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Roman Polanski / 2020

J’accuse


>> Geneviève Sellier / mardi 4 février 2020

Le roi est nu !


J’accuse, 12 nominations aux Césars, un record ! Le dernier film de Polanski est-il esthétiquement éblouissant ? S’agit-il d’un regard d’une complexité inédite sur l’affaire Dreyfus ? Le scénario témoigne-t-il d’une habileté particulière ? Est-ce qu’il nous touche par la peinture subtile des relations humaines ? Assiste-t-on à des performances d’acteur/trice hors du commun ? Si je suis obligée de répondre négativement à toutes ces questions, qu’est-ce qu’il reste pour expliquer cette unanimité de la profession ? Serait-ce la manifestation du soutien indéfectible à un cinéaste dont le prestige arrive de moins en moins bien à camoufler des comportements qui tombent sous le coup de la loi ? Serait-ce une façon de rappeler que, malgré #MeToo, les (grands) artistes en France sont au-dessus des lois ?

Un grossier camouflage historique

Le dossier de presse diffusé lors de la présentation du film à la Mostra de Venise, m’avait mis la puce à l’oreille, à cause de cet échange entre Pascal Bruckner et Roman Polanski : à la question « En tant que juif pourchassé pendant la guerre, en tant que cinéaste persécuté par les staliniens en Pologne, survivrez-vous au maccarthysme néoféministe d’aujourd’hui ? », il a répondu : « Il y a des moments de l’histoire que j’ai vécus moi-même, j’ai subi la même détermination à dénigrer mes actions et à me condamner pour des choses que je n’ai pas faites. » Autrement dit, le choix par Polanski de traiter de l’affaire Dreyfus à ce moment-là de sa vie et de sa carrière semble largement instrumentalisé au service d’une cause qui n’a pas grand-chose à voir avec le capitaine…

J’ai appris ensuite, grâce au papier de l’historien Gilles Manceron sur Médiapart, que c’est Polanski lui-même qui avait suggéré en 2012 à Robert Harris, auteur de « thrillers historiques », co-scénariste de The Ghost Writer, « d’aborder ce thème dans son prochain livre », lequel s’est exécuté dès 2013 en publiant sous le titre An Officer and a Spy, un ouvrage traduit en 2014 chez Plon dans la catégorie « roman » sous le titre de D.. Manceron rapporte que Robert Harris a reconnu lui-même avoir « adapté les faits », expliquant qu’« un romancier peut imaginer les choses autrement » : « Je suis seul responsable de toutes les erreurs qui demeurent, factuelles ou stylistiques, ainsi que des tours de passe-passe dans la narration et la caractérisation des personnages nécessaires au passage des faits à la fiction ».

La formule qui figure au début du film (je cite de mémoire) « tous les événements rapportés dans ce film sont réels » paraît dès lors sujette à caution. Je renvoie le/la lecteur/trice au papier de Manceron qui fait la liste (fort longue) de tous les éléments de l’affaire passés sous silence par Polanski (y compris ceux qui sont mentionnés par Harris) pour en faire le parcours héroïque d’un homme seul face à un appareil d’État (ici l’armée), en passant sous silence les réticences de Picquart et son hostilité à Dreyfus et sa famille, et en oubliant totalement la bataille intellectuelle et politique qui aboutit à la révision du procès et à la création de la Ligue des Droits de l’Homme. Polanski invente même une amitié étroite entre Picquart et l’avocat Louis Leblois, alors que Picquart avait interdit à l’avocat de transmettre à la famille Dreyfus les preuves qui auraient permis d’innocenter l’officier injustement condamné [1].

Un éloge académique de la masculinité hégémonique

À la quasi-unanimité, la presse française a souligné l’excellence du film, sans faire l’effort de creuser un tant soit peu la soi-disant « réalité » des faits racontés par le film (mais la cinéphilie est coutumière de ce genre de paresse, car elle se donne pour mission d’être le porte-parole de « l’auteur », et non de s’interroger sur le film avec un regard critique).

