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Yves Rénier / 2018

Jacqueline Sauvage, c’était lui ou moi


>> Geneviève Sellier / jeudi 4 octobre 2018


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« Jacqueline Sauvage, c’était lui ou moi », téléfilm d’Yves Rénier, avec Muriel Robin, diffusé sur TF1 lundi 1er octobre 2018

Pour la deuxième fois [1], et avec un succès aussi grand (près de 8 millions de téléspectateurs), TF1 fait le travail qu’on aurait pu attendre du service public, en diffusant en prime time une remarquable fiction documentée qui dénonce les violences conjugales.

Dans les deux cas, les téléfilms sont adaptés du livre écrit par la femme victime qui a fini, après plusieurs décennies de brutalités subies, par tuer son conjoint. Dans les deux cas, le travail des avocates (les mêmes dans les deux procès) a consisté à tenter de démontrer que leur cliente était en état de légitime défense, mais le verdict a été beaucoup plus problématique dans le cas le plus récent, ce qui n’est pas très rassurant…

En effet, alors qu’Alexandra Lange a été acquittée en 2012 du meurtre de son mari commis en 2009, Jacqueline Sauvage qui a tué son mari en 2012 a été condamnée à deux reprises, en 2014 et en 2015, à dix ans de réclusion criminelle. Il a fallu un puissant mouvement d’opinion pour que François Hollande use de la grâce présidentielle, partielle en janvier 2016, puis totale en décembre, suite au refus de la justice de sa libération conditionnelle et de l’indignation qu’a suscité cet acharnement judiciaire dans l’opinion.

Muriel Robin incarne magistralement cette femme dominée et muette, sous l’emprise d’un homme violent, qu’elle a épousé à 17 ans parce qu’elle était enceinte, et qui l’a très vite terrifiée par ses insultes et ses coups, aggravés bientôt par l’alcoolisme. On retrouve tous les ingrédients qui caractérisent ce type d’emprise : un mariage précoce avec des grossesses rapprochées, l’isolement par rapport au milieu familial qui désapprouve l’union, la dépendance économique totale (c’est elle qui tient les comptes de la petite entreprise de son mari), et, comble d’horreur qu’on découvre au deuxième procès, les abus sexuels sur les filles.

Le téléfilm qui s’ouvre sur le meurtre, suivi de l’incarcération et du premier procès, fait ensuite des retours en arrière sur différents moments de la vie conjugale et familiale de J. Sauvage, en mettant l’accent sur l’extrême vulnérabilité de cette femme paralysée par la peur des coups sur elle et sur ses enfants (3 filles et un garçon, lequel se pend quand il apprend que son père a violé ses sœurs, au moment même où sa mère, elle aussi au bout du rouleau, tue son mari). Malgré l’horreur de cette situation, révélée dans toutes ses dimensions lors du procès en appel, le verdict restera le même : 10 ans de réclusion criminelle.

Au contraire du procès d’Alexandra Lange, où l’avocat général avait été littéralement retourné par les révélations de l’accusée, ici tous les magistrats (dont une majorité de femmes) font preuve d’une insensibilité remarquable à la souffrance endurée par cette famille, et le téléfilm suggère, à travers le choix des acteurs/trices et de leur jeu, qu’il s’agit d’une justice de classe. Jacqueline Sauvage est clairement une femme dépourvue de toute capacité d’agir, et c’est la mobilisation de ses filles et de ses avocates qui va la sauver, contre l’appareil judiciaire.

Pour autant, le téléfilm ne la présente pas seulement comme une victime : à partir de son incarcération, et suite au premier verdict, elle tente peu à peu, avec l’aide des femmes qui l’entourent, y compris en prison, de sortir de son mutisme pour se défendre. Le livre qu’elle a écrit [2] une fois libérée est l’aboutissement de ce processus.

Le téléfilm met également en évidence la solitude terrible des femmes qui subissent ces violences, le mari exerçant sa terreur également sur les enfants et sur l’entourage, qui par peur des représailles, renoncent à faire appel à la police.

Le succès de ce téléfilm, après celui de L’Emprise il y a quatre ans, indique qu’une prise de conscience a lieu dans l’opinion sur la réalité insupportable de ces violences, qui font qu’une femme en France meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint. Mais on ne peut pas en dire autant de l’appareil judiciaire…

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[1L’Emprise, téléfilm de Claude-Michel Rome, avec Odile Vuillemin, diffusé en janvier 2015, https://www.genre-ecran.net/?L-Emprise

[2Jacqueline Sauvage, Je voulais juste que ça s’arrête, Essai, Poche, 2018.