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Jean-Paul Belmondo

Bébel


Martin O’Shaughnessy / dimanche 19 septembre 2021

Un héros macho dans un monde en crise


Comment le cinéma populaire a-t-il réagi à la contestation féministe des années 1970 ? Les films qui ont fait de Jean-Paul Belmondo le champion incontesté du box-office – le seul à tenir tête à l’envahisseur américain – peuvent nous aider à répondre à cette question.

Belmondo y est tour à tour un policier marginal et un cow-boy urbain dans le style de Clint Eastwood, un justicier hors la loi comme Bronson, un aventurier doublé d’un agent secret comme Indiana Jones ou James Bond, un soldat, la mitraillette à l’épaule, comme Rambo. Défendant l’honneur national contre les plus virils et les plus séducteurs des Anglo-Saxons, il ne dédaigne pas se mettre au volant d’une Ford Mustang pour une poursuite en voiture dont Steve McQueen aurait été fier, avant de reprendre sa vieille Renault 4 (dans Le Marginal). S’appelant Letellier, Vauthier, Gaucher, Dupré, Beaumont, Cavalier, Augagneur, Jordan, on ne saurait douter qu’il est bien français : n’affronte-t-il pas des Marcucci, Rosen, Meccaci (et même Hitler) ? Faisant lui-même des cascades que des « durs » américains n’oseraient pas faire, il puise aussi dans la vieille tradition de la farce, baissant son pantalon ou, mieux encore, obligeant ses adversaires à baisser le leur et cocufiant les importants de ce monde. Cet irrespect, allié à son tour gouailleur, son charme bon enfant et de puissants dons de séducteur font de lui un héros populaire bien français. Ses cascades, sa légendaire forme physique et sa passion pour les sports populaires et masculins – boxe, foot, course de chevaux – donnent de solides bases à sa virilité, qui n’est jamais mise en question, même quand il incarne un personnage qui semble se laisser – toujours temporairement – dominer.

Crise de la masculinité

Les films qui nous intéressent sont aussi bien des policiers durs, des films d’aventure que des comédies. Dans les premiers, notre héros est un justicier hors la loi qui plonge dans les bas-fonds de la société pour imposer sa loi, celle des « gens normaux », bafouée par un système policier, juridique ou politique inefficace ou corrompu. Il crible de balles ses adversaires, les bourre de coups, les humilie. C’est un faux solitaire, un marginal conformiste qui invite le public à rire de l’humiliation des exclus. Dans les films d’aventure, plus fantaisistes, il évolue dans des décors exotiques et luxueux. Plutôt qu’un justicier, notre héros est un chevalier errant qui prend plaisir à conjurer les coups du sort les plus imprévisibles. Dans les comédies, il incarne l’excentrique qui refuse de prendre la vie au sérieux, ou l’insurgé qui ne veut plus s’en laisser imposer par des puissants ou par des femmes avant de s’insurger. Parfois, il combine les deux rôles.

Dans tous ces films, le héros s’illustre dans des actions viriles. Dans les policiers, il cherche toujours à provoquer la confrontation mortelle avec un adversaire de taille, des gangsters ou des policiers corrompus de préférence. Les femmes sont soit exclues, soit des victimes que le héros doit venger ou protéger. Dans les films d’aventure, L’As des as ou Flic ou voyou, par exemple, la légèreté masculine – le jeu, le sport – triomphe de la gravité, du sérieux des femmes. Dans les comédies, les hommes, grands enfants, prennent la vie comme un jeu et refusent d’assumer les conséquences de leurs actes. Face à ces éternels adolescents, les femmes jouent le rôle ingrat de l’adulte grondeuse, ou bien entrent dans le jeu. Mais elles se révèlent mauvaises coéquipières, cèdent aux sentiments et sont finalement exclues du cercle des joyeux incorrigibles. Les héros de ces films sont aussi des êtres exceptionnels qui rejettent le conformisme des foules : flics, aventuriers extravagants et petits voyous, ils évoluent à la marge de la société. Enfin, le héros belmondien est un homme du peuple qui s’affronte à ses chefs hiérarchiques, à des ministres, des diplomates étrangers, des banquiers. Il les défie, les tourne en ridicule, et couche avec leur femme si l’occasion se présente.

Le populisme et l’individualisme extrême du personnage central sont des éléments très conventionnels des films grand public. Mais comment expliquer les rôles, à la fois mineurs et négatifs, qui y sont dévolus aux femmes ? La culture populaire conservatrice essaierait-elle de contrer sur le plan symbolique la percée des femmes dans le monde du travail, les effets du féminisme, les ravages du chômage masculin et d’autres changements sociaux qui seraient autant de causes d’une crise de la masculinité ? Est-ce si simple ? N’évoque-t-on pas trop facilement cette crise masculine pour expliquer un discours sexiste, misogyne ou traditionaliste ?

