducation discutable parce qu’un peu maltraitante, et qui passe par la peur, pour forcer les agresseurs (dans la première partie du film) et le cercle des complices inconscients (dans la seconde) à prendre la mesure de leurs responsabilités, mais aussi à déplacer leur empathie de l’agresseur à l’agressée. « Regardez, comme c’était facile », dit-elle à la doyenne, « il suffisait de regarder les choses sous le bon angle ». « Que fais-tu ?/qu’avez-vous fait ? » : c’est la même question qu’elle pose à ses possibles agresseurs et à ceux qui les couvrent, à tous les protagonistes qui perpétuent la culture du viol. Parfois, la leçon est efficace et la prise de conscience semble opérer, comme avec le deuxième type que Cassie a confronté. Après s’être indigné (« qu’est-ce que tu insinues ? Que je suis un prédateur ? Mais je suis un brave type »), il semble sincère à la fin de la scène quand il a reconnu enfin : « j’ai compris ». De même, Madison est changée par son expérience et accède à la prise de conscience et donc au remords. Quelques jours après sa mésaventure, alors que Cassie l’a rassurée sur le fait qu’il ne lui était rien arrivé, elle lui remet la preuve indiscutable du viol de Nina : une vidéo de la fameuse soirée. Ce nouveau twist s’avère à double détente pour la quête de Cassie. D’un côté, elle a enfin de quoi passer la main à l’institution judiciaire qui aura la preuve matérielle qui lui manquait jusque-là pour que justice soit rendue dans la forme pénale homologuée. Mais la pulsion de vengeance se trouve violemment réactivée, avec une cible douloureusement proche. Sur la vidéo, Cassie découvre Ryan. Lui aussi était là. Lui aussi a tout vu, n’a rien fait et a couvert le viol.

La violence meurtrière du boys’club

La dernière partie du film montre l’étendue de la culture du viol et le rôle qu’y joue le boys’club. Comme l’a montré Martine Delvaux, l’expression désigne, au-delà de tels ou tels espaces ou réseaux de sociabilité concrets, le système d’entre-soi qui assoit la domination masculine. Le boys’club, c’est l’espace symbolique « par quoi la masculinité devient ce genre sexué qui n’en est pas un parce qu’il représente tout le monde » [6], c’est la pièce maîtresse du patriarcat, qui structure une organisation sociale « où les hommes sont hiérarchiquement supérieurs aux femmes (et où certains hommes sont supérieurs à d’autres hommes), où certains sont sujets et les autres sont des objets à échanger ». Le boys’club ne désigne pas seulement un lieu de pouvoir, c’est l’instance de fabrique du pouvoir dans nos sociétés démocratiques mais toujours patriarcales. Le pouvoir n’est jamais simplement localisé en un ou plusieurs lieux identifiés qu’il suffirait de désactiver pour renverser l’ordre en place, tout au contraire son efficacité tient au fait qu’il s’agit, pour le dire avec Foucault, d’un « faisceau plus ou moins organisé, plus ou moins pyramidalisé, plus ou moins coordonné, de relations » [7] autrement plus difficiles à déraciner, puisque ce travail impliquerait de retourner l’ensemble du sol sur lequel nos vies sociales et psychiques sont construites.

Le boys’club est donné à voir dès la première scène du film dans la boîte de nuit : avant de repérer Cassie, les trois yuppies sont occupés à se moquer d’une collègue qui a osé trouver injuste d’avoir moins de clients parce qu’elle n’a accès ni aux soirées de beuverie ni au golf dominical.

Mais la fin du film détaille les mécanismes pernicieux du boys’club à travers un exemple précis, celui des étudiants de l’école de médecine, révélant au passage l’étendue et l’efficacité des réseaux de solidarité masculine. Loin d’essentialiser la catégorie biologique « homme », la force politique de Promising Young Woman tient au fait qu’il ne cible pas tel ou tel homme qui serait accidentellement mauvais, telle la commode « pomme pourrie » d’un arbre par ailleurs sain. Il élargit le cadre, faisant apparaître dans le champ les innombrables pommes pourries qui jonchent notre sol, puis élargit encore pour révéler le problème en vue d’ensemble, des racines aux fruits en passant par le tronc de l’arbre du patriarcat. Le problème c’est cet arbre, c’est la légitimation d’une masculinité hégémonique prédatrice à l’égard des femmes et dominatrice à l’égard de toutes celles et tous ceux qui ne sont pas adoubé·e·s comme mâles dominant dans le jeu social, économique et symbolique. Il détaille aussi les différences de genre à l’œuvre dans les mécanismes de complicité comme dans les logiques d’exclusion, tout en soulignant que toute personne qui ose contester le pouvoir du boys’club, quel que soit son genre, en paiera le prix.