En quoi consiste en l’occurrence, cette excellence ? En la réunion de moyens exceptionnels auxquels le cinéma français a rarement accès : la cour des Invalides avec l’armée française au grand complet dans la scène d’ouverture (la dégradation du capitaine Dreyfus) ; la quasi intégralité du gratin (masculin) de la Comédie-Française, y compris dans des rôles tout à fait secondaires qui laissent penser qu’on a plus affaire à du name-dropping qu’à une utilisation pertinente des comédiens ; une reconstitution historique luxueuse avec force moustaches, calèches et chevaux « d’époque » (on a même droit à un cabaret avec french-cancan). On touche au grotesque (involontaire) avec la scène du concert privé où un long panoramique nous permet de découvrir Polanski au centre de l’assemblée, déguisé en académicien (excusez du peu !). Et cerise sur le gâteau, Jean Dujardin, la star de la comédie populaire apparemment à contre-emploi, semble chargé de faire la démonstration des talents exceptionnels du directeur d’acteurs qu’est Polanski… En réalité, il s’agit davantage d’une utilisation sérieuse (au premier degré) des caractéristiques de la persona de l’acteur, qui incarne la domination masculine dans ses dimensions la plus traditionnelles : arrogance, séduction, maîtrise de soi, individualisme, etc. Face à lui, réellement à contre-emploi, Louis Garrel, le jeune premier romantique du cinéma d’auteur, méconnaissable, incarne Dreyfus.

Du coup, on ne peut qu’être frappé.e par l’indigence du casting féminin : Emmanuelle Seigner, l’épouse du cinéaste à la ville, fait de la figuration, on n’ose même pas dire intelligente, tant son rôle est purement décoratif : repos du guerrier, elle incarne la maîtresse de Picquart, épouse d’un haut fonctionnaire du ministère de la Défense, tantôt dans d’élégantes tenues belle époque, tantôt en chemise dans le lit du héros, pour lui signifier son soutien souriant (le plus souvent muet), son temps de présence à l’écran ne doit pas beaucoup excéder cinq minutes ! Sa première réplique, dans une scène ostensiblement démarquée du Déjeuner sur l’herbe de Manet (mais les femmes sont habillées, bien sûr), indique le rôle dévolu aux femmes dans ce film : alors que les hommes discutent gravement de l’affaire, elle intervient, guillerette, pour vanter l’excellence d’un restaurant !

Venons-en au cœur du problème : de quoi le Picquart de Polanski est-il le nom ? Au-delà de l’académisme de ce film historique, qui nous fait nous interroger sur les véritables raisons du soutien qu’il a reçu de la part de la critique cinéphilique, d’habitude si soucieuse de la forme et de l’originalité esthétique, le personnage qu’incarne Dujardin renvoie à un type de masculinité qu’on peut qualifier d’hégémonique, pour reprendre le concept élaboré par la sociologue australienne R.W. Connell [2]. En effet, il a tous les attributs qui permettent de légitimer le patriarcat. Droit dans ses bottes, vêtu d’uniformes impeccables, la moustache conquérante, il n’a jamais besoin de personne pour mener sa barque, rien ni personne ne peut l’impressionner, et même sa maitresse est une présence contingente. Jamais la moindre manifestation de vulnérabilité, pas la moindre faille : il traverse la tempête qu’il a déclenchée sans jamais plier, même en prison. Il prend ses décisions seul, uniquement mu par la recherche de la vérité (et de l’efficacité : c’est un militaire moderne). Un homme, un vrai ! Inutile de préciser que la mise en scène ne prend jamais la moindre distance avec ce parangon de masculinité héroïque et solitaire.

Quel est l’intérêt, plus d’un siècle après l’Affaire, et après les dizaines d’ouvrages historiques écrits sur ses aspects les plus complexes, de faire un film parfaitement linéaire, totalement focalisé sur un seul protagoniste transformé en héros, aussi monolithique, aussi univoque, aussi hagiographique, et aussi académique, esthétiquement parlant ? Je ne vois qu’une véritable raison : faire oublier la face obscure de son réalisateur, et suggérer son identification avec un autre « persécuté », une autre victime illustre d’une « erreur judiciaire », alors même que les innombrables appuis complaisants qui lui permettent de continuer à faire des films depuis des décennies, peinent de plus en plus à entretenir sa légende. Mais au-delà de cette raison de circonstances, ce qui transparaît dans ce film, c’est une adhésion aux « valeurs » masculines les plus désuètes, les plus réactionnaires, les plus sexistes…

Le soutien indéfectible des institutions cinéphiliques

Parmi les soutiens indéfectibles du cinéaste, on compte le temple de la cinéphilie, la Cinémathèque française, à travers son directeur, Frédéric Bonnaud, qui en 2009, au moment de l’arrestation de Polanski en Suisse, se précipite à son secours lors d’une émission diffusée le 30 septembre 2009, où il va systématiquement chercher à « vieillir » la victime, arguant d’abord qu’elle, Samantha Geimer avait « 14 ans dans deux mois » pour ensuite se fixer sur cet âge. « Roman Polanski est tombé à l’époque, lui-même [n’allant] pas très bien, sur une jeune-femme qui avait 14 ans, qui en faisait 17 ou 18, et qui avait simplement, à en croire son témoignage, ce qu’on appelle une sexualité active. Il a pas été son initiateur, il a pas été son Pygmalion (sic), il a eu une aventure sexuelle avec elle. Voilà le dossier. », explique-t-il à Guillaume Durand.