Si devenir un homme suppose le refoulement d’une partie de soi, l’identité masculine n’est-elle pas toujours fragile ? Bien qu’elle soit souvent définie par des données rassurantes que l’on pense « naturelles », « biologiques », cette identité est toujours à reconstruire dans un monde en évolution permanente. Et si chaque homme en tant qu’individu n’est pas à la mesure de la domination collective dont il profite, la masculinité ne comporte-t-elle pas toujours son quota d’humiliations ? Et si finalement la masculinité n’était qu’une coalition instable de masculinités diverses, contradictoires et souvent opposées, ne faudrait-il pas des efforts constants pour donner l’impression qu’elle forme au contraire un bloc ? Plutôt que de parler d’une crise de la masculinité, il faudrait analyser comment les différents mécanismes qui légitiment sur le plan de l’imaginaire les doutes et les peurs qui naissent de la fragilité de l’identité masculine, sont canalisés et mis au service d’une vision manichéenne et opprimante du monde.

Et pourquoi les femmes n’auraient-elles pas droit à une crise ? N’est-ce pas parce qu’elles sont reléguées dans le privé ou dans une identité naturalisée qui les exclut du domaine public, de l’histoire, des espaces où les crises ont lieu ? La crise de la masculinité est une notion hautement idéologique que l’on utilise sans remettre en cause les valeurs dominantes. Dans un monde public dominé par les hommes, toute crise sociale ou toute transformation en profondeur de la société peut être interprétée comme une crise de la masculinité. Par conséquent, toute déstabilisation perçue des rapports entre les sexes cristallise un sentiment de désordre plus général, ou difficile à cerner, alors que la réaffirmation de la domination masculine promet le retour à un monde stable. Les visions binaires, hiérarchiques et sans ambiguïté, du rapport entre les hommes et les femmes ont toujours servi à justifier d’autres représentations réductrices et inégalitaires du monde social.

La virilité dans une société en crise

Peur sur la ville est sans doute un film clef de la période contemporaine. Pour la première fois, Belmondo incarne un policier, un personnage brutal et franc qui veut venger son partenaire qui a été tué par un gangster au cours d’un hold-up spectaculaire. Injustement déplacé, il est obligé d’abandonner son désir de vengeance pour s’occuper d’un assassin (de femmes), Minos, lequel s’arroge le droit de châtier l’immoralité des nombreuses femmes qui vivent seules à Paris et couchent avec qui elles veulent. Un psychologue explique que Minos est la victime d’une morale trop répressive, mais le film suggère surtout qu’il est victime d’une mère trop protectrice. Les femmes sexuellement indépendantes poursuivent l’œuvre maternelle de castration en disant à Minos qu’il n’est pas un vrai homme.

Même Belmondo, alias Letellier, est menacé. Il voudrait ressembler à un agent du FBI, mais une infirmière qu’il est censé protéger lui dit que c’est là le rêve d’un enfant qui n’a jamais grandi ; Minos la tue. Plus tard, il prend en otage Pamela Sweet, qui est à la fois mère et reine du porno, et donc doublement menaçante par sa sexualité et son pouvoir maternel. Letellier finit par imposer le duel entre hommes qu’il avait toujours cherché. Il tue le gangster dans un métro bondé et, après des cascades impressionnantes, triomphe de Minos.

On pourrait voir dans ce film l’expression d’une crise de la masculinité. La virilité dure, froide, violente et moqueuse de Letellier serait alors une réaction face à une vulnérabilité masculine incarnée par Minos. Le message serait le suivant : quand les femmes ont besoin de protection et quand elles ont peur, tout rentre dans l’ordre ; les hommes redeviennent forts et maîtres d’eux-mêmes. Du coup, les hiérarchies menacées sont stabilisées et les frontières de l’identité sont rétablies. Mais une telle explication laisse de côté l’essentiel, c’est-à-dire la canalisation de la vulnérabilité pour justifier la domination et le rapport de cette hiérarchisation genrée à un contexte social.