Le film distingue plusieurs types d’hommes et parmi eux, celui qui représente de vrais good guys. Certains sont innocents mais ignorants et impuissants, comme le père de Cassie, heureux pour sa fille et soulagé dans sa mission de père quand il croit qu’elle a enfin trouvé le bonheur auprès d’un type aussi gentil que lui. D’autres savent ce qu’il en est, comment fonctionne le jeu, et refusent de le jouer. La scène de confrontation entre Cassie et l’avocat qui a jadis défendu Al Monroe est la seule qui déjoue d’emblée son scénario tout préparé. Dès qu’il lui ouvre la porte, il ne nie pas, il veut parler. Contrairement à Madison, il ne cherche pas à oublier les faits et la part qu’il y a prise. Contrairement à la doyenne, il se souvient de Nina alors qu’il a oublié le nom de son ancien client : il en a défendu tellement. Avec toujours les mêmes techniques, elles aussi bien ancrées dans la culture du viol qui implique aussi une culture du silence : décrédibiliser la victime et renverser l’accusation, pour étouffer sa parole dans la honte. Fort de son expertise, il explique à Cassie (et à nous) qu’il suffit en général de retrouver une photo compromettante, un peu trop dénudée ou éméchée sur les réseaux sociaux, pour provoquer l’hostilité du jury. C’est ainsi que les accusés repartent libres, le doute raisonnable qui leur bénéficie étant le corollaire du doute sur la parole de leur accusatrice. L’avocat confie aussi sa propre honte à Cassie, sans jamais avoir l’obscénité de chercher à se faire plaindre.

Il a compris, tout seul, que changer implique de ne plus mettre son ego viril au centre, et qu’être un allié véritable implique de ne pas imposer aux victimes la charge mentale de l’éducation, qu’il faut écouter et s’auto-éduquer dans son coin. Il sera d’ailleurs l’allié loyal de Cassie pour la fin de sa quête. On l’estime pour le chemin parcouru, qui a fait basculer son empathie des agresseurs aux victimes et l’a conduit à « refuser d’être un homme », si être un homme implique d’accepter la domination de la masculinité hégémonique. De façon subtile, le film montre le coût de l’acceptation de la règle du jeu. Si l’avocat a cessé de jouer, c’est parce que cela le détruisait. Comme il explique à Cassie avec un humour noir qui n’est pas la moindre de ses qualités : « J’ai eu une révélation. Mes médecins parlent plutôt d’épisode psychotique ». Cet homme a tout perdu socialement, en retrouvant une image digne de lui-même. Le film montre le coût énorme de la remise en cause des règles du jeu : on y perd au mieux, la réputation, au pire, la vie. Nous sommes loin de vivre dans un monde d’après, dans une nouvelle ère post#Metoo, et le viol est un crime collectif, côté agresseurs et côté victimes.

La trajectoire du personnage de Ryan est en miroir de celle de l’avocat. Son image vole en éclats en quelques scènes. Ryan ne se contente pas se dédouaner avec un « nous étions juste des gamins ». Quand il comprend que ses actes passés, qui relèvent bel et bien d’une forme de complicité aux yeux de la loi, pourraient lui coûter gros – sa carrière de pédiatre et son image de gendre idéal, peut-être même sa liberté –, il révèle un autre visage. Il apprend par la police que Cassie est portée disparue. Il se doute qu’elle court un danger, puisqu’elle l’a forcé à lui donner l’adresse de l’enterrement de vie de garçon d’Al, et n’a plus donné signe de vie depuis ce jour. Pourtant, quand le policier lui demande s’il sait où elle est, il ment. Il acquiesce même à l’idée qu’elle pourrait avoir mis fin à ses jours. Après tout, bon débarras : si elle est morte, elle ne pourra pas diffuser la vidéo. La compagne qu’il aimait tendrement quelques jours plus tôt n’est plus qu’une menace à éliminer. Vient toujours un moment où la solidarité masculine avec l’agresseur implique de devenir agresseur (et criminel) soi-même. Il en ira de même pour le meilleur ami d’Al, Joe. La fin du film montre aussi qu’une agression en appelle une autre, parce qu’il faut bien faire taire les victimes et les témoins gênants pour préserver ce bien précieux entre tous qu’est la respectabilité. Pour ça, un membre du boys’club est prêt à tout et peut compter sur ses acolytes, prêts à devenir de vrais complices, avec qui commettre des actes criminels.

