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Jonathan Dayton / Valerie Faris / 2017

Battle of the Sexes


>> Linda Williams / jeudi 23 novembre 2017


Femmes sportives, femmes amoureuses : The Battle of the Sexes

Par Linda Williams (traduction de Geneviève Sellier)

Les films sur les sportives ne sont pas un genre réputé. La plupart du temps on y reconnaît les mêmes conventions que dans les films beaucoup plus nombreux sur les sportifs : la découverte, l’apprentissage et l’épanouissement du talent ; l’épuisant régime de l’entrainement ; l’inévitable régression, qu’il s’agisse d’une blessure ou d’un traumatisme psychologique, et finalement le dépassement de l’obstacle vers un triomphe individuel ou collectif. Il y a deux variantes principales à ce schéma : une version fictionnelle du triomphe individuel ou collectif (Breaking Away [La Bande des quatre] 1979, Bull Durham [Duo à trois] 1988) et une version plus historique et biographique du même triomphe individuel ou collectif qui dépend plus étroitement d’événements réels (Jackie Robinson, Mohamed Ali, etc.). Les variantes féminines de cette formule ont historiquement penché davantage vers un mélange de romance et de sport. Bien que l’essentiel soit de gagner, ou d’être le/la meilleur·e, le succès dans les relations amoureuses a aussi de l’importance, et les meilleurs scénarios parviennent à combiner les deux.

Ainsi, tandis que les films de sport masculins laissent littéralement en coulisses la femme dévouée ou l’amoureuse dont la fonction est simplement de donner des racines à la future star, la formation et la dynamique du couple sont importantes dans les films de sport féminin, qui ont une touche plus romantique. On en a un exemple dans le cinéma classique avec Pat and Mike (Georges Cukor, 1952), qui prend plaisir à exploiter les capacités athlétiques de Katharine Hepburn incarnant une ancienne professeure d’éducation physique prise en mains par Spencer Tracey, un entraîneur sportif d’abord peu attentionné qui fait gagner Pat au golf et au tennis. Quand Tracey s’aperçoit que la présence du fiancé condescendant d’Hepburn freine ses performances athlétiques, il devient plus attentionné et tombe finalement amoureux d’elle. Les années 1950 n’étaient pas très favorables au sport féminin mais les affrontements plaisants du couple inhabituellement égalitaire Tracey-Hepburn étaient convaincants aussi bien dans l’arène sportive que dans la chambre à coucher (en tout bien tout honneur, selon les prescriptions du Code Hayes).

Passons quelques décennies pour arriver aux années 1980 avec un film post-Code Personal Best (Robert Towne, 1982). C’est sans doute le premier film de sport féminin à prendre au sérieux la compétition et à proposer une relation amoureuse entre femmes. Bien que le film soit écrasé sous la pression de tant de « premières fois », il a suscité un grand intérêt, puis une grande déception chez les lesbiennes américaines à l’époque. Parce que ce qu’il a raté est ce que The Battle of the Sexes va réussir, il vaut la peine d’être mentionné. Les deux films célèbrent un nouveau type d’idéal féminin qui émerge pendant les années 1970 et 1980, en filmant y compris, ce qui est nouveau à l’époque, le bas du corps (des fesses aux jambes). En montrant le corps féminin avec le même genre de ralenti en plan rapproché utilisé pour montrer les corps des sportifs masculins à la télévision à la même époque, le film érotisait le sport féminin. Il montrait même les deux femmes faisant l’amour juste après un concours de bras de fer particulièrement intense et prolongé. Pourtant fondamentalement homophobe, le film fait tout ce qu’il peut pour séparer les deux amantes.

Mariel Hemingway et Patrice Donnelly jouaient deux athlètes de pentathlon qui se rencontraient aux Jeux Olympiques de 1976, avaient une liaison pendant trois ans et se rencontraient à nouveau en 1980 aux Jeux suivants. L’actrice Mariel Hemingway jouait la plus jeune des deux et Donnelly était une véritable athlète, qui avait l’allure d’une lesbienne « butch » avec des cheveux courts et des costumes masculins. La morale explicite du film est que les femmes se soutiennent mutuellement quand elles sont en compétition. La morale implicite est que l’une est une vraie lesbienne alors que l’autre est une « vraie femme » qui passe par une « phase ». Pour le prouver, le film évacue Donnelly du récit, ce qui montre que Hollywood n’avait pas vraiment abandonné sa vieille habitude de punir les (vrai·e·s) homosexuel·le·.s dans les histoires qu’il racontait.

Le film délivrait un double message : d’un côté, il présentait deux femmes hétérosexuelles également inexpérimentées qui « simplement » tombaient amoureuses et se refusaient à envisager le sens de leur relation ; de l’autre côté, il suggérait que l’une des deux était plus âgée, plus expérimentée et une « vraie » lesbienne. Quand Donnelly, le cœur brisé, disparaît, le film change totalement de ton et Hemingway découvre de façon presque comique les joies d’une hétérosexualité adulte (quand son petit ami nageur veut pisser, elle se tient avec enthousiasme à ces côtés pour la lui « tenir »).