Les propos de Frédéric Bonnaud, qui choquent particulièrement aujourd’hui, n’ont pourtant rien d’original à l’époque. Le déni du viol (du mot même) fait partie des rengaines que l’on entend dans les jours qui suivent l’arrestation de Polanski. Une « affaire de mœurs », une « affaire vieille de trente ans » (dans la pétition de la revue la Règle du jeu lancée par Bernard-Henri Lévy), une « histoire ancienne qui n’a pas vraiment de sens » pour le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand.

Le viol disparaît. Disparaît aussi l’enfant droguée au quaalude (un sédatif) par un homme de 43 ans qui lui impose une sodomie. Une « jeune femme » à la « sexualité active », nous dit Frédéric Bonnaud : ne l’a-t-elle pas un peu cherché ?

Celui qui est alors journaliste a-t-il écouté les déclarations d’Alain Finkielkraut, quelques jours avant, le 28 septembre 2009 : « à 13 ans, ce n’est plus une enfant ! », s’exclamait cet autre défenseur fervent de Polanski à propos de Samantha Geimer. Toujours est-il que l’agression sexuelle sur mineure semble laisser Frédéric Bonnaud, comme beaucoup d’autres, indifférent. Selon ce dernier toujours dans la même émission, on ne pourrait pas non plus parler de pédophilie, car – argument imparable – les pédophiles… recommencent !

Pourtant, justement, Polanski recommence, comme on le verra plus loin…

En dépit de toute vraisemblance (comme le soulignera plus tard Mona Chollet), c’est en évoquant le physique de la victime que lui, mais aussi Costa-Gravas, président de la Cinémathèque, tentent de faire passer l’enfant pour une « jeune femme ». « Mais vous avez vu les photos ? Elle en fait 25 ! », déclare Costa-Gavras, avant de conclure, inflexible, au micro d’Europe 1 : « Donc il faut cesser de parler de viol ». Comme si cette caractérisation – viol – était indexée sur l’âge apparent de la victime, non sur la réalité du consentement.

Pas de viol donc, mais une nouvelle victime, Polanski lui-même, pour qui l’empathie est proportionnelle à l’indifférence glaçante à l’égard de la pré-adolescente qui a subi le viol. Costa-Gavras ne justifie-t-il pas la fuite du réalisateur au motif que « dans les prisons américaines, il y a des viols » ? Dans les prisons américaines, pas dans le monde merveilleux du cinéma.

Mais les manifestations de soutien à Polanski ne sont pas qu’individuelles. Ce que révèle Costa-Gavras à l’époque, toujours dans la même interview et pour s’en féliciter, c’est que « la pétition est sortie de la Cinémathèque ». Une pétition qui, à côté de celle de BHL, réclame la remise en liberté de Polanski, « l’un des plus grands cinéastes contemporains ». La Cinémathèque figure en bonne place parmi les signataires.

Les défenseurs de Polanski n’ont pas dit leur dernier mot, et Frédéric Bonnaud est un des plus obstinés. En 2013, alors directeur des Inrockuptibles, il avait offert une couverture à Polanski, estimant dans l’édition du 24 novembre que ce dernier avait payé « son après-midi d’égarement alcoolisé et stone », invitant à ce que l’on arrête de « le regarder comme un coupable éternel ». Au mois de juin 2017, devenu depuis directeur de la Cinémathèque, il annonce à la presse la programmation de son institution pour les mois à venir. Roman Polanski et Jean-Claude Brisseau (un cinéaste condamné deux fois pour harcèlement sexuel), y figurent en bonne place.

Provocation face aux voix qui commencent à dénoncer le sexisme du milieu [3] ? Cette montée de la contestation n’est sans doute pas pour rien dans la colère du directeur de la Cinémathèque face à François Bonnet et à Lenaïg Bredoux de Mediapart en novembre 2017. Quelques jours plus tôt, des féministes s’étaient rassemblées devant le bâtiment parisien : non pas pour demander l’annulation des projections (comme Bonnaud le déclare, criant plusieurs fois à la « censure »), mais pour protester contre la présence et la célébration d’un homme que désormais plusieurs femmes, pour certaines mineures à l’époque, accusent de viol.