Les premières séquences du film nous montrent un Paris nocturne, une ville à la fois routinière et dangereuse, où le lien social s’est rompu, où les êtres isolés vivent des vies anonymes. Letellier entre dans un bar dont les murs sont couverts de photos de boxeurs français célèbres et de Jean Gabin. Le bar est vide : la sociabilité masculine traditionnelle, qui étayait l’identité individuelle en l’insérant dans un monde de valeurs partagées et d’images familières, ne fonctionne plus. Dans la cave du bar, il y a une quarantaine d’immigrés sans papiers. Solitaire, autosuffisant, Letellier ne l’est pas seulement parce qu’il rejette toute dépendance vis-à-vis des femmes, mais parce qu’il évolue dans un vide social. Ne trouvant plus son reflet dans le monde extérieur, il doit porter son identité en lui.

D’autres séquences se prêtent à une interprétation semblable. Quand Letellier poursuit ses ennemis en semant le désordre au milieu de foules indifférenciées qui font leurs achats ou retournent chez elles après le travail, il réinscrit son identité dans une ville qui ne la reflétait plus. Par ses actions il rétablit un lien social qui s’était effrité. Refusant l’anonymat et les règles impersonnelles de la police, il évolue dans un monde d’amis et d’ennemis, d’hommes protecteurs et de femmes à protéger. Enfin, le film restaure un repère dans un monde urbain devenu indéchiffrable, le repère de la différence des sexes, fortement accentuée.

Le Marginal renforce cette impression d’une ville qui n’a plus de centre. Belmondo-Jordan voudrait encore une fois s’affronter à un gros bonnet de la pègre, mais encore une fois il est transféré et doit se plonger dans les bas-fonds de la ville qui sont aux mains de différentes minorités plus ou moins délinquantes. Lorsque Jordan entre dans un bar d’homosexuels vêtus de cuir noir, il sort se battre avec le plus musclé, mais le fait tomber dans l’escalier en lui disant : « Les dames d’abord. » L’homosexualité est tolérée si elle respecte la division binaire du monde, mais dès qu’elle ressemble un peu trop à la « vraie » masculinité, elle doit être remise à sa place. Le héros du film affronte d’autres minorités, notamment des Turcs trafiquants de drogue, des Antillais qui occupent un squat, et les remet, eux aussi, à leur place, malgré la protection politique ou l’immunité diplomatique dont ils jouissent. Les femmes n’échappent pas, bien sûr, à cette remise en place générale : une prostituée est mise sous sa protection et entre dans son lit et dans sa cuisine ; une femme-agent, qui fait un peu la difficile quand le héros lui demande un rendez-vous, se voit chargée d’un petit enfant qui a perdu ses parents. La ville éclatée, partagée entre différentes communautés sans valeurs communes et en même temps en proie à une érosion des frontières entre hommes et femmes, retrouve sa cohérence grâce à Jordan, Français, blanc et défenseur des valeurs traditionnelles trahies par une justice trop libérale et des chefs paralysés ou corrompus.

D’après Le Professionnel, Joss Beaumont est carrément trahi par le gouvernement français qui, après l’avoir envoyé assassiner un cruel dictateur africain, change de politique et avertit le tyran. On voit des images rares d’un Belmondo, passif, impuissant, suspendu à moitié nu à des cordes. Mais notre héros s’évade et décide de se venger des membres des services qui l’ont trahi. Son seul adversaire de taille est un dénommé Rosen, tueur froid et sadique. Les deux hommes passent une bonne partie du film à se chercher et à se suivre.

Cette histoire d’hommes obsédés par d’autres hommes et d’hommes dévêtus dans des postures masochistes se prêterait sans difficulté à des interprétations psychologisantes qui y trouveraient sans doute le visage caché de la masculinité dure et homosociale. Mais ce qui est remarquable, c’est la façon dont cette complexité est niée et canalisée par une narration manichéenne et violente. La passivité et la « déviation » sexuelle passent aux femmes, une lesbienne étant sévèrement châtiée par Joss non sans qu’elle ait d’abord humilié sa femme. Par contraste, le héros s’inspire de son humiliation originelle pour mieux imposer sa volonté et pour réaffirmer des valeurs personnelles (l’amitié virile, la vengeance, etc.) dans un monde régi par des forces cyniques et impersonnelles. À la fin du film, la raison d’État impose son exécution. L’individu reste impuissant face au monde, mais il a pu nier sa passivité en l’imposant à d’autres, et effacer son humiliation en humiliant ses ennemis.

La même leçon se dégage de L’Alpagueur. Comme d’habitude, le héros sans nom se mesure à deux sortes d’ennemis, la pègre et les déviants. Obligé de se faire passer pour un délinquant afin de voir clair dans un monde à l’envers, où les flics sont corrompus, la justice impuissante et les prisons gérées par les prisonniers, il s’attache à un jeune homme et essaie de lui montrer comment devenir le vrai homme qu’il faut être pour survivre dans ce monde déchu. Ne jamais regarder en arrière. Ne jamais tendre la main à qui que ce soit, etc. Mais le jeune n’apprend pas assez vite et se fait tuer par l’Épervier, un criminel sadique et homosexuel. L’Alpagueur tue l’Épervier pour que nous sachions que le lien homosocial n’a rien à voir avec l’homosexualité et pour que nous assistions à la destruction symbolique de celui qui incarne la nature corrompue et trompeuse d’une société dégradée.

