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Sou Abadi / 2017

Cherchez la femme, le retour


>> Geneviève Sellier / mercredi 5 juillet 2017

Pourquoi ce film est-il raciste et islamophobe ?

Armand et Leila sont étudiant.e.s à Sciences Po : elle est d’une famille maghrébine, lui d’une famille iranienne : ils incarnent la seconde génération dûment « intégrée » (la preuve, ils font Sciences Po !). Ils doivent partir aux États-Unis où ils ont obtenu une bourse d’études (seconde preuve de leur intégration : ils réalisent leur rêve américain, et apparemment, aucun des deux n’a le moindre problème d’argent : pourtant Leïla vit en HLM avec son frère lycéen, les parents étant morts…).

Mais passons… Mahmoud, le frère aîné de Leila, rentre du Yémen où il s’est radicalisé : il débarque à l’aéroport avec la barbe, la chéchia et la djellabah de rigueur (à quoi s’ajoutera le keffieh, bien sûr !)

Dès son retour, il interdit à sa sœur de sortir et lui supprime son téléphone portable ; il vide manu militari l’amoureux et force son petit frère à préparer son départ au Yémen.

L’astuce du film est d’inventer que l’amoureux transi est lui-même le fils de réfugiés iraniens, sauf qu’ils représentent l’élite laïque qui a fui la révolution islamique. Anne Alvaro est particulièrement pénible dans le rôle de la mère abusive (mais parfaitement émancipée) qui essaie de protéger son fils contre les islamistes.

L’amoureux imagine de se déguiser en burqa pour venir voir sa dulcinée. Et le frère est tellement con (et sexuellement frustré, comme nous le rappelle le film) qu’il tombe amoureux de la personne en burqa qui dit s’appeler Shéhérazade et a suffisamment potassé le Coran pour donner des leçons au plus jeune frère.

Mahmoud poursuit (littéralement) « Shéhérazade » de ses assiduités pendant que la mère d’Armand, ayant vu une jeune fille en burqa rentrer dans leur immeuble (cossu) alerte les renseignements généraux (c’est forcément une terroriste).

Le frère est entouré dans son HLM d’une bande d’islamistes d’opérette qui lui reprochent de négliger sa foi parce qu’il est amoureux, et vont tenter de mettre la main sur la fille qui perturbe leur copain. Nouvelles poursuites…

Leila (Camélia Jordana) censée être au centre de l’intrigue est totalement instrumentalisée : elle n’existe pas, ni comme française, ni comme arabo-musulmane, ni comme fille (les parents sont morts opportunément), ni comme étudiante (on ne la verra jamais étudier), ni comme amoureuse.

On peut en dire autant de son partenaire, incarné par Félix Moati, qui est réduit à l’entreprise de travestissement qui est censée fournir les ressorts comiques du film.

Le frère n’existe pas davantage, il est une caricature grotesque de ce que les médias français ont construit comme figure de l’intégrisme, le comique en plus : le clou étant la fausse cérémonie de fiançailles organisée par les parents d’Armand pour faire diversion pendant que les deux amoureux vont prendre l’avion pour les États-Unis.

Pour bien indiquer qu’on est dans un film burlesque, on a droit à une dernière course poursuite vers l’aéroport, où le pot aux roses est enfin découvert.

Tout le film est d’ailleurs dans la bande annonce : il manque seulement la mère (Anne Alvaro), la bobo iranienne qui a fui la révolution islamique et incarne la figure de la « bonne immigrée », celle qui a totalement assimilé les « valeurs occidentales » (la preuve : elle a appelé son fils Armand !) et est à l’avant-garde de la lutte contre l’islam : c’est elle qui organise avec ses ami.e.s réfugié.e.s iranien.ne.s les fausses fiançailles.

Mais c’est Leila (encore une femme) à qui revient l’honneur de tirer la morale de l’histoire, en tant que porte-parole des « valeurs de la République », en faisant la leçon à son frère et à ses copains intégristes, avant de prendre l’avion pour les États-Unis avec son copain.

Dans ce film, la stigmatisation des musulmans se double d’une stigmatisation des couches populaires, assimilées aux immigrés maghrébins (le Fabrice qui a tant de mal à se fait appeler Farid est là pour témoigner de l’influence néfaste des islamistes sur les « jeunes de banlieue »).

En revanche, les réfugiés « politiques » iraniens, intellectuels et bourgeois, sont le fer de lance des valeurs de la République. La bataille des valeurs se joue donc entre immigrés, ce qui prouve à quel point elles sont universelles !

On retrouve aussi dans ce film la vieille habitude raciste qui consiste à faire jouer les « autres » ethniques par des « blancs » : de même que D.W. Griffith faisait grimer ses acteurs pour jouer les Noirs dans Naissance d’une nation (1914), ou qu’Annabella jouait une Berbère dans La Bandera (Duvivier, 1935), ici Anne Alvaro joue une Iranienne, et Félix Moati son fils. Quant à Camélia Jordana, plus connue comme chanteuse, elle a opportunément évacué son patronyme à consonance arabe (Riad-Alioune).

Un autre ressort comique du film est évidemment que l’intégriste tombe amoureux d’un garçon ! Le sous-texte est ici l’homophobie supposée des « garçons arabes ».
Quant à la réalisatrice, Sou Abadi, d’origine iranienne, arrivée en France à 15 ans avec ses parents, elle « fait le job » au-delà des espérances ! Même en ces temps d’islamophobie institutionnelle, un.e réalisateur/trice franco-française n’aurait sans doute pas osé faire une caricature aussi grossière…

Voir le texte critique du Réseau classe/genre/race

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