Rappelons qu’en 2010, en plein festival de Cannes, l’actrice britannique Charlotte Lewis avait accusé le réalisateur d’avoir « abusé (d’elle) sexuellement » à 16 ans lors d’un casting en 1983. Une deuxième femme, identifiée comme « Robin », l’a accusé en août 2017 d’agression sexuelle lorsqu’elle avait 16 ans, en 1973. En septembre 2017, Renate Langer, une ancienne actrice, déposait une nouvelle plainte pour viol, affirmant avoir été agressée en 1972 à Gstaad alors qu’elle avait 15 ans. Deux mois plus tard, la justice suisse déclarait ces accusations prescrites. Enfin, au moment de la sortie de J’accuse, une Française, Valentine Monnier, accuse Roman Polanski de l’avoir violée en 1975 en Suisse alors qu’elle avait 18 ans.

Signe d’une gêne grandissante au sein de la profession, le 10 novembre 2017, la Société des réalisateurs avait même publié un communiqué regrettant que, à travers les propos de son directeur, la Cinémathèque n’apparaisse comme « pas à la hauteur du moment », qu’elle « joue la fuite, l’hostilité ou la résistance au débat qu’elle n’arrive manifestement pas à penser dans sa complexité ni même ses grandes lignes ».

On voudrait croire que #Me Too étant passé par là, ce faisceau d’accusations convergentes ne puisse plus être ignoré. Lors de l’affaire Adèle Haenel – qui a dénoncé le harcèlement sexuel dont elle a été victime adolescente de la part du cinéaste Christophe Ruggia –, le milieu du cinéma semblait vouloir se refaire une santé morale. Invité par Mediapart, Costa Gavras, toujours président de la Cinémathèque, exprime son admiration pour Adèle Haenel. Il avoue avoir « appris des choses qui se passent dans la profession ». Christophe Ruggia fait l’objet d’une enquête judiciaire et a été radié de la Société des Réalisateurs de Film.

Mais les 12 nominations du film de Polanski aux Césars jettent un doute sur la sincérité de ce mea culpa collectif. Si la profession est prête à prendre ses distances avec un cinéaste peu connu, elle continue à soutenir les plus prestigieux d’entre eux : Polanski et Woody Allen restent au-dessus des lois… [4]


>> générique

Polémiquons.

  • Merci pour cet article.
    Vis a vis de l’"angle" pour le moins particulier choisi par Polanski pour raconter l’affaire Dreyfus, j’avais envie de mettre un lien vers cette émission de France Culture donnant un avis d’historien.ne.s sur le film :
    https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/jaccuse-de-roman-polanski-quen-pensent-les-historiennes-et-les-historiens

    Il en ressort qu’il aurait facilement utiliser de véritables personnages d’héroïnes ayant joué un rôle capital dans cette histoire, notamment (de mémoire) sa fille. Le choix de Picquart comme héros et l’invisibilisation de ces femmes sont pour le moins révélateurs (à mon avis) de l’état d’esprit dans lequel le bonhomme a fait son film.

  • J’accuse un grand film de Roman Polanski justifiant de tels honneurs ? Et si le problème n’était pas là !
    A partir de sa fiche Wikipédia j’ai étudié le cas Polanski.
    Avant 1970, la shoah et le massacre de Sharon Tate enceinte. Il y a de quoi ébranler un être humain !
    Sauf que .... de 1970 à 1985, son étincelle de vie s’exprime notamment au travers de relations pour le moins problématiques avec de très jeunes femmes : d’une part une différence d’âge comprise entre 24 et 34 ans (son goût de la chaire fraîche devrait nous interpeller) et d’autre part 7 femmes l’accusant d’agression sexuelle (qu’ont- elles à y gagner ?). 15 ans de turpitudes (euphémisme).
    Saluons Emmanuelle Seigner (33 ans de différence d’âge) qui a su calmer sexuellement et sans doute moralement et intellectuellement cet homme : après sa rencontre aucune affaire sordide n’apparaît plus !
    Polanski est un grand cinéaste qui a ......! Et c’est un vieil homme très proche de sa mort. Et il a une descendance.
    Il me fait penser à Céline qui, après son exile suite à la fin de la seconde guerre mondiale et du fait de son violent antisémitisme, a passé le restant de sa vie à sauver son œuvre littéraire. Il est dans la pléiade sauf ses carnets antisémites. Ah ! Ces artistes …..

