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Arnaud et Jean-Marie Larrieu / 2024

Le Roman de Jim


par Geneviève Sellier / jeudi 17 octobre 2024

Encore un "drame de la paternité"...

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Le Roman de Jim (2024) des frères Larrieu, d’après le roman éponyme de Pierric Bailly (2021), se penche sur les souffrances d’un père d’adoption (c’est sa voix qui commente les péripéties de l’histoire), peu à peu coupé de son fils par la volonté de la mère biologique. Karim Deklou avec ses rondeurs confortables sinon sexy, incarne Aymeric, un gentil trentenaire qui vient d’être largué par la copine avec qui il sortait depuis le lycée ; il retrouve lors d’un concert Florence (Laetitia Dosch), une femme qui comme lui enchaîne les petits boulots… Elle est enceinte d’un homme marié et père de famille qui n’a pas l’intention d’assumer l’enfant et Aymeric se retrouve dans le lit de Florence, loué par elle pour sa gentillesse et sa tendresse pour son ventre arrondi qui fait fuir la gente masculine. Ils s’installent ensemble ; Florence accouche, Aymeric s’occupe du bébé et devient de facto le père de Jim ; on retrouve quelques années plus tard Jim et Aymeric, arpentant été comme hiver les montagnes du Jura dans une complicité grandissante.

Mais Christophe (Bertrand Belin), le père biologique de l’enfant, opportunément victime d’une tragédie (sa femme et ses deux filles sont mortes dans un accident de voiture), revient et Florence entreprend de le soigner de sa dépression en lui faisant une place dans leur vie familiale. Bientôt Aymeric se trouve évincé (il est rétrogradé au rang de parrain), et Florence décide bientôt de prendre un nouveau départ en partant pour le Canada avec son fils et Christophe. Les nouvelles s’espacent et Aymeric reçoit un jour un message de Florence l’informant qu’elle a décidé de couper les liens avec Aymeric « pour le bien de tous ». Aymeric noie son chagrin dans les petits boulots. Quelques années plus tard Florence, de passage en France, lui avoue le mensonge qu’elle a inventé pour casser ses liens avec Jim. Elle a fait croire à son fils qu’Aymeric l’avait abandonné pour vivre avec une autre femme et avoir un enfant. Accablement silencieux du pauvre Aymeric…
Nouvelle ellipse temporelle : Aymeric rencontre Olivia (Sara Giraudeau) qui comme lui ne veut pas d’enfant ; ils se retrouvent dans la montagne jurassienne : il retape une maison où elle le rejoint le week-end. Alors que Jim a disparu de sa vie depuis plus de dix ans, celui-ci reparaît, apparemment désireux de renouer. Après une veine tentative pour s’expliquer, Aymeric parvient enfin à révéler la vérité à Jim et les deux hommes se réconcilient. Happy-end…

Le Roman de Jim traite en fait d’un thème récurrent dans le cinéma français contemporain, celui du « drame de la paternité », comme une dénégation de la réalité sociale marquée par la persistance des inégalités en matière de parentalité. On sait que la réalité majoritaire des drames concernant la parentalité, c’est la disparition des pères en cas de séparation…

Or le cinéma français produit depuis quelques années des films qui mettent en avant des pères sacrificiels qui élèvent seuls leur(s) enfant(s), et des films de déploration paternelle. En voici un florilège : Le Grand Bain (Gilles Lellouche 2018), Amanda (Mikhaël Hers 2018), L’Amour flou(Romane Bohringer / Philippe Rebbot 2018), Nos batailles(Guillaume Senez 2018), Pupille (Jeanne Herry 2018), C’est ça l’amour (Claire Burger 2019), Comme si de rien n’était (Eva Trobisch 2019), Nous finirons ensemble (Guillaume Canet 2019), Mais vous êtes fous (Audrey Diwan 2019), Les 2 Alfred (Bruno Podalydès 2021). En revanche, la réalité majoritaire des mères qui élèvent seules leur(s) enfant(s) est rare dans le cinéma français contemporain. On peut citer A plein temps (Eric Gravel 2017) et Rien à perdre (Delphine Deloget 2023) dont le point commun est de mettre en avant l’incapacité des mères à assumer leurs charges parentales…

