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Rungano Nyoni / 2017

I Am Not a Witch


>> Geneviève Sellier / mardi 9 janvier 2018


Réflexions d’une spectatrice occidentale…

Le film m’a laissé une impression ambivalente que je voudrais essayer d’expliquer ici.

La jeune réalisatrice, Rungano Nyoni, s’est documentée sur les camps de sorcières au Ghana ou en Zambie, ou sur le sort des enfants accusés de sorcellerie en République démocratique du Congo. Mais elle a conçu son film comme un conte de fée cruel. « J’ai grandi avec les contes de fées et les contes zambiens sont vraiment spéciaux. Ils sont uniques, violents. Ils sont drôles aussi. Le ton change en cours de route. On ne sait pas où cela mène. Et je voulais aussi faire un film ambigu comme ce type de conte de fées » (cf. l’entretien qu’elle a donné à RFI)

http://www.rfi.fr/culture/20170526-cannes-2017-i-am-not-witch-film-zambien-croisette-sorcieres-rungano-festival-zambie

Cette indécision entre histoire réaliste et conte a eu des effets ambivalents sur moi, spectatrice occidentale. D’une part le refus de situer l’histoire dans un contexte précis a un effet généralisateur qui conforte l’idée d’une « Afrique » archaïque, en proie à la sorcellerie, finalement assez proche du stéréotype reformulé naguère par Sarkozy : le « drame de l’Afrique » vient du fait que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire ». http://www.jeuneafrique.com/173901/politique/france-s-n-gal-extraits-du-discours-de-dakar-prononc-par-nicolas-sarkozy-en-2007/

Le fait que le film se penche sur le sort des femmes accusées de sorcellerie dans certains pays africains, et exploitées, stigmatisées, maltraitées par le patriarcat local, conforte également l’idée que le machisme est un problème des pays du Sud… L’homme « du gouvernement » obèse et grossièrement corrompu qui exploite l’enfant, entouré d’autres notables qui organisent l’exploitation des soi-disant sorcières, est une caricature un peu trop prévisible…

Par ailleurs, le fait que l’histoire soit focalisée sur cette petite fille venue de nulle part et désignée par les habitants de la localité comme une sorcière, brouille encore la compréhension du phénomène : s’agit-il de stigmatiser les femmes d’âge mûr comme porteuses d’un savoir que les hommes leur dénient, ou s’agit-il d’une stigmatisation plus générale des individus non conformes, comme les albinos, qu’on voit brièvement dans la séquence de l’école.

Enfin l’esthétique du film, qui privilégie la beauté des images (ah ! ces longs plans sur les rubans blancs qui relient chaque sorcière à une sorte de bobine géante fixée sur un pieu pour les empêcher de « s’envoler »…) aux dépens de la compréhension du contexte – le lien entre les séquences est plus poétique que narratif – a tendance à sublimer cette histoire, d’autant plus que la très jeune protagoniste a un visage et un regard fascinant.

Le film semble valoriser la solidarité entre ces femmes mais leur servitude volontaire (le ruban blanc qui les attache pourrait être coupé…) rend la situation difficilement compréhensible pour la spectatrice occidentale que je suis. La réalisatrice dit qu’elle s’est également inspirée du conte d’Alphonse Daudet « La Chèvre de M. Seguin » ce que semble confirmer la fin, mais qui ajoute encore au brouillage sémantique : la décision de la petite fille de se libérer est immédiatement suivie de sa mort, sans qu’on sache ce qui est arrivé, comme s’il s’agissait d’une fatalité.

Ce film concourt-il à faire mieux comprendre à un.e spectateur/trice occidental.e les contradictions spécifiques aux rapports genrés en Afrique… J’en doute un peu.

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