La fin de la quête : suicide ou meurtre ? Victoire ou échec ?

La scène presque finale, qui catalyse la complexité du sens que l’on peut donner à la mission de Cassie et par là la finesse du propos du film, s’ouvre au son de « Toxic » de Britney Spears. Pas le refrain sirupeux et dansant, mais l’intro stridente, grinçante, un son de scie circulaire qu’on peut facilement projeter sur le décor : une maison reculée au milieu de la forêt. Cassie, dans son costume d’« infirmière cochonne » d’un blanc immaculé, est-elle un petit chaperon rouge inconscient voire suicidaire qui va se jeter dans la gueule du loup ? Est-elle le chasseur solitaire prêt à venger les victimes des hommes prédateurs ? L’atmosphère de séduction glauque qui règne quand elle commence son strip-tease fait en tout cas résonner les paroles de la chanson, lourdes de sens sur les règles de la séduction que nous apprend la popculture. L’écho est d’autant plus clair à l’heure de la sortie du documentaire Framing Britney Spears, qui souligne la responsabilité d’une industrie musicale qui n’a eu aucun scrupule à hypersexualiser une jeune fille mineure à ses débuts. Comme ce fut le cas en France avec Loana, le public, après avoir choisi de croire à la fiction d’une femme forte et indépendante et le lui avoir même reproché, s’est repu du spectacle de la déchéance d’une femme instrumentalisée et même exploitée depuis son enfance par une famille elle-même toxique, jusqu’à l’acmé de la violence et de la perversion du capitalisme patriarcal : jugée assez fonctionnelle pour être une machine à cash, la chanteuse est dans le même temps jugée inapte à veiller sur ses intérêts, et confiée à la tutelle de son père. Or, la chanson « Toxic », grand succès à sa sortie en 2004, a marqué le début de la descente aux enfers de la chanteuse :

_A guy like you should wear a warnin’ (Un gars comme toi devrait porter un avertissement)
_It’s dangerous, I’m fallin’ (C’est dangereux, je succombe)
_There’s no escape, I can’t wait (Pas de fuite possible, je ne peux pas attendre)
_I need a hit (J’ai besoin d’un coup)
_Baby, give me it (Bébé, donne-le moi)
_You’re dangerous (Tu es dangereux)
_I’m lovin’ it (J’adore ça)
_With a taste of your lips, I’m on a ride (Le goût de tes lèvres me fait planer)
_You’re toxic, I’m slippin’ under (Tu es toxique, je glisse)
_Taste of a poison paradise (Avec un goût de paradis empoisonné)
_I’m addicted to you (Je suis accro à toi)

Ce qui est toxique, ce n’est pas tel ou tel garçon, tel ou tel amour, c’est le boys’club, c’est la masculinité hégémonique, c’est la culture du viol. Le danger est plus grand pour Cassie dans cette ultime confrontation, notamment parce qu’elle est décidée à se venger elle-même et à recourir à la violence physique contre un homme violent. Après être montée dans la chambre avec Al, elle l’attache avec des menottes fourrées avant de tomber le masque. Comme il nie les faits et leur qualification, elle lui explique le châtiment qui l’attend. En petite sœur de la Lisbeth Salender de Millenium, elle veut graver le prénom de la victime dans la chair de son agresseur, pour qu’il soit marqué à vie lui aussi. Mais l’agresseur parvient à se libérer et prend le dessus. La violence surgit à nouveau, sous deux formes presque opposées mais tout aussi insupportables. D’abord, le meurtre de Cassie, une mort aussi imprévisible que brutale. On refuse d’en croire nos yeux et on a envie de hurler de colère face à son corps étendu sur le lit au petit matin, petite poupée de chiffon étouffée la tête sous l’oreiller, bras en croix. La deuxième violence est, elle, anti-spectaculaire, pernicieuse. Préserver son statut et celui de ses amis au sein du boys’club peut impliquer d’aller jusqu’au meurtre mais l’important est que les choses ne soient jamais nommées, que les actes se commettent à l’ombre d’euphémisations et de disqualifications/requalifications des faits. Le meilleur ami d’Al, Joe, le rejoint. Quand il comprend que Cassie est morte et qu’Al l’a tuée, il guide son ami vers la version des faits à laquelle il doit désormais croire pour mieux la répéter :