  • Merci pour votre analyse qui manque tellement parmi les critiques qui ont du pouvoir, de la surface médiatique (au hasard "le Masque et la Plume"). Je me permets 2 précisions :
    1) Jean-Claude Brisseau a été condamné pour harcèlement sexuel ET pour agression sexuelle.
    2) Adèle Haenel accuse Christophe Ruggia de harcèlement sexuel Et d’agression sexuelle.
    Quant à ce réalisateur, vous dites qu’il a été radié. Vous en êtes sûre ? Je sais qu’en novembre, une procédure de radiation a été lancée par la SRF. Je ne sais pas si celle-ci est terminée.
    Ces précisions ne changent pas l’analyse du film et de son contexte, mais il me semblait important de les faire. Cordialement.

  • J’ai écrit dans l’article ci-dessus que Jean Dujardin était à contre-emploi dans J’accuse, parce qu’on a plutôt l’habitude de le voir dans des rôles comiques de mec hableur jusqu’au grotesque. Mais en réfléchissant, il me semble qu’il ne s’agit pas d’un contre-emploi, mais d’une version sérieuse de la même figure de masculinité : le mâle sûr de lui, irrésistible, invulnérable, une incarnation positive et sans la moindre distance de la domination masculine... ce qui est finalement assez cohérent avec la face sombre de Polanski.

  • Bonjour,
    On ne peut pas comparer les mentalités d’hier
    Et d’aubourd’hui, et balayer la présomption d’innocence sans maîtriser la vérité , comme à dit l’une de nos grandes femmes féministes : je préfère un prédateur en liberté plutôt qu’un innocent en prison, par conséquent votre analyse sur le film est loin d’être objective.

  • JEAN RICHEPIN " Les oiseaux de passage "
    Ces quelques vers semblent avoir été écrits pour l’oiseau migrateur Polanski et pour ses détracteurs

    " Regardez-les , vieux coqs , jeunes oies édifiantes,
    Rien de vous ne pourra voler aussi haut qu’eux ,
    Et tout ce qui viendra , d’eux à vous , c’est leur fiente
    Les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux.

  • Merci d’être allée voir ce film pour nous donner un avis solidement argumenté sur ses qualités artistiques !

    J’attire votre attention sur cette tribune dans laquelle un défenseur de Polanski trouve un angle d’attaque tout à fait inédit : moi aussi je suis féministe, regardez, d’ailleurs je vais vous dire ce que les féministes devraient faire. On connaît le "petit bonhomme" depuis trente ans : féministe, ça se discute...

    https://www.liberation.fr/debats/2019/12/06/pour-en-finir-avec-la-domination-masculine-dans-le-cinema_1767218

  • Donc ,la on s’attaque au film lui même, et non plus au cinéaste.....alors donnez moi une oeuvre(roman ou film),qui ne soit romancé, pour mieux vendre "l’histoire"....dernièrement "1917",qui a mon avis est bien réalisé sur le point de vu des conditions de vie dans les tranchées des deux cotés...mais,avec des arrangements sur l’histoire surement,l’intérêt je pense,c’est attirer le plus grand nombre de spectateur a aller chercher et creuser eux mêmes, dans des livres plus techniques d’historiens affûtés....pour les néophytes,la grande "histoire "est souvent des dates à retenir et de l’ennui sur la longueur des faits....cela n’est que mon ressenti...

  • J’accuse n’est effectivement pas un chef-d’œuvre. C’est un bon film dossier, avec de bons acteurs, des personnages typés, un héros attachant bien interprété par Dujardin. J’ai trouvé que le film rend bien le caractère vieillot, réactionnaire, buté de cette armée française pleine de certitudes. La forme du film, pas si académique, insiste sur le caractère poussiéreux, miteux de cette institution retranchée dans ses bureaux sombres, dans ses secrets.
    Vous avez raison sur le fait qu’il n’y a pas de personnage féminin digne de ce nom. Emmanuelle Seigner n’a pas un rôle consistant, c’est un aspect négatif du film. Elle ne sert à rien.
    Picquart a tous les attributs du patriarcat, dites-vous ? Et pour cause : il est un officier supérieur d’une institution ultra-patriarcale, glorifiée par une partie de la société de l’époque. Vous vous attendiez à quel type de militaire ? Sur les photos d’époque, il porte la moustache (comme 80% des hommes de l’époque, non ?). D’après l’info visible sur internet, la hiérarchie militaire le décrivait comme "hardi et bon cavalier", "très droit", "moralité parfaite". Je me demande donc quelle masculinité Polanski aurait dû décrire pour que son héros trouve grâce à vos yeux. Un petit mec lâche et veule, visiblement (de toute façon votre objectif est bien de descendre Polanski, quelle que soit la qualité de son film)
    "Quel intérêt de faire un film parfaitement linéaire, totalement focalisé sur un seul protagoniste transformé en héros, aussi monolithique, aussi univoque, aussi hagiographique, et aussi académique, esthétiquement parlant ?" Je vois tout à fait l’intérêt : pour Polanski continuer à faire du cinéma puisque c’est sa vie, du cinéma classique tout simplement, pour les spectateurs qui ne sont pas tous de fins connaisseurs de l’Histoire en apprendre un peu plus sur l’affaire Dreyfus et ses protagonistes. J’accuse est donc... un film intéressant, plaisant à suivre, bien fait, sans plus.