Le personnage problématique du Roman de Jim, c’est la mère, incarnée par Laetitia Dosch. Cette actrice, dramaturge et réalisatrice s’est fait connaître entre autres dans La Bataille de Solférino (2012) de Justine Triet, Jeune femme (2017) de Léonor Serraille, Petite leçon d’amour (2021) d’Eva Deboise, où elle incarne des jeunes femmes aussi exubérantes et imprévisibles que sympathiques ; elle vient de réaliser un premier long-métrage, Le Procès du chien (2024), où elle joue une avocate qui défend devant les tribunaux un chien accusé de mordre les femmes…

Dans Le Roman de Jim, sa rousseur exubérante et son énergie communicative sont instrumentalisées pour masquer (très mal) le cynisme d’une garce de la plus belle eau qui utilise le dévouement paternel d’Aymeric, avant de le jeter sans remords pour reformer une famille « normale » avec le père biologique de son fils. Non contente de séparer Jim de son père d’adoption, elle invente une sale histoire pour rendre leur rupture irrémédiable. Le scénario ne se donne même pas la peine de justifier la façon dont elle évince de sa maison et de sa vie l’homme qui a élevé son fils ; on doit se contenter de la voix d’Aymeric qui constate sobrement : « on avait cessé de s’aimer ». Le choix de Florence d’évincer le père d’adoption au profit du géniteur – qui pourtant n’avait pas manifesté la moindre velléité paternelle jusqu’à la perte de sa propre famille –, a des connotations proprement réactionnaires.

Il faut remonter au cinéma français d’après-guerre (par exemple Manèges d’Yves Allégret [1949] avec Simone Signoret) pour trouver des personnages féminins aussi diaboliques exerçant leur capacité de nuisance sur de pauvres hommes qui n’en peuvent mais.

Le « happy end » du Roman de Jim se construit sur l’effacement de la figure maternelle.

Au-delà de cette diabolisation de la figure maternelle, Le Roman de Jim ressemble à un film à thèse, tellement les personnages sont schématiques : Aymeric est exclusivement défini par sa gentillesse, qui confine à la passivité : si sa relation avec Jim est si importante, on aimerait qu’il se batte pour son fils adoptif, d’autant plus qu’il s’agit d’une affection réciproque.

Quant au père biologique, c’est un zombie, littéralement au début, quand il passe ses journées sur le canapé à regarder la télévision, et quand il commence à intervenir dans la vie de Jim, c’est par des remarques parfaitement arrogantes et déplacées… Il disparaît d’ailleurs très vite, comme s’il n’existait que pour priver Aymeric de son lien avec Jim.

Sara Giraudeau n’est pas mieux servie : elle apparait dans la dernière partie du film et n’a pas d’autre fonction que d’aider à renouer le lien entre Aymeric et son fils.

Il manque au film un minimum de vraisemblance psychologique pour nous faire partager les souffrances du protagoniste.


générique


Polémiquons.

  • Merci, encore une fois, de regarder les œuvres de fiction comme des objets qui s’inscrivent dans et influence un monde politique "réel". Les créateurs et créatrices font œuvre politique, comme vous le démontrez fort bien.

    Je trouve navrant que les autres critiques se bornent à commenter - en particulier pour ce film - l’objet "esthétique" et qu’il faille venir sur ce site pour avoir un tant soit peu de recul sur l’intention de ce film et le discours qu’il porte.

  • Même si j’ai apprécié le film, je comprends très bien vos réserves. Là où le roman, écrit à la première personne, nous permettait de comprendre que nous n’avions que le point de vue d’Aymeric, le film, lui, laisse supposer que nous avons sous les yeux des faits objectifs. C’était la description qu’Aymeric faisait de Flo qui nous la rendait antipathique, puisqu’en tant que narrateur il cherchait à nous faire partager ses tourments. À la fin du roman, lors de la confrontation avec Jim devenu jeune adulte, on comprenait tout à coup que ce qui nous avait été présenté comme un désir contrarié de paternité pour cause de « trop grande gentillesse », pouvait aussi être la conséquence d’une faiblesse, voire pire, d’une paresse, d’une lâcheté. Pendant des années, Aymeric repousse son voyage au Canada, par manque de disponibilité, d’argent, etc…mais on sent bien que ces arguments matériels cachent une forme de désengagement. Finalement, on comprend avec lui que la perte du lien avec Jim est aussi de sa responsabilité. Il manquait cet aspect crucial de l’histoire dans le film.

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