_Joe : C’est arrivé comment ?
_Al : Je sais pas.
_Joe : OK. Al, Ce n’est pas ta faute.
_Al : Je sais pas… On dirait que si.
_Joe : Non. Non, ça n’est pas ta faute.
_Al : Est-ce que je vais aller en prison ?
_Joe : Quoi ?
_Al : Et mon mariage, mon travail ! Anastasia va être furieuse contre moi.
_Joe : Non. Non, Al, c’était un accident, pas vrai ?
_Al : Je veux dire… (…)
Joe : C’est un accident ! Non, je veux dire : c’est un accident. Et personne ne va aller en prison, parce que personne n’en saura rien. Si on pose des questions, on dira qu’on l’a vue partir hier soir. Ça va aller, d’accord ? On va s’occuper de ça. Faut juste se débarrasser du corps avant que les autres partent.

La scène suivante les montre en pleine nature, vérifiant que le cadavre brûle bien. Ils pleurent et sont choqués, bien sûr, ce ne sont pas des psychopathes. Mais ils ne consacrent que quelques instants aux états d’âme, et seulement pour se justifier. Pour le reste, leur pensée opérationnelle est tournée vers l’objectif de ne pas subir les conséquences pénales et sociales de l’acte commis. La mort de Cassie est aussi une violence que le film fait éprouver aux spectateur/rice·s. Non seulement le fait, mais sa qualification. Car la mise en scène laisse planer un doute sur la façon dont on doit interpréter son geste. Pour être une héroïne, encore faut-il ne pas vouloir mourir en sauvant le monde. Est-ce un geste sacrificiel alors ? Il est efficace dans le réel. Cassie n’est pas morte en vain. Se doutant qu’il n’était pas acquis que le coupable reconnaisse les faits, elle avait pris ses dispositions et prévu un plan B. Elle a tout expliqué à l’avocat et lui a envoyé la vidéo, le chargeant de remettre cette preuve à la police au cas où elle disparaitrait.

Si la scène de mariage a bien lieu, on est loin du dénouement attendu d’une comédie romantique, parce que ce n’est pas l’héroïne qui se marie et parce que la fête est interrompue.

C’est heureux puisque le marié est un violeur et un assassin et son témoin son complice. Quand ce dernier sort le discours censé nous émouvoir sur la belle amitié qui les soude depuis l’enfance, la devise « bros before hos » (« Les potes avant les putes »), au cœur de bien des scénarios de comédies, révèle sa violence cachée : c’est le slogan du boys’club et cette loyauté, qui mêle amitié et jeu de « je te tiens, tu me tiens par les c… » peut impliquer d’aller jusqu’au meurtre. Le scénario doit donc s’ajuster. Le happy end ce n’est pas le mariage, c’est l’arrestation. Post-mortem, l’appel de Cassie à la police et à la justice est enfin entendu et, contrairement à ce qui s’était passé pour Nina, ces institutions se montrent dignes de confiance. Pour autant, le film souligne à quel point cette confiance doit être relative pour ne pas être déçue et à quel point, loin de « s’en remettre à la justice » et la « laisser faire son travail » comme on l’entend trop souvent, il est nécessaire de lui mâcher le travail et de veiller au grain.

