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La Fille d’un grand amour, premier film d’Agnès de Sacy, scénariste depuis trente ans, est typique de ce « cinéma d’auteur » français, autobiographique et intimiste, pour le meilleur et pour le pire.
Nous sommes en 1991. Cécile, élève en dernière année à la FEMIS, la prestigieuse école de cinéma, doit faire un film sur un thème imposé : ses parents. Les siens sont séparés depuis 15 ans. Elle va voir chacun d’entre eux et leur demande de raconter leur première rencontre, qu’ils qualifient tous deux de « coup de foudre ».
Après un générique sur les images d’un mariage (sans doute celui des parents de la réalisatrice), le film met en scène la jeune Cécile filmant ces deux parents : le contraste est fort entre Yves, le père (François Damien), un bureaucrate dont le travail consiste à préparer et rédiger des conseils d’administration d’entreprises, activité présentée comme totalement dénuée de sens, et Ana, la mère (Isabelle Carré), qui vit de façon bohème (elle fait de la brocante avec l’aide d’un voisin amoureux d’elle) dans une jolie maison au pied des Pyrénées, environnée de vignes. Ils se retrouvent lors de la projection du film dans les locaux de l’École, et Ana invite Yves à venir la voir. On le retrouve arrivant dans ce paysage (un peu trop) idyllique pour le week-end, mais dès leurs premiers échanges, affleurent les vieilles blessures dont on ne comprend pas encore la nature. Yves repart aussi sec. Nouvelle tentative quelques temps plus tard : cette fois-ci, Yves propose à Ana de se remarier pour qu’elle puisse profiter de ses revenus réguliers de salarié, alors qu’elle doit mettre fin à son activité de brocante et quitter sa maison. Elle réagit violemment à cette proposition et il décide de repartir, mais la soirée se termine au lit…
On assistera bientôt au remariage des parents, mais entretemps, Yves a écrit à sa fille pour lui raconter la cause de leur séparation : son homosexualité refoulée. La partie la plus intéressante du film est sans aucun doute le flash-back où il raconte sa visite chez le médecin de famille (Bruno Raffaelli) qui le « soigne » à coup d’injections dont il ne connaîtra pas la nature (on est au tournant des années 1960) et les souffrances dont sa vie d’adolescent a été marquée. Lors de la fête du remariage (on ne saura pas pourquoi Ana a finalement accepté la proposition d’Yves), ce désir refoulé refait surface et provoque la fuite d’Ana, incapable de supporter, sans doute comme autrefois, l’irruption de ce désir pour d’autres de la part de l’homme qu’elle aime. Là encore on ne saura pas pourquoi, connaissant l’orientation sexuelle d’Yves, elle n’anticipe pas ses propres réactions.
La réalisatrice n’a pas caché la dimension autobiographique de cette histoire, y compris l’existence du documentaire qu’elle a réalisé trente ans auparavant sur ses parents, au département réalisation de la FEMIS. Mais ce sont les confidences ultérieures de son père sur son désir pour les hommes qui l’ont décidé à écrire et à réaliser ce film. Ce qui n’empêche pas qu’elle revendique d’avoir fait une « autobiographie imaginaire de ses parents ».
Si les deux acteurs qui incarnent ses parents sont convaincants, François Damien surtout dans un registre à la fois sérieux et autodérisoire, le film souffre d’une dimension « hors sol » typique du cinéma d’auteur français : la jolie maison où se passent la plupart des scènes, la splendeur des paysages pyrénéens, l’indifférence affichée du film vis-à-vis des conditions d’existence des personnages et de leur environnement social, pour privilégier leur histoire affective, renforcée par le jeu d’Isabelle Carré, qui surjoue la légèreté fantaisiste. Ce qu’on devine de souffrance dans ce couple ne sera qu’effleuré, au profit d’un « happy-end » un peu facile, quand Ana revient de sa fugue, sans qu’on sache non plus pourquoi.
Sur un sujet analogue, le film de Katel Quillévéré, Le Temps d’aimer (2023), affrontait plus courageusement les conséquences dramatiques de la répression de l’homosexualité masculine dans la société française d’après-guerre.