A première vue, il y a peu de rapport entre le monde menaçant et corrompu des policiers durs et le monde ludique ou hilarant des policiers comiques et des comédies. Mais certaines des mêmes angoisses reviennent pour être tournées en jeu ou en ridicule et ainsi rendues inoffensives. Dans L’Incorrigible, on voit un Belmondo impuissant devant une femme qui prend l’initiative sexuelle. Dans le même film, il apparaît en travesti pourtant bien viril. Dans L’As des as, il se sauve avec une belle Française laissant son ami allemand avec la sœur d’Hitler, manifestement incarnée par le même acteur que le Führer lui-même. Et dans Hold-up, quand le membre féminin du trio de voleurs menace de séparer les deux hommes en les rendant jaloux l’un de l’autre, on l’exclut du groupe, l’homme le plus émotif et le plus faible jouant alors le rôle de femme enceinte sans lequel le hold-up ne peut pas marcher. Et, pourtant, s’agit-il seulement de rire des angoisses identitaires des hommes en excluant les femmes de leurs jeux enfantins ou adultes ?

Dans L’As des as, Belmondo/Cavalier est un aviateur de la Première Guerre mondiale, c’est-à-dire quelqu’un qui garde son identité malgré la tuerie anonyme. Plus tard, comme entraîneur de l’équipe française de boxe, il défend encore la notion d’un combat individuel et sportif à un moment où la montée du nazisme menace de submerger l’individu dans la masse. Au cours du film, une journaliste française lui demande de s’occuper d’un petit garçon juif dont les parents sont poursuivis par les nazis. Cavalier refuse le rôle de père, invite le garçon à devenir un apprenti-aventurier, et sauve la famille juive. L’attitude ludique, non conformiste, foncièrement individualiste du héros, s’oppose au sérieux quotidien de la femme et à une guerre et une société déshumanisantes. Le héros par ses actes flamboyants se différencie d’un monde uniforme et se sort d’un quotidien où les rôles genrés semblent se confondre. Nous sommes moins loin du monde des policiers durs qu’il ne le semblait.

Dans une autre comédie, L’Incorrigible, Belmondo incarne le personnage de Victor Vauthier, spécialiste de l’arnaque. Il vend toutes sortes de choses qui ne lui appartiennent pas en changeant chaque fois d’identité. Il vit avec un « oncle », tout aussi anticonformiste, dans une caravane, en marge de la grande vielle et de ses règlements, de son uniformité et de son sérieux quotidien, en y maintenant une communauté individualiste, égalitaire, ludique et masculine. L’État charge une jeune et belle psychologue de prendre Vauthier en main. Lorsqu’elle essaie d’analyser son caractère et de connaître son passé, espérant le remettre sur les rails, il lui résiste en lui opposant des passés fictifs et une succession de rôles, de costumes et de masques ; affirmant à sa façon le droit masculin à l’autodéfinition dans le présent, il refuse toute explication psychologique suggérant que l’homme est le produit plus ou moins passif et inconscient de son passé. Finalement, la psychologue entre dans le jeu : elle aide à dévaliser l’État en volant un tableau dans le musée dont ses parents sont les gardiens, puis se charge de gérer l’argent (et la vie des deux hommes). Face à ce retour d’un quotidien oppressif, Vauthier et son oncle l’abandonnent et se retrouvent devant le Mont-Saint-Michel que Vauthier vient de vendre.

Cette participation des femmes au contrôle intellectuel ou étatique se retrouve dans Le Magnifique, film dans lequel Jacqueline Bisset incarne une sociologue qui analyse les romans populistes produits par François (Belmondo), et dans L’As des as quand la journaliste incarnée par Marie-France Pisier s’arroge le droit de critiquer le comportement du héros boxeur. L’une et l’autre tentent de dominer le héros, mais en vain. Dans Le Magnifique, Christine, l’héroïne, redevient « féminine » et vulnérable – on la voit abandonner le pantalon qu’elle porte au début du film pour une jupe –, et n’hésite pas à se coucher devant la porte de Belmondo pour qu’il la laisse entrer. Christine (Bisset) est aussi, dans le monde imaginaire du héros écrivain, une belle espionne, Tatiana. Pour se venger d’elle et de ses humiliations, François la fait violer dans la fiction par un régiment de marines.