En appeler à la justice n’implique pas de renoncer à l’action militante. Par ces actions combinées, Al est arrêté et va devoir répondre de ses actes devant la justice. Certes, ce dénouement n’est pas réaliste au vu des statistiques. Cela s’explique peut-être par le fait qu’ici, il ne s’agit plus seulement de viol mais de meurtre, et c’est pour ce crime-là qu’Al est arrêté. Ce dénouement permet aux spectateur/rice·s de repartir avec une touche d’espoir, sur un plan en tout cas. Car le film a encore un dernier twist en réserve. S’il fait aboutir la quête de justice, la victoire a un goût amer, puisque c’est au prix de la mort de l’héroïne, et surtout, le film s’achève sur un autre plan, la quête de réparation. Si ces choix ont fait l’objet des plus vives critiques, c’est à mon sens pour ces raisons que Promising Young Woman propose un récit libérateur pour les victimes de violences sexuelles. La construction du film suggère que la réparation, en tant que vécu intérieur, n’est jamais soluble dans le fait d’obtenir justice, et elle préserve une forme de pudeur quant aux motivations du geste ultime de son personnage, inclut dans le cercle des victimes autant que des combattantes alliées dans la lutte contre les violences sexuelles.

Libérer de l’injonction à réussir sa réparation et de l’imaginaire de la victime unique

La critique la plus forte qui a été adressée au film tient à l’identité de l’héroïne, ou plutôt à la qualification de sa place dans la distribution des rôles qu’imposent les violences sexuelles : victimes, témoins, complices, agresseurs. Rappelons que la dimension empouvoirante supposée du revenge movie repose sur le récit de la transfiguration d’une victime en guérillère. La critique Mary Beth McAndrews a reproché à Promising Young Woman de priver de cet empouvoirement et même de vouloir « désempouvoirer » les spectateur/rice·s, ce que récuse la spectatrice qu’elle est et qui n’entend pas oublier sa propre expérience de survivante d’agression sexuelle quand elle analyse une œuvre. Situant entre autres ma réception et mon propos depuis un point de vue similaire au sien, même si chaque expérience est radicalement singulière, il me semble qu’on peut aussi recevoir le film autrement. Pour McAndrews, le problème est que Cassie se fait l’ange vengeur de la « vraie » victime, et qu’elle le fait sans son consentement. Dès lors, non seulement le film ne rendrait pas sa voix à Nina mais, pire, l’invisibiliserait et la réduirait au silence à son tour. L’alliée volerait la vedette à la victime et prendrait sa place, lui faisant elle aussi subir, quoi qu’avec les meilleures intentions du monde, une nouvelle violence.

C’est une question cruciale en effet : qui parle, pour qui ? Il est incontestable que la question du consentement est à poser bien au-delà de l’acte sexuel proprement dit. Il est tout aussi incontestable que prétendre aider une victime en prenant la parole à sa place pour dire qu’elle a été victime, sans son consentement explicite et libre, ne fait qu’ajouter aux violences qu’elle a déjà subies, aussi louables que soient les intentions de la personne qui prétend l’aider. Parler, et donc assumer à travers une prise de parole plus ou moins publique le statut de victime, renvoie à des processus psychiques longs, complexes et délicats. Nulle autre que la personne concernée n’est en droit de prendre cette décision. Parler à sa place, prendre pour elle une décision relative à un événement qui l’a déjà dépossédée une première fois de sa capacité d’agir, ce n’est pas seulement nier son droit à la parole. C’est aussi de nouveau l’objectifier, la désubjectiver et la figer dans une posture de victime qui devra subir passivement des actes qui lui sont imposés. C’est indéfendable, donc. Mais, à mon sens, la question ne se pose pas en ces termes dans le film. D’abord, parce qu’en l’occurrence la victime est morte et ne peut donc ni exprimer son consentement ni se sentir dépossédée par la décision de son amie. Ensuite, plus fondamentalement, parce que le présupposé de cette critique est que Cassie agit en tant qu’amie et alliée de la victime, qu’elle ne serait que cela dans le « dispositif » psychique et social qu’instaurent les viols et surtout l’impunité sociale et pénale des viols. C’est une autre question essentielle que pose le film : depuis quelle place Cassie agit-elle ? Là encore, la réponse que construit le film me semble aussi forte que subtile. Promising Young Woman ne montre pas seulement que les viols sont souvent des crimes collectifs du côté des agresseurs et de leurs complices, il le montre aussi, symétriquement, du côté des victimes et de leurs allié·e·s.

Ce changement de cadrage est d’une importance politique cruciale. D’autres œuvres récentes relèvent de ce projet et participent de ce tournant du regard social sur les violences sexuelles. C’est un des grands intérêts du livre de Camille Kouchner Familia Grande notamment : la personne qui parle n’est pas la victime de l’inceste, ou plus exactement n’est pas la victime directe. La question du consentement de son frère jumeau « Victor » a été évoquée par l’autrice elle-même, qui précise avoir demandé et obtenu son accord avant de s’autoriser à prendre à la parole. Pour autant, même si elle ne parvient pas à nommer la place qu’elle-même a occupée, ce n’est pas comme simple témoin qu’elle écrit et se met en scène dans le livre ou dans les prises de parole publiques qui ont accompagné la sortie de ce livre-événement. Familia Grande fait comprendre comment Camille aussi a été forcée à une forme de passivation, celle du témoin impuissant, et combien le fait d’avoir vécu toute son enfance sous l’autorité de figures parentales « aimantes » et/mais violentes, qu’elles exploitent sexuellement ou se « contentent » de refuser de voir et de réduire au silence les enfants, l’a traumatisée elle aussi. Les symptômes physiques et psychologiques qu’elle documente sont ceux d’une victime. L’inceste n’est jamais un acte isolé, c’est toujours aussi un climat familial qui rend la perpétuation de l’acte possible. Cette description est précise dans le livre, même si dans son discours public, l’autrice ne parvient pas à stabiliser la désignation de tous/tes les complices, en particulier leur mère. Il en va de même pour le viol, qui est, lui, rendu possible par un climat social – la culture du viol et du silence, le boys’club.

Si on accepte de reconnaitre la dimension systémique des agressions et violences sexistes et sexuelles au sein des familles et plus largement dans la société, alors il faut admettre aussi que personne n’a le privilège de se situer à l’extérieur de cette scène.

C’est bien pour cela que certains juges demandent que les enfants témoins de violences conjugales soient elles et eux aussi reconnu·e·s par la justice comme des victimes, puisqu’ils et elles le sont dans leur psyché et dans leur corps. Le trauma circule, il se propage. Entre ces « victimes par ricochet » comme les nomme la justice et les victimes « vicariantes », ces soignant·e·s et proches sur qui repose tout le travail d’accompagnement des survivant·e·s d’agressions sexuelles traumatisé·e·s qui, à force d’écoute et d’empathie, finissent par se trouver à leur tour en état de stress post-traumatique, cela commence à faire beaucoup de monde. C’est en déconstruisant l’image en miroir de l’agresseur solitaire et de la victime unique que l’on pourra prendre enfin à bras le corps ce problème politique et de santé publique, pour l’heure encore largement tapis en silence au cœur de nos sociétés.

C’est à construire cette nouvelle image en élargissant la focale que travaille aussi Promising Young Woman. Cassie n’est pas seulement une amie ou une alliée envahissante, qui peine à faire le deuil de sa meilleure amie. Elle est une victime, elle aussi. Pas de la même façon que Nina, certes. Elle n’a pas été violée. Mais une part d’elle a été détruite par l’impunité et le déni de ce viol (elle a abandonné ses études), et le préjudice spécifique qu’elle subit tient justement au fait qu’elle n’est pas reconnue comme une victime légitime, elle est une victime invisible aux yeux de tous/tes, y compris des siens. Le film lui reconnait ce statut et la respecte en tant que victime, en montrant qu’elle ne saurait se réduire à ce statut, qu’elle est aussi une combattante et une personne qui voulait être heureuse (elle a tenté sa chance avec Ryan), et en respectant sa pudeur – sans doute la chose la plus mise à mal dans le parcours social et judiciaire imposé aux victimes. Mieux, il manifeste la capacité d’agir de Cassie à travers son ultime pirouette ironique, comme un dernier bon-mauvais tour qu’elle jouerait aux agresseurs et à leurs complices. Ryan reçoit, en direct du mariage, une série de messages écrits qu’elle avait programmés :

_Tu ne croyais tout de même pas que c’était la fin ?
_C’est maintenant, la fin.
_Love
_Cassie et Nina
_ ;)

