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Paul Thomas Anderson / 2018

Phantom Thread


>> Ginette Vincendeau / mardi 13 février 2018


Voici un film que je me faisais une joie d’aller voir, en tant que fan de Daniel Day-Lewis et de tout ce qui touche à la couture. Et il est vrai qu’il ne manque pas d’atouts. Le ténébreux Day-Lewis (dans ce qui est annoncé comme son dernier rôle au cinéma) incarne Reynolds Woodcock, le couturier de ces dames de la haute société londonienne des années 1950.

Une mise-en-scène extrêmement soignée nous permet d’admirer ses ravissantes robes et sa magnifique maison à Fitzroy Square et autres décors élégants dans lesquels le couturier-star évolue. Lesley Manville, que l’on a plutôt l’habitude de voir dans les drames sociaux de Mike Leigh, interprète brillamment Cyril, sa sœur, dont le rôle est de surveiller à la fois les petites mains et les conquêtes de son frère. En effet Reynolds, comme tous les grands génies, ne doit pas être dérangé et la redoutable Cyril fait disparaître ce qui fait désordre, y compris les petites amies qui ont fait leur temps. Dans ce monde feutré arrive Alma (Vicky Krieps), une jeune et jolie serveuse de restaurant dont Reynolds s’entiche et qui devient son nouveau modèle.

De film patrimonial sur une maison de couture, on bascule dans une histoire de Pygmalion et sa muse doublée d’un film à suspense psychologique vaguement hitchcockien. Du moins de nombreux critiques dans la presse anglophone y ont vu des allusions à Rebecca, le film de 1940 dans lequel une jeune femme mariée à un homme plus âgé vit dans l’ombre de l’ex-femme décédée (ici figurée par la mère de Reynolds, dont l’image en robe de mariée lui apparaît parfois) et d’une gouvernante terrifiante (remplacée par Cyril).

Á chacun ses références cinéphiliques ; moi je m’attendais plutôt à un remake de Falbalas, le beau film de Jacques Becker de 1945, dans lequel un couturier (Raymond Rouleau) s’éprend jusqu’à la folie d’une jeune femme (Micheline Presle) qui finit par le quitter. Il n’en est rien et la comparaison entre les deux films montre que, sur le plan de la représentation des rapports homme-femme, on n’a guère progressé en 70 ans, au contraire. Les deux œuvres traitent d’un couturier tyrannique et obsessionnel. Mais Becker démontre en parallèle le côté mortifère de ce type de masculinité (son couturier se suicide) et l’émancipation d’une jeune femme lucide. Phantom Thread prend un autre chemin, sans doute prévisible au vu des films précédents de Paul Thomas Anderson, série de portraits d’anti-héros aussi monstrueux que charismatiques (entre autres Magnolia, 1999 ; There Will Be Blood, 2007, avec Day-Lewis ; The Master, 2012).

Dans la tradition du mythe de Pygmalion, Alma est une chose malléable sans passé et sans vie hors de sa relation avec Reynolds. Elle montre des aptitudes pour son nouveau métier et devient la maîtresse du couturier, malgré la méfiance de Cyril qui propose de régler la situation comme d’habitude lorsque son frère semble se lasser de la jeune femme. Celle-ci cependant s’incruste, devient jalouse (y compris des princesses étrangères dont il fait les robes de mariée) et prétend changer ses habitudes, ce qui le met en furie. Pressentant qu’elle ne le changera pas, elle ne trouve rien de mieux que de l’empoisonner avec des champignons vénéneux, jouissant de son pouvoir sur lui lorsqu’il est au plus faible. Il survit et l’épouse mais dès qu’il fléchit dans son affection pour elle, elle ‘remet le couvert’, métaphoriquement et littéralement (avec une omelette aux champignons), mais cette fois-ci avec sa complicité.

La perversité de ce jeu sadomasochiste est-elle censée rétablir un équilibre entre les deux ? En tout cas elle ne cache pas une vision rétrograde des rapports de genre : le cinéaste est clairement fasciné par son patriarche malsain mais séduisant, et semble incapable d’imaginer le pouvoir d’une femme autrement que fatal, même si la fraîcheur de Vicky Krieps rend le personnage d’Alma touchant (avant les champignons). De même, malgré son talent, Lesley Manville peine à élever son personnage au-dessus du cliché misogyne de la ‘vieille fille’ coincée, totalement dévouée à son frère. Et que dire de l’humiliation, gratuite sur le plan narratif, de la richissime cliente Barbara Rose (Harriet Samson Harris), comme par hasard la seule à ne pas entrer dans les critères de beauté, minceur et/ou jeunesse qui caractérisent les autres clientes et modèles ? Que ce soit dans sa conception du créateur masculin despotique, dans sa représentation des femmes et des rapports homme-femme, ce film somptueux sur le plan visuel laisse un goût amer.

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