  • Polanski reste au-dessus des lois. Pas Woody Allen, il n’est inculpé dans aucun procès, il vit dans son pays, seulement mis en cause par un témoignage.

  • Puisque MC évoque « le masque et la plume » ! Cette émission est accusée de sexisme : enquête de Médiapart, relayée par Télérama (voir internet). En cause les propos des critiques de cinéma dont Eric Neuhoff. Ce dernier a obtenu en 2019 le prix Renaudot pour son essai sur le cinéma …. comme Gabriel Matzeff en 2013 (une fine équipe au prix Renaudot ; on se croirait à l’académie française, d’un point de vue féministe bien sûr).
    « La patronne de France Inter invoque la liberté d’expression et la spécificité d’une émission où chacun est à la recherche du « bon mot » pour faire le show. Elle compare le programme à « une scène de théâtre – on pourrait dire un ring de boxe. C’est aussi un café du commerce » (reprise des articles de Télérama). Ah ! la culture de comptoir national …..
    D’Eva Ionesco (années 70) à Adèle Haenel (première décennie du XXI° siècle), en passant par Flavie Flament et Springora (fin années 80) puis Sarah Abitbol (années 89-91) ne s’agit-il de pas de déconstruire "une culture du viol à la française (Valérie Rey-Robert, Georges Vigarello) en utilisant tous les moyens, dont le cinéma, pour mettre en exergue tous les mécanismes en jeux ? Mécanismes dont bénéficie Roman Polanski pour être encensé au travers de ces dernières nominations ….. Phénomène de Backlash !

  • "Quel est l’intérêt, plus d’un siècle après l’Affaire, et après les dizaines d’ouvrages historiques écrits sur ses aspects les plus complexes, de faire un film parfaitement linéaire, totalement focalisé sur un seul protagoniste transformé en héros, aussi monolithique, aussi univoque, aussi hagiographique, et aussi académique, esthétiquement parlant ? "

    A ma connaissance c’est le premier film consacré à l’Affaire, ce qui est en soi un événement. Dire que Picquart est "monolithique" et "univoque" est inexact : il nous est présenté dès le début comme un pur produit antisémite de son temps, ce qui ne fait pas de lui - vous me l’accorderez - un saint. De même, la scène finale laisse entendre qu’il reste insensible aux affronts antisémites que Dreyfus a continué à subir après sa réhabilitation et sa réintégration. Il est donc beaucoup plus ambigu et équivoque que vous ne l’écrivez.

  • Au sujet du film "j’accuse" voir la critique de Jean Michel Frodon en date du 12/11/19 sur Slate.fr.
    Il souligne les distorsions historiques du réalisateur afin de "faire disparaître beaucoup de choses au profit d’une efficacité dramatique ; c’est également servir un autre but, dont Polanski ne fait pas grand mystère".
    Et "pour renforcer cette approche, il a besoin de construire des figures solitaires, maltraitées par les puissances officielles et occultes comme par la populace haineuse. La dramaturgie historiquement simplificatrice de son j’accuse sert ainsi à la fois les intérêts du show et une plaidoirie pro domo, implicite mais reconnaissable."
    Et de conclure "par une singulière distorsion, puisqu’il y a une affaire Polanski comme il y a une affaire Dreyfus, le "j’accuse" du titre concerne désormais aussi les personnes qui s’en sont prises à Roman Polanski. Le moins que l’on puisse dire est que ça se discute."

  • C’est un très beau film qui montre des comportements humains qui malheureusement existent de nos jours. La destruction de l’homme par l’homme. Il permet d’éveiller les consciences et de ne pas oublier que même à notre époque il y a des personnes qui subissent des injustices et qui sont persécutées pour des raisons qui dépassent la raison. Le harcèlement est d’actualité il touche toutes les couches de populations, toutes les professions et tous les pays.

