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Aleem Khan / 2021

After Love


par Ginette Vincendeau / mercredi 3 novembre 2021

Une histoire peut en cacher une autre


Récit au départ assez banal d’une femme qui découvre que son mari menait une double vie, After Love nous entraîne dans une histoire très contemporaine qui explore la construction fragile des identités et les rapports compliqués entre culture, religion et sexualité.

Mary (Joanna Scanlan) est une Britannique blanche, épouse d’Ahmed, un Pakistano- Britannique musulman, et elle-même convertie à l’islam. Le couple habite à Douvres car Ahmed est officier sur les ferries qui traversent la Manche. Après la mort subite de celui-ci, Mary découvre qu’il menait une double vie de l’autre côté du Channel, en couple avec une Française, Geneviève (Nathalie Richard). À la douleur de son veuvage se mêle le sentiment de trahison – par rapport à elle-même ainsi que, on le suppose, par rapport à la morale musulmane : on comprend que la famille d’Ahmed est très pratiquante et on voit Mary dans tout le film porter un voile et prier.

Elle entreprend de se rendre à Calais pour confronter sa rivale mais à la suite d’un malentendu, elle est embauchée par celle-ci comme femme de ménage – malentendu raciste puisque Geneviève présume que la femme voilée sur le pas de sa porte est la femme de ménage que l’agence devait lui envoyer. Désarçonnée, Mary décide de cacher sa véritable identité afin d’observer Geneviève et le fils adolescent qu’elle a eu avec Ahmed, Solomon (Talid Ariss) ; au passage elle découvre que Solomon est gay, ce que sa mère ignore encore. Mary se rapproche du jeune homme et pendant un temps entretient même une correspondance avec lui par SMS en utilisant le portable d’Ahmed, lui faisant croire que son père est encore en vie. Quand la vérité éclate sur la mort d’Ahmed et l’identité de Mary, Geneviève et Solomon outragés se sentent à leur tour trahis. Une réconciliation a lieu plus tard en Angleterre, quand Geneviève et Solomon (et le public), venus se recueillir sur la tombe d’Ahmed, découvrent que Mary et Ahmed avaient eu un enfant, décédé à l’âge de trois mois.

Le récit ci-dessus, qui peut paraître mélodramatique, rend mal compte de l’impression que l’on ressent à la vision du film, au déroulement lent et tout en nuances. Aleem Khan, dont c’est le premier long métrage, filme cette histoire en plans fixes, avec de longs moments sans dialogues, surtout pour observer Mary qui en constitue le centre. L’actrice Joanna Scanlan, plutôt habituée à des rôles comiques (elle apparaît notamment dans la série politique décalée de la BBC, The Thick of It, 2005-2012) rend compte de toute une palette de sentiments grâce à un jeu minimaliste et subtil, magnifié par les gros plans qui soulignent l’absence de maquillage. De même, Nathalie Richard est convaincante de sobriété, malgré son côté plus glamour – elle est blonde et mince alors que Joanna Scanlan est châtain et enveloppée. Il est d’ailleurs rare de voir un film focalisé sur deux personnages féminins dont l’âge et le physique sont relativement en rapport avec la réalité de leur rôle. Ce recours à un réalisme dans la tradition britannique du film social n’empêche pas quelques incursions dans un registre plus poétique – comme le plafond que contemple Mary et qui a l’air de se fