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Robia Rashid / 2017

Atypical


>> Déborah Gay / lundi 28 août 2017


Sur Netflix depuis le 11 août, la série Atypical présente en huit épisodes de trente minutes le quotidien d’un jeune autiste de dix-sept ans, Sam, alors qu’il essaye de comprendre ce qu’est l’amour… et aussi de voir enfin une femme nue, obsédé qu’il est par la sexualité, comme tous les garçons de son âge. Si cette série de Robia Rashid est avant tout axée sur le personnage de Sam, son évolution au lycée et dans sa vie courante, c’est sur les personnages féminins que nous allons nous attarder : sa mère, sa sœur et sa psy, pour parler, non pas du traitement de l’autisme dans la série, mais du caractère profondément conservateur de sa représentation de la famille américaine.

En effet, chez les adultes, deux femmes en particulier cristallisent les tensions. La mère de Sam, Elsa, et sa psy, Julia. Elsa tout d’abord est présentée comme une mère surprotectrice : toujours à l’affût du moindre problème qui pourrait déclencher une crise chez son fils, elle veut l’empêcher de penser aux filles. Pour cela, elle s’en prend directement à la psy de son fils, Julia, lui reprochant de pousser Sam à avoir des rendez-vous amoureux, de lui donner de « mauvaises » idées. Elle est hyper organisée, presque de manière maniaque, et utilise un grand tableau blanc divisé en journées pour inscrire tout ce qu’il y a à faire, d’une couleur différente pour chaque personne.

Très engagée dans la vie de Sam, participant à des réunions de parents d’enfants autistes, ou organisant des marches pour l’autisme, elle néglige presque complètement sa fille. Elle pourrait inspirer de la sympathie, notamment quand on l’observe tenter de gérer le quotidien, faisant les lessives, les repas, s’occupant de toutes les tâches domestiques, alors que son mari continue à travailler en tant qu’ambulancier. On apprend par exemple au fil des épisodes qu’elle avait une formation de coiffeuse. Mais au lieu de bénéficier de la compassion du spectateur, elle provoque un sentiment de rejet lorsqu’elle craque et tombe dans les bras d’un barman. Trompant son mari, le cachant à sa famille, elle devient certes plus humaine, mais surtout plus détestable. Son aventure amoureuse est décrite comme une parenthèse sans lendemain et lorsque son amant tombe amoureux d’elle, elle le repousse et se referme sur sa famille, ses enfants et son mari. Comme si le désir sexuel l’avait rendue égoïste. Lorsque sa fille, Casey, la voit embrasser un autre homme, elle décide de lui en faire baver. Pourtant, lorsque la même fille découvre que son père les a abandonnés pendant huit mois, peu après le diagnostic posé sur Sam, elle est beaucoup moins dure. Casey affronte directement son père, là où elle préfère une approche passive-agressive avec sa mère, et lui donne une chance de s’expliquer.

Ce premier portrait présente donc une image de mère presque parfaite qui se sacrifie à sa famille et à ses enfants, tout en voulant contrôler, et dont le moindre dérapage sera fatal. Casey dévoilera son secret en l’inscrivant sur le tableau des taches journalières, visible par tous et notamment par son père. Ce dernier affronte sa femme dans le dernier épisode, laissant son sort en suspens à la fin de cette première saison. Le mari bénéficie lui de plus de bienveillance et on apprend notamment que s’il est moins proche de son fils, ce serait à cause, encore, de la mère. En effet, elle explique avoir eu peur que ce dernier les abandonne à nouveau et a donc préféré créer une distance entre les deux hommes de la famille. Ce qui en fait une femme castratrice qui veut empêcher son fils de nouer des liens avec son père, ou encore d’avoir des relations amoureuses, de peur qu’il en souffre.

Julia, elle, est la psy de Sam. Et ce dernier en tombe amoureux. Suite à une série de quiproquos, Julia pousse son compagnon à la rupture, pensant qu’il l’a trompée. En fait, Sam a pénétré par effraction dans son appartement pour lui offrir des fraises recouvertes de chocolat. Le père de Sam l’en a alors empêché, mais le jeune homme fait tomber une fraise sous le canapé. Julia découvre cette fraise et pense que c’est un cadeau de son compagnon à une autre femme. Après leur rupture, Julia découvre qu’elle est enceinte. Bien qu’elle soit une jeune célibataire endettée par un prêt étudiant, elle n’envisage même pas l’avortement. Le mot n’est pas prononcé, la possibilité même de mettre un terme à sa grossesse n’est pas discutée. Elle est enceinte. Point. Et elle s’offre un livre sur « comment élever un enfant quand on vit seule ».

La deuxième péripétie est la découverte des sentiments de Sam. Au moment où Sam lui fait sa déclaration, et qu’elle se rend compte que c’est lui qui est derrière l’imbroglio des fraises au chocolat, c’est avec violence et mépris qu’elle réagit, dans une attitude tout sauf professionnelle. Elle provoque chez Sam une crise violente où il se met à hurler, se balançant d’avant en arrière avant de s’avachir au sol, en position fœtale et la tête entre les mains. Le sous-entendu est clair : les femmes, surtout si elles sont enceintes, sont complètement irrationnelles et incapables de professionnalisme. La deuxième femme adulte du monde de Sam est donc certes une psy diplômée, mais incapable de prendre de la distance par rapport aux événements de sa vie personnelle ou de celle de ses patients.

Le monde des adolescentes n’est guère mieux doté. En effet, lorsque la jeune sœur de Sam, Casey, obtient un entretien pour entrer dans un lycée privé prestigieux grâce à ses résultats à la course à pied, c’est l’ensemble des filles de son équipe qui lui tournent le dos. Aucune n’essaye de la soutenir ni de lui parler. Si le monde du lycée est décrit comme un monde sans pitié, le fait que la jeune fille parvienne à passer d’un établissement public de qualité moyenne à un établissement privé coté, est vu comme une trahison insupportable par ses amies et par leurs mères. Le message est simple : les femmes ne sont que dans des rapports de compétition entre elles. Même le coach lui répond qu’il va falloir se faire une raison, car « le monde des adolescentes est sans pitié ». Casey apprend donc que sa volonté de s’en sortir aura comme conséquence la perte de ses amies, mais aussi un profond sentiment de culpabilité : il va lui falloir abandonner son équipe et abandonner son frère. Son seul bonheur ? La seule personne qui la comprend ? Non pas sa meilleure amie depuis le primaire, mais son copain, avec qui elle est depuis moins de deux mois.

D’ailleurs, lorsque Casey apprend qu’elle est admissible à ce lycée réputé et l’annonce à ses parents, ces derniers ne réagissent pas de la manière espérée. En effet, sa mère lui répond tout de go qu’elle ne peut pas accepter : elle doit s’occuper de son grand frère qui est au lycée public, lui donner l’argent de son repas le midi, vérifier que tout se passe bien pour lui et que personne ne le tyrannise. Elsa se projette en Casey et aimerait que cette dernière se sacrifie autant qu’elle. C’est son petit ami qui prendra la défense de l’adolescente, dans un monologue sur le thème : « Vous avez deux enfants ! » Casey, pourtant bagarreuse et volontaire, est incapable de tenir tête à sa famille et seul un jeune homme extérieur à la cellule familiale peut la sauver. On est bien loin d’une démarche d’émancipation.

Atypical a certes pour but de parler de l’autisme en prenant en compte le point de vue de la personne concernée. Mais c’est aux dépens des personnages féminins qui sont des caricatures conservatrices : la mère mortifère, la psy hystérique et la vierge sacrificielle. La convergence des luttes n’est pas pour tout de suite.

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