  • Bonjour,
    Je me permets de vous envoyer ce mot car le postulat de départ de votre article m’a semblé poser problème : « Le dernier film de Polanski est-il esthétiquement éblouissant ? S’agit-il d’un regard d’une complexité inédite sur l’affaire Dreyfus ? Le scénario témoigne-t-il d’une habileté particulière ? Est-ce qu’il nous touche par la peinture subtile des relations humaines ? Assiste-t-on à des performances d’acteur/trice hors du commun ? Si je suis obligée de répondre négativement à toutes ces questions, qu’est-ce qu’il reste pour expliquer cette unanimité de la profession ? » dites-vous.
    J’imagine que les réponses aux questions que vous posez peuvent varier selon les personnes. A mon sens, J’accuse n’est pas esthétiquement « éblouissant » (mais il me semble que vous n’employez pas un adjectif aussi dythirambique au hasard ; par exemple, vous auriez-pu simplement dire « intéressant »). Il n’en est pas pour autant anodin. Disons simplement qu’à de multiples reprises, la composition du cadre, la précision et l’élégance des mouvements de caméra ne sont pas ceux du tout-venant du cinéma français (je passerai sur l’idée d’académisme, véritable tarte à la crème sitôt qu’un film est en costumes). Je n’ai pas un bagage d’historien suffisant pour répondre à votre deuxième question. Sur le scénario, si l’idée de l’enquêteur qui se met à douter de ses propres convictions au fur et à mesure de ses découvertes n’est pas nouvelle, elle n’en reste pas moins efficace (est-ce ce que vous appelez « habileté » ?). Une peinture subtile des relations humaines ? Je serais plutôt d’accord avec vous et répondrais non. Les performances d’acteurs / actrices hors du commun ? Là aussi, le choix des mots induit la réponse attendue du lecteur. A défaut d’être « hors du commun », Dujardin, Garrel et Gadebois me semblent convaincants.
    Nous ne nous connaissons pas, et il me semble peu probable que mes réponses à vos questions vous intéressent. Mais selon moi, le problème n’est pas là. Car au regard de votre article, il ne me semble pas évident que de véritables réponses un tant soit peu étayées aux questions que vous posez aient pour vous le moindre intérêt. Il s’agit simplement de répondre à tout par un non ferme et définitif, des réponses négatives que vous seriez « obligée » d’apporter. Obligée par qui ? Par quoi ? Les convictions ? L’honnêteté intellectuelle ? Les deux ne sont pas nécessairement la même chose.
    Vous l’aurez compris, j’ai sur ce film un point de vue plus nuancé. A mon sens, J’accuse n’est pas un grand film, ce qu’étaient The Ghost Writer ou, dans un passé plus lointain, Le Locataire. Mais, pour les raisons avancées plus haut (et quelques autres), c’est selon moi un bon film. Sept oeuvres sont nommées pour le césar du meilleur film. En ce qui me concerne, je ne vois pas sept films français supérieurs à J’accuse qui soient sortis cette année. Si l’on n’interdit pas sa sélection pour des raisons extra-cinématographiques, il me semble difficile de ne pas le nommer, même si au bout du compte, ce n’est pas le film que je choisirais personnellement (Grâce à Dieu, voire Le Portrait de la jeune fille en feu me semblent supérieurs –nous serons peut-être d’accord sur ce point, quoique probablement pas pour les mêmes raisons).
    Si j’ai choisi de vous écrire, c’est parce que les questions que vous posez au début de votre article me semblent en cacher d’autres. A savoir, un cinéaste, fût-il un génie, est-il un justiciable comme les autres ? Il me semble que c’est une question à laquelle vous répondriez par l’affirmative, ce qui est également mon cas. Mais aussi, un cinéaste qui s’est comporté comme un salaud avec son prochain (ou ce qui est peut-être plus grave pour vous, avec sa prochaine), peut-il faire des films intéressants, voire passionnants. Pour moi, une réponse affirmative est toute aussi évidente. Il me semble qu’il n’en va pas de même pour vous, qui êtes « obligée » de répondre négativement. Comme si vous pratiquiez, sous une forme détournée, cette politique des auteurs que vous avez pourtant critiquée.
    Cordialement