Dans L’As des as, l’héroïne, qui avait ridiculisé le comportement irresponsable du personnage masculin, est finalement emportée par lui dans un tourbillon d’aventures, se laisse sauver et séduire par lui, acceptant ainsi la règle du jeu masculine. Ces deux films traduisent sans doute un rejet de la prise de parole des femmes dans le domaine public, comme un rejet de la prise de parole des femmes dans le domaine public, comme un rejet de leur droit de critiquer, de juger les hommes ainsi qu’une angoisse face à leur percée dans le monde professionnel. Mais, d’une manière plus générale, ils montrent l’humiliation du héros populaire par des experts, des intellectuels ou l’État. Il se vengera par l’exclusion ou la subordination des femmes qui incarnent ces rouages de l’oppression. Un mécanisme de déplacement malheureusement familier.

Comment définir ce type de films populistes ? Sexiste, macho, miso et phallo certes. Antiféministe sans doute. Mais nostalgique, utopique et carnavalesque aussi. Révélateur d’une crise de la masculinité, peut-être. Mais on préfèrera parler d’une masculinité de crise qui s’appuie sur une vision essentialiste et binaire des identités genrées pour redonner une structure à un monde qui se désagrège, en lui rendant une hiérarchie et une continuité avec le passé. Le héros belmondien évolue dans un monde décentré, anonyme, routinier, bureaucratisé et étranger aux valeurs populaires, mais il remet les pendules à l’heure. Il place sa vérité au centre et exclut d’autres visions du monde. Il inscrit son identité dans l’espace. Il se venge d’ennemis auxquels il donne un visage, refusant ainsi l’anonymat de la ville. Homme révolté, il renverse les hiérarchies qui l’humilient, mais homme d’ordre, il restaure celles qui le placent au sommet. Parfois solitaire, il recherche pourtant le regard et le rire approbateurs de ses semblables. Il recrée une communauté ludique, même si les jeux sont parfois meurtriers et même s’il y a toujours des exclu·e·s. Il ne se prend pas au sérieux, mais on aurait tort de ne pas le prendre au sérieux.

La masculinité belmondienne d’après 1975 est en effet hypermasculine et monolithique, rigide et intolérante, surtout parce que les valeurs qu’elle incarne sont contestées. Sa nouveauté réside dans le durcissement du personnage – à la fois marginal et central, justicier et hors la loi – face à un monde en crise, ainsi que dans son côté spectaculaire rivalisant avec les modèles hollywoodiens. Ayant trouvé une formule qui marche, Bébel et ses producteurs s’y cramponnent, en alternant policiers, aventures et comédies. Le Belmondo de la période précédente était moins attaché à un seul type de rôle, jouait moins de ses muscles, pouvait exprimer sa fragilité, en particulier dans La Sirène du Mississipi (Truffaut, 1969). Mais dans À bout de souffle (Godard, 1960), il incarnait déjà un voyou anticonformiste, et dans L’Homme de Rio (de Broca, 1964), il s’imposait en cascadeur intrépide. Le tournant décisif est Peur sur la ville (1975), quand, tout en restant voyou et cascadeur, il devient flic et justicier, conformiste et anticonformiste à la fois.

Le personnage se fige, devient produit, et la star efface l’acteur. Une dizaine d’années plus tard, Belmondo essaie de rompre avec son image, de redevenir acteur. Il renoue avec le théâtre, radoucit son personnage et verse même quelques larmes dans Itinéraire d’un enfant gâté (Lelouch, 1988). Son dernier « dur », Le Solitaire (Deray, 1987), a d’ailleurs été un demi-échec. Belmondo s’ennuie-t-il ? Le discours machiste, en tout cas, a perdu son « innocence » et le public en est fatigué.



Filmographie(1973-1988)

Le Magnifique, de Broca, 1973
Stavisky, Resnais, 1974
Peur sur la ville, Verneuil, 1975
L’Incorrigible, de Broca, 1975
L’Alpagueur, Labro, 1976
Le Corps de mon ennemi, Verneuil, 1976
L’Animal, Zidi, 1977
Flic ou voyou, Lautner, 1979
Le Guignolo, Lautner, 1980
Le Professionnel, Lautner, 1981
L’As des as, Oury, 1982
Le Marginal, Deray, 1983
Les Morfalous, Verneuil, 1984
Joyeuses Pâques, Lautner, 1984
Hold-up, Arcady, 1985
Le Solitaire, Deray, 1987
Itinéraire d’un enfant gâté, Lelouch, 1988

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