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Blandine Lenoir / 2017

Aurore


>> Geneviève Sellier / mercredi 26 avril 2017

Avec Agnès Jaoui



Voilà un film joyeusement féministe comme on en voit trop peu en France ! Il ne faut pas le rater !

Agnès Jaoui y incarne Aurore, une femme confrontée à la fois à la ménopause et au chômage, et ceci a un rapport avec cela : dans la restauration, quand on n’a plus l’allure d’une bimbo, on vous pousse vers la sortie… Divorcée, elle voit partir ses deux filles qui commencent leur vie amoureuse et semblent tomber à pieds joints dans les mêmes pièges que leur mère au même âge : grossesse précoce, soumission amoureuse, de quoi pleurer (ce qu’elle fait abondamment !)…

Pourtant le ton du film est délibérément léger, parce qu’Aurore fait aussi des rencontres formidables, a des amies indéfectibles, et sait trouver du réconfort dans les petites joies de la vie (écouter de la musique, faire du jardinage, etc.).

Blandine Lenoir tisse avec un sens exceptionnel de l’observation sociale tous les fils dont est fait la vie la plus modeste (cette sensibilité pleine d’humour met son film aux antipodes par exemple du film d’Emmanuelle Cuau (Pris de court) : les relations mère-fille, les relations entre amies, les rencontres amoureuses plus ou moins ratées, les relations de travail – y compris avec des employées des agences pour l’emploi –, dans le contexte d’une ville moyenne - ici La Rochelle - que la protagoniste n’a jamais quittée (comme beaucoup de provinciaux…)

Il faut souligner la performance d’Agnès Jaoui qui porte le film sur ses épaules (elle est quasiment tout le temps à l’écran), et trouve même à utiliser ses compétences de chanteuse classique dans une belle séquence onirique. Elle est entourée de toute une troupe d’acteurs professionnels et non professionnels qui donnent beaucoup de saveur au film. Pascale Arbillot est hilarante en agente immobilière et boutefeu féministe (on se souvient de sa performance dans Notre univers impitoyable de Léa Fazer). Thibaut de Montalembert est très émouvant dans le rôle d’un médecin échographiste, ancienne flamme d’Aurore, qui hésite à se réengager par peur de souffrir… Il faut aussi mentionner l’hommage plein d’humour que le film rend à Thérèse Clerc récemment disparue, à travers une maison de retraite pour vieilles dames indignes où Aurore trouve finalement un travail et de la solidarité.

Blandine Lenoir (avec son co-scénariste Jean-Luc Gaget et sa co-dialoguiste Océane Rose-Marie) a réussi à trouver un équilibre rare entre comédie sociale et engagement féministe, pour nous faire rire de situations qui pourtant ne sont pas drôles (le chômage et la solitude des femmes non qualifiées qui n’ont plus vingt ans…) grâce à l’énergie, l’humour et la solidarité que manifestent les personnages, en particulier féminins. On y retrouve le même genre de qualités que dans les films de Solveig Anspach, la cinéaste franco-islandaise récemment disparue (ce n’est sans doute pas un hasard puisque Jean-Luc Gaget était également son co-scénariste).

Ni « feel good movie » ni satire déprimante, Aurore rend visible, émouvante, attachante et séduisante une femme de cinquante ans ! Une fois n’est pas coutume, si l’on en croit les comédiennes qui ont récemment créé l’association « Tunnel de la comédienne de 50 ans »


>> générique


Le Masque et la plume https://www.franceinter.fr/cinema/aurore-avec-agnes-jaoui-un-film-ou-rien-n-est-juste-ou-honnete-feel-good-movie

Polémiquons.

  • Je viens de voir ce film, que j’ai adoré, dont je suis sortie très touchée, après avoir pleuré au moins aussi souvent qu’Aurore tant je me sentais en empathie avec elle, mais après avoir aussi beaucoup, beacoup ri.

    J’ai aimé la description de l’intersectionalité et les propos de la géniale (et philosophe) collègue d’Aurore dans son nouveau job : "Vous, les Blanches, vous découvrez la discrimination en vieillissant." Tellement juste, même si elle ne parle pas là de la discrimination liée au genre, mais des cumuls de discriminations vécues par les personnes racisées.

    J’ai été émue aux larmes par la sublime danse d’Aurore avec ses filles petites, passage si poignant vu le contexte dans lequel il prend place...

    J’ai aimé l’intensité, la profondeur de la communication par le regard entre les deux anciens amants réduits au silence par l’étrange concept du restaurant dans lequel ils se retrouvent, subtil moment de remémoration du passé tout en tendresse retenue.

    J’ai adoré les caricatures de Pôle Emploi, drôles, mais aussi touchante pour ce qui est de celle de la conseillère, avec laquelle j’ai beaucoup souffert, la pauvre ! sachant dans quelles conditions et avec quels moyens (pas grand-chose !) ces personnes sont contraintes de travailler.

    Merci aussi à l’énorme coup de gueule à la fois drôle et si justifié contre le travail non déclaré catastrophique des conjointes collaboratrices sans statut, situation qui leur revient en pleine figure après la séparation d’avec "l’entrepreneur", qui n’aurait pas entrepris grand-chose tout seul, mais qui en tire seul le bénéfice.

    Le harcèlement de rue est également évoqué, sous deux angles : le premier est véritablement jubilatoire et cathartique (mais quel bonheur ! Rappelez-vous que l’union fait la force, Mesdames !) Le second, exactement dans le thème du film, montre l’ambiguïté de la situation. En effet, il restitue à Aurore une certaine forme de respect qu’elle mérite et que la société ne veut plus lui accorder, mais un respect sous la forme d’excuses qui ne peuvent prendre place que dans un cadre de décalage et de surprise. Comme il est soudain et imprévu, il en devient paradoxalement blessant, car il souligne cruellement le phénomène de "péremption" qui frappe les femmes de cinquante ans, phénomène manifestement injustifié.

    Enfin, une injustice flagrante évoquée avec humour dès la bande annonce : tout ce que le monde scientifique peut faire d’incroyable, mais à quel point il se contrefiche des problèmes des femmes. On va finir par aller sur Mars, on n’aura même pas encore cherché comment traiter une bouffée de chaleur autrement que par un ventilateur même pas pris en charge par la Sécu. Le premier qui me dit que les femmes n’ont qu’à s’orienter elles-mêmes vers la recherche se prendra d’un seul coup dans les gencives 35 cases de tous les bingos féministes réunis, j’espère que c’est clair !😤😡

    Je n’ai qu’un regret, mais de taille : il n’y avait que deux hommes dans la salle. L’un était mon fils de 18 ans, il a adoré le film et a beaucoup ri lui aussi.
    Mais je ne crois pas que ce désintérêt masculin soit la faute du film, qui vaut vraiment le coup que tous et toutes s’y intéressent, tant il me paraît faire le tour complet de la question.

    Mais alors, d’où cela peut-il donc bien venir, Messieurs ? 🤔😜

    Moi, en tout cas, la critique rédigée sur ce site m’a donné envie de le voir, et je vous en remercie chaleureusement car j’ai passé un excellent moment. Si je peux me permettre, j’incite tout le monde à faire de même.

  • Incroyable, la façon dont l’émission de France Inter "Le Masque et la plume" a descendu ce film, hommes et femmes unanimes ! on constate une fois de plus que le milieu culturel a vraiment un problème en France avec le féminisme.
    Raison de plus pour soutenir et aller voir Aurore toutes affaires cessantes !

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