Le film donne à Cassie le dernier mot, sans la forcer à dévoiler tous ses secrets, notamment ses états intérieurs, qu’elle garde pour elle jusque dans sa tombe. On ne peut trancher s’il s’agit d’un suicide ou non. En tout cas, elle a pris le risque de mourir pour servir sa cause. Son geste garde sa part de mystère indéchiffrable. Peut-être qu’elle espérait qu’Al se repente sincèrement, comme l’avaient fait Madison et l’avocat. Peut-être qu’elle avait anticipé en revanche, qu’elle ne voudrait plus vivre dans un monde où, certes, la justice finit par être rendue si on insiste, mais où il y a autant d’Al (et de Ryan). Ce serait son droit, sa liberté. Peut-être aussi qu’elle a eu le sentiment d’avoir accompli sa mission et s’est dit qu’elle ne revivrait plus jamais un tel état de paix intérieure, si rare et si bon. C’est l’empathie du film pour ces affects et cette pudeur quant à la nature du geste ultime de Cassie qui le rend si libérateur à mes yeux. Pas de leçon d’empouvoirement, pas de role model, pas d’injonction au super-héroïsme, pas d’heureux dénouement de la réparation. Une telle fin ne serait d’ailleurs pas forcément réconfortante pour tous/tes les spectateur/rice·s, encore moins pour tous/tes les survivant·e·s. De ce point de vue, on peut trouver Promising Young Woman apaisant justement parce qu’il refuse cette image rassurante, parce qu’il récuse la pensée magique. Même si les survivant·e·s se battent, même si la bataille collective empouvoire, un autre combat se mène dans le secret des vies de chacune des personnes concernées, heure par heure, jour après jour, durant de nombreuses années. Des millions de vécus, des millions de parcours, dans le monde social et dans le monde intérieur de chacun·e. Aucune de ces trajectoires n’est à imposer comme modèle. Avec sa fin, le film fait coup double, il subvertit l’injonction au happy end de réparation tout en encourageant à continuer la lutte collective pour plus de victoires de justice, contre les bonnes âmes qui enjoignent à « laisser faire la justice » et à « aller de l’avant » sans savoir de quoi elles parlent.

Et puis, il est discutable de considérer que le film ne serait pas féministe à cause de sa fin, quand on songe à celle de Thelma et Louise, un autre film qui travaille les codes du rape and revenge movie et qui a marqué l’histoire du cinéma féministe comme un de ses premiers jalons grand public. Dans ce film, les deux amies/alliées se suicident. Elles sautent dans le vide : ensemble, mais dans la mort. Acculées, elles font le choix de fuir le monde, pas seulement la police, mais le combat et la vie. Cela n’empêche pas que le film demeure une référence pour beaucoup de féministes. Comme le note fort justement Emilie Notéris dans son précieux article « Pour un regard féministe », celui-ci ne consiste pas en une liste imposée. Il est donc aussi logique que réjouissant que ce regard féministe – celui que proposent les œuvres comme celui des critiques qui les commentent – suscite le débat. C’est même une preuve supplémentaire, s’il en fallait encore une, de l’ineptie du jugement réactionnaire qui reproche au féminisme d’uniformiser les regards. La seule critique que mérite à mon sens le film tient au rôle auquel est cantonnée la patronne et amie de Cassie. Gail est le seul personnage noir du film, joué par Laverne Cox, seule actrice trans de la distribution. Si on peut apprécier que le personnage échappe aux stéréotypes misérabilistes ou folklorisants des productions grand public, c’est au prix d’une absence d’existence propre du personnage. Gail, pendant professionnel et féminin du personnage du père de Cassie, est réduite à sa fonction d’alliée et encore, une alliée qui ignore qui est véritablement son amie. Questionner les narrations dominantes et les hiérarchies à l’œuvre dans les représentations culturelles pour changer le cadrage est une tâche globale. Quitte à s’y atteler pour que nos regards changent, et le monde avec, autant ne pas laisser des dominations dans l’angle mort.


générique


Polémiquons.