  • Il faut séparer l’homme de l’artiste ! Ah ! ……
    L’artiste. Dans son domaine d‘activité, l’action de « l’artiste » s’inscrit à la fois dans la continuité de l’histoire de son art (ce qui n’exclut pas la rupture) et dans l’époque au sein de laquelle il « crée » ses ‘œuvres » (ainsi certaines œuvres firent scandales). Mais qui définit qu’un être humain peut être qualifié « d’artiste important ou incontournable ». ? Un « collège » composé de ses pairs et des critiques institutionnels. Or curieusement ces « collèges » sont essentiellement composés de mâles de l’espèce humaine (cette situation concerne également d’autres domaines). Entre mâles – surtout d’âge certain donc d’approche intellectuelle analogue – nous n’allons pas créer des tensions superfétatoires. Nous vivons au sein d’une république fraternelle, c’est-à-dire une République des frères ! Par exemple l’académie des césars ne comporte que 17% de femmes (à priori il a été promis que l’année prochaine il y aura parité au sein du conseil d’administration de cette académie).
    Aussi il n’est pas à exclure que la nomination de Roman Polanski résulte de cette « fraternité », pied de nez au mouvement MeToo et aux révélations d’une actrice Adèle Haenel.

    L’homme. Lui aussi s’inscrit dans son époque. Ainsi les relations sexuelles avec des enfants de moins de 15 ans sont interdits depuis l’après deuxième guerre mondiale. Mais …. D’une part ce type de relations relevait intellectuellement de la subversion (du moins pour une certaine classe sociale) et d’autre part les enquêtes policières et/ou l’action de la Justice ne se distinguent pas par leur farouche volonté de faire la vérité et de sanctionner (confère les études ayant trait à ce sujet). En fait les lois et les fonctions à responsabilités furent l’objet pendant des lustres de toute l’attention masculine.
    En clair, l’homme, dit artiste, n’est pas poursuivi et sanctionné (confère Matzeff dans ces carnets il relate ses frasques mais la République française ne le poursuit pas pendant des décennies).
    Aussi il paraît hypocrite d’ânonner « séparer l’artiste de l’homme » si dans les faits il n’y a aucune action à l’encontre de l’homme.
    Ayant fui les Etats-Unis, Roman Polanski a bénéficié de « l’ambiance » de la société française.

    Dans ces conditions l’homme sexuellement fautif peut être un artiste « incontournable » quand il n’est pas sanctionné.
    Mais l’homme sexuellement fautif et sanctionné pénalement peut-il être un artiste « incontournable » ? Quel « collège » s’y risquerait aujourd’hui ? Vite fuyons …..

  • @ Charles : l’intérêt pour l’affaire a commencé tôt : 1899, Mélies :

    https://www.dailymotion.com/video/xhbhoq

    Voir liste de l’affaire au cinéma :
    http://www.dreyfus.culture.fr/fr/mediatheque/films-audiovisuels.htm
    1902, 1930, 1931, 1937, 1958, 1965, 1974, 1995...

  • Quand Polanski a évoqué son projet de film sur l’Affaire Dreyfus dans le Monde des Idées en juillet 2014, il a précisé que Dreyfus n’était ‘‘pas très intéressant… pas particulièrement séduisant ni sympathique, même pour les gens qui le soutenaient’’.
    L’historien et biographe de Dreyfus, Vincent Duclert, lui a répondu que ce point de vue avait été depuis longtemps remis en question par les historiens ; "Evidemment, il faut chercher et lire, et ne pas s’en tenir à des vues de l’esprit qui empêchent d’accéder à la profondeur et à l’universalité d’un événement comme l’Affaire. Reconnaître à des hommes ou des femmes broyés par des systèmes d’oppression et de torture une capacité de résistance et même d’héroïsme est un enjeu historiographique que les chercheurs sont aujourd’hui capables de documenter et que les artistes savent souvent saisir." https://affaire-dreyfus.com/jaccuse-de-polanski/une-mise-au-point-de-vincent-duclert-au-sujet-dune-interview-de-polanski/
    Polanski a choisi de ne pas s’attacher à cet aspect pour se concentrer sur son "Super Picard".
    De surcroît, il a fait disparaître le seul "personnage" féminin central de l’Affaire, Lucie Dreyfus qui était peu présente dans le roman de Harris dont est tiré le film mais qui disparaît complètement (à part une apparition de 5 secondes où elle n’est même pas nommée)... Dans la bibliographie monumentale sur l’Affaire Dreyfus, Lucie avait déjà été négligée par les historiens, sa première et seule biographie par Elisabeth Weissmann datant de 2015, mais un tel escamotage est quand même inédit...

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[1Voir Philippe Oriol, Le faux ami du capitaine Dreyfus. Picquart, l’Affaire et ses mythes (Grasset, 2019)

[2Connell, Raewyn, Masculinités. Enjeux sociaux de l’hégémonie, (trad.), Editions Amsterdam, Paris, 2014.