Il y a une raison importante pour considérer que The Battle of the Sexes (2017, Jonathan Dayton et Valerie Paris) n’est pas juste un bon film sur le sport à propos d’une grande championne américaine – même s’il en est un certainement, dans un genre toujours populaire.

Débordant de dialogues brillants, de péripéties surprenantes et de performances impressionnantes, le film fait ses preuves sur le court, dans la chambre à coucher et sur la scène politique en prenant au sérieux l’enjeu féministe de l’exploit de Billie Jean King en tant que compétitrice redoutable, qui se révèle finalement lesbienne. Emma Stone, qui n’est pas flamboyante dans le rôle, a cependant une assurance tranquille et une personnalité parfaitement à l’aise avec les hommes, convaincante comme incarnation d’une lesbienne ayant le sens de l’humour. Si elle n’est pas tout à fait assez musclée, elle respire la confiance en soi d’une athlète et un engagement passionné cachée sous un calme apparent.

Biopic sportif focalisé sur le défi lancé par un vieux joueur de cinquante-cinq ans, champion à la retraite, Bobby Riggs, à la jeune championne Billie Jean King alors âgée de vingt-neuf ans, le film nous ramène à l’époque où les femmes n’étaient pas admises dans les arènes sacrées des sports de compétition masculins. Le tournoi fit boule de neige et se tint à guichets fermés dans l’Astrodrome de Houston, et devant 90 millions de téléspectateurs. Le statut de « feel good movie » vient d’un fait dont tout le monde connaît l’issue : le méchant homme apprit la valeur marchande du tennis féminin et Billie Jean le lui enseigna d’une façon passionnée mais sportive. Elle pourfendit non seulement le sexisme, mais aussi les prétentions des classes favorisées à l’entre-soi sportif, qui s’accompagnait plus ou moins directement d’homophobie.

Sans jamais attirer l’attention sur la campagne de publicité condescendante qui rendit possible le tennis professionnel féminin – financé par un nouveau marketing de cigarettes « minces » destinées aux femmes, conçu par Virginia Slims avec un slogan paternaliste « tu as fait un long chemin, bébé » –, le film a un rythme si rapide qu’on peut à peine noter l’ironie d’une marque de cigarettes sponsorisant le sport féminin. Les clowneries insultantes du chauviniste mâle Bobby Riggs (plaisanterie intraduisible sur « showvisnism ») alternent avec des scènes dans les coulisses de la vie de deux protagonistes : la nervosité de Bobby face à sa riche épouse ; la nervosité de Billie Jean face à son mari-manager aussi beau que loyal. Mais pendant que Bobby trompe sa nervosité en jouant, Billy Jean manifeste la sienne en tombant amoureuse et en couchant à plusieurs reprises avec une jeune coiffeuse très libérée qui signe une coupe de cheveux typiquement lesbienne. Les scènes de sexe entre elles montrent deux femmes qui se désirent, où Billie dit non avec la voix mais oui avec le corps.

Alors que Margaret Court (la rivale de Billie Jean King) a subi une humiliante défaite face à Riggs, la redoutable compétitrice qu’est King utilise l’arme féministe pour forcer Riggs à mettre un million de dollars dans la balance. Elle se sépare alors de son amante, la coiffeuse, et du mari dévoué qu’elle a trompé, pour se préparer dans la solitude. Les deux bien sûr reviendront lors de la compétition finale pour prendre part à son triomphe à ses côtés. Ainsi l’intrigue amoureuse fait l’objet d’un suspense au moment où l’intrigue sportive atteint son climax, comme dans les meilleurs films sportifs. Mais il n’y aura pas de sortie triomphante du placard à ce moment-là – dans la vraie vie, Billie Jean sera poursuivie par sa secrétaire avec qui elle avait eu une brève liaison bien avant le match de « la Bataille des sexes ».

Comme c’est un biopic qui est censé respecter les événements de la vie de King, l’intrigue lesbienne ne se termine pas aussi bien que l’intrigue sportive, mais ce n’est pas, comme dans Personal Best, parce que l’homosexualité est traitée comme une patate chaude. La coiffeuse, par ailleurs un beau personnage, semble là pour figurer les penchants lesbiens de Billie Jean en général, et non pas la secrétaire qui l’a poursuivie en justice. Bien sûr, les faits en la matière ne correspondent pas exactement au sentiment que le film donne malgré tout d’un triomphe sportif et amoureux – ces deux accomplissements sont temporairement disjoints – mais on peut quand même se réjouir de la forte articulation entre la célébration sur l’écran des succès de l’athlétisme féminin et de l’amour entre femmes. On a pu voir combien c’était important dans la vie de King par la suite, où elle a continué à faire de la compétition en double, et est devenue un modèle en montrant combien le couple lesbien était un facteur de réussite pour le tennis féminin.

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