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Gilles Lellouche / 2018

Le grand bain


>> Geneviève Sellier / vendredi 26 octobre 2018

Avec Mathieu Amalric, Guillaume Canet, Benoît Poelvoorde, Jean-Hugues Anglade, Virginie Efira, Leïla Bekhti, Marina Foïs


Pourquoi le dernier film de Gilles Lellouche (le même qui a « commis » avec son copain Dujardin Les Infidèles, sommet de machisme assumé) a-t-il fait l’objet d’une critique dithyrambique dans Le Monde (de Jacques Mandelbaum), peu accessible habituellement aux charmes de la comédie à la française ? « Avec sa fine équipe masculine, Gilles Lellouche signe une comédie chorale joyeusement mélancolique, décroissante, tendre et décalée. » Rien de moins !

La vision du Grand Bain m’a donné la réponse à ce (petit) mystère : il s’agit d’un film (assez mal écrit au demeurant, comme la plupart des comédies « populaires » françaises) de déploration masculine : une demi-douzaine d’acteurs quadra et quinquagénaires (+ un « immigré » pour faire bon poids) se retrouvent dans la moiteur utérine d’une piscine municipale pour soigner leurs maux existentiels, lesquels se résument au fait que leur femme, leur(s) enfant(s), leur travail les emmerdent, les harcèlent ou les ignorent (ce qui revient au même)…

La fonction de narrateur de cette histoire de « renaissance » masculine est assurée par Mathieu Amalric en dépressif (ce choix malin d’un acteur emblème du cinéma d’auteur explique aussi l’enthousiasme de Mandelbaum…), entouré d’une brochette d’acteurs aptes à attirer des publics qui en général ne se fréquentent pas : Benoît Poelvoorde, Guillaume Canet, Philippe Katerine, Jean-Hugues Anglade, plus deux ou trois inconnus dont le Sri-Lankais qui ne parle pas un mot de français et que tous font mine de comprendre…

L’autre idée maligne du film, c’est la natation synchronisée, sport par excellence féminin (au sens le plus aliénant du terme : les praticiennes de ce sport sont maquillées comme des camions, ont des corps de rêve et sourient de toutes leurs dents pour faire oublier la difficulté des figures aquatiques qu’elles réalisent – voir Naissance des pieuvres de Céline Sciamma : nos héros forment une équipe de natation synchronisée masculine avec leurs bidons, leurs rides, leurs muscles affaissés et leurs gueules abimées, et c’est censé nous faire rire… Toute la presse parle d’un Full Monty à la française, le film britannique de Peter Cattaneo sorti en 1997 où des chômeurs d’une ville ouvrière trouvaient un exutoire à leur marasme en préparant un spectacle de Chipendalles, un genre de strip-tease masculin destiné au public féminin dans les pays anglosaxons.

La comparaison est intéressante en effet : là où The Full Monty fondait ses gags sur une observation minutieuse des effets sociaux destructeurs de la crise de la sidérurgie, Le Grand Bain « invente » à ses différents protagonistes un cadre familial et professionnel aussi peu crédible que possible : Amalric est un cadre en congé pour dépression depuis deux ans, sans qu’apparemment, ça ait le moindre effet sur son niveau de vie ou sur la compassion que lui manifeste son épouse (Marina Foïs) dont la famille est par ailleurs un sommet de beaufitude (pourquoi pas ?) ; Guillaume Canet est le patron d’une usine de sidérurgie (il évolue sur fond de hauts fourneaux, sans blague !), tout le temps en colère contre tous, en particulier contre sa femme (qui l’a quitté) et contre son fils qui en bafouille ; Benoît Poelevoorde est un petit patron peu scrupuleux d’une entreprise de piscines en faillite (l’histoire se passe dans une région de montagnes) qui invente des plans foireux pour s’en sortir, sans aucune conséquence ; Jean-Hugues Anglade (en cheveux longs…) est homme de service dans la cantine de l’établissement que fréquente sa fille adolescente (encore une situation éminemment vraisemblable : que les élèves qui ont rencontré des hommes dans le personnel de leur cantine nous écrivent, ils/elles ont gagné !), c’est aussi un guitariste has been qui vit dans une caravane et joue avec son copain dans les maisons de retraite un rock assourdissant… quant à Philippe Katerine, il est le gardien de la piscine municipale. Enfin ils trouveront un pilier (celui qui reste sous l’eau en apnée pour porter les autres) dans une maison de retraite, où un aide-soignant (on sait que ce métier aussi mal payé que pénible est à peu près totalement féminisé) a appris à retenir sa respiration pour faire la toilette des vieux tellement ils/elles sentent mauvais (on appréciera le goût de cette trouvaille scénaristique).

Tout ce petit monde décide de tenter les championnats du monde de natation synchronisée masculine qui doivent avoir lieu en Suède, et ils sont entraînés par deux ex-championnes tout aussi improbables : l’une (Virginie Efira) est une alcoolique qui s’invente un amant qu’elle harcèle, l’autre (Leila Bekhti) est en chaise roulante, suite à un accident qui a mis fin à leur duo aquatique. L’une (la blonde, bien sûr) est un modèle de douceur aussi maternante qu’inefficace (elle leur lit de la « grande littérature » pendant qu’ils font semblant de s’entraîner), l’autre (la brune, forcément) qui lui succède est une mère fouettarde qui les mène à la baguette (littéralement) ; les deux femmes finiront par conjuguer leurs « qualités » pour mener la petite équipe à la victoire. On se croirait dans une success story à l’américaine, sauf qu’on est en France, donc on se fout de la vraisemblance, et le spectacle final qui remporte le premier prix (!), est évidemment assuré par des doublures…

L’important est la chaude amitié qui s’est tissée au fil des entraînements entre les membres de la petite bande, désormais réconciliés avec la vie et avec leurs proches… et enfin reconnus à leur juste valeur (qui est grande) par les femmes qui les regardaient de haut. Même la mère de Guillaume Canet (qu’est-ce que Claire Nadeau est allée faire dans cette galère ?) cesse de l’insulter pour danser en exhibant sa médaille autour du cou !

Quant à Marina Foïs, en épouse alternativement compatissante, puis intolérante, puis solidaire (on ne comprend pas pourquoi…), le moins qu’on puisse dire c’est que les scénaristes (tous masculins) ne se sont pas fatigués pour lui donner de la cohérence.

Mais pouvoir se payer Virginie Efira, Marina Foïs, Leila Bekhti, Mélanie Doutey, Claire Nadeau dans des rôles secondaires ou même totalement périphériques, voilà une belle manifestation de la domination masculine !

Pour ceux et celles qui aiment les histoires de piscine, je ne saurais trop recommander le dernier opus de la regrettée Solveig Anspach, L’Effet aquatique (2016), autrement poétique et drôle !


>> générique

Polémiquons.

  • Lu sous la plume de Véronique Cauhapé, dans le Monde du 15 mai 2018 (festival de Cannes) : "Ils vont assumer leur bedaine et leurs cannes de serin velues, se faire tyranniser par l’une de leurs entraîneuses, Amanda (Leïla Bekhti), recevoir des quolibets de machos en costard. Ils s’en moquent, ils iront au bout. Parce qu’ils sont des mecs". Venant d’une critique, voilà un argument définitif ! Décourageant...

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