Cheyenne et Lola mélange les genres : entre western, policier, criminel, et comédie loufoque, la série met aux postes de commande deux femmes, aussi différentes que possible l’une de l’autre, en renouvelant la formule du couple antagoniste par la description minutieuse d’un milieu social, celui des marginaux qui vivent de petits trafics dans une localité des bords de la mer du Nord, d’où les migrants tentent de passer en Angleterre.
L’autrice, Virginie Brac est connue pour une série de polars féministes autour d’un personnage de psychiatre urgentiste, Véra Cabral, dont l’un a été adapté pour la télévision avec Zabou Breitman, sous le titre Vérités assassines. Elle a également écrit la deuxième saison de la série policière Engrenages – en mettant en avant deux personnages féminins opposés, Laure Berthaud (Caroline Proust), officier de police androgyne, et Joséphine Karlsson (Audrey Fleurot), avocate qui joue de ses charmes –, avant de créer la mini-série Les Beaux Mecs pour Canal + également.
Avec Cheyenne et Lola, elle reprend l’opposition entre deux types féminins mais cette fois, la série est clairement centrée sur elles. Pour incarner Cheyenne, la comédienne flamande Veerle Baetens s’est rasé les cheveux et a adopté une allure « butch » très inhabituelle à la télévision française. Face à elle, Charlotte Le Bon surjoue la blonde idiote, sauf qu’on s’aperçoit rapidement qu’il s’agit d’une tactique pour tirer son épingle d’un jeu dans lequel le rapport des forces entre hommes et femmes est trop inégal pour qu’elle puisse se payer le luxe de la sincérité. On pense à Thelma et Louise, à cause de la cascade de catastrophes où les plonge leur rencontre autour du cadavre d’une femme que Lola a tuée.
Virginie Brac dit avoir trouvé son inspiration dans le reportage de Florence Aubenas, Quai de Ouistreham : Cheyenne vit dans une caravane installée dans les dunes du Nord, et fait des ménages sur les ferries qui font l’aller et retour avec l’Angleterre, après avoir purgé un an de prison à cause de son mari qui est toujours sous les verrous. Elle cherche à partir au Brésil pour lui échapper. Elle se fera escroquer et n’échappera pas à l’emprise maritale…
De son côté, Lola joue les assistantes d’un don juan arnaqueur qui organise un genre de pyramide de Ponzi en dépouillant les pauvres à qui il promet monts et merveilles : il a réussi à soutirer 400 euros à sa femme de ménage (c’est Cheyenne). Quand celle-ci se rend compte qu’elle s’est fait arnaquer, elle tente vainement de récupérer sa mise, et Lola qu’elle rencontre dans les toilettes de la salle de spectacle où l’escroc fait son numéro, lui fait la leçon : « Pour réussir, il faut pas avoir l’air pauvre ; les pauvres, ça dégoûte les gens ! » Entre la bimbo blonde et la butch qui fait des ménages, ça commence par un solide mépris réciproque. C’est en enchaînant les initiatives aussi désespérées que catastrophiques qu’elles apprennent à se connaître, jusqu’à faire du trafic de migrantes sur les ferries en essayant d’arnaquer le caïd local...
Cette série (dont la seconde saison est déjà en préparation) se démarque du tout venant de la fiction télévisée française par le rythme haletant des péripéties, leur inscription dans une réalité sociale aussi actuelle que déprimante (les violences contre les femmes, le chômage, les migrants, les trafics trans-Manche), et surtout par le soin avec lequel sont écrits les personnages féminins et leurs relations, que la série explore tout au long de ses huit épisodes. Les hommes restent périphériques et aucune intrigue « romantique » avec l’un d’entre eux ne vient distraire l’attention. Aussi bien Cheyenne que Lola essaie de survivre dans un monde impitoyable où les solidarités féminines sont fragilisées par le poids des dominations masculines, qui sont à la fois sociales et sexuelles. Pourtant ce sont les femmes qui finissent par gagner… avant le retournement final !
A la fois très noire et pleine d’humour, cette série où se mêlent le rythme du thriller et le ton de la comédie féministe, est une excellente surprise. On attend avec impatience la saison 2.
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