  • Merci pour cette critique détaillée. J’ai hâte de voir le film et je trouve intéressant qu’il suscite des débats, plutôt que d’être un objet de consommation comme un autre.
    Pour ceux qui doutent encore de la survivance d’une culture patriarcale en 2021 : une des nouvelles du jour est qu’une femme prend la tête du musée du Louvre. Jamais on ne signale qu’un homme est promu à un poste prestigieux, parce que c’est normal. Un homme n’apparaît pas comme un représentant de son genre et groupe d’influence, mais comme un individu qui doit sa progression à son mérite personnel. A l’heure actuelle, une femme qui réussit, c’est une exception à son genre qui doit être notée. Le jour où ce genre de promotion passera inaperçue, c’est que nous aurons progressé dans l’égalité H/F.
    Pour l’instant, le progrès c’est que les media mentionnent le nom de la femme en question, alors qu’autrefois, il n’était même pas mentionné (voir Acrimed sur le sujet).
    Beaucoup de gens s’insurgent contre l’idée de quotas, mais tout se passe exactement comme s’il y a avait des quotas d’hommes pour les positions les plus enviées dans la société. Regardez la hiérarchie sociale partout où vous êtes : qui dirige ? qui est dirigé ? Alors quota ou pas, il va bien falloir trouver une solution, car les femmes ne vont pas tolérer longtemps cette situation, alors qu’elles ont accès aux diplômes, à la contraception et au droit de vote.

  • Je suis sorti de la salle perplexe …..
    C’est un film didactique. La réalisatrice prend le spectateur par la main et ne la lâche pas. Cela peut être lassant …. La critique de madame Bérénice Hamidi est fort juste (d’ailleurs pourquoi allez voir le film après l’avoir lu ? pour les couleurs, les actrices et les acteurs ….). Tous les mécanismes enjeux sont facilement identifiables.
    C’est un film féministe pessimiste et sombre.
    La mort de l’héroïne est la suite logique et immuable d’un crime qui peut remettre en cause un « système » (patriarcal, culture du viol, etc.) qui se bat jusqu’au bout. Le film aurait pu (du ?) s’arrêter là. Mais non …
    La réalisatrice veut-elle nous dire qu’on ne peut obtenir l’égalité, la vérité et la justice sans sacrifice ? Car le monde qu’elle nous montre est sans éthique, même au sein des deux familles des victimes. C’est un monde « normal » fait de compromissions, de lâchetés, de complicités morbides, d’égoïsmes, de repentances larmoyantes …..
    Alors certes il y a l’arrestation finale du violeur-assassin au moment de son mariage, symbole de la reproduction du « système ». Maigre consolation
    Et les femmes dans tout cela : en tout logique, à l’égal des hommes ….
    Que veut nous dire la réalisatrice ? A qui s’adresse-t- elle ? D’où ma perplexité ….

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[1Je remercie Maxime Cervulle pour la découverte de ce film et nos échanges, et Gaëlle Marti et Vincent Rafis pour leurs relectures. Une première version de cette réflexion a été publiée le 28 avril 2021dans la revue électronique AOC sous le titre "Rom-com twistée et revenge movie au goût amer - sur Promising Young Woman"

[2Cinq nominations aux Oscars dans les catégories meilleur film, meilleure réalisation, meilleur scénario original, meilleure actrice et meilleur montage, et cinq nominations aux Golden Globes, dans les catégories meilleur film dramatique, meilleure actrice dramatique, meilleure mise en scène et meilleur scénario original. https://fr.wikipedia.org/wiki/93e_c%C3%A9r%C3%A9monie_des_Oscars

[3voir Stuart Hall, Identités et cultures. Politiques des Cultural Studies, traduction Maxime Cervulle, Paris, Éditions Amsterdam, 2007

[4Voir Valérie Rey-Robert, Une Culture du viol à la française, Libertalia, 2019

[5Julia R. Lippman, I did it because I never stopped loving you. The Effects of Media Portrayals of Persistent Pursuit [[Beliefs About Stalking, Communication Research, Volume 45 Issue 3, April 2018, p. 394–421

[6Martine Delvaux, « Le boys’club ou comment le pouvoir appartient aux hommes, ensemble », Erudit, 10 mars 2017 - https://salons.erudit.org/2017/10/03/le-boys-club/

[7Michel Foucault, Dits et écrits (1954-1988), tome II (1976-1988), Paris, Gallimard, texte n°206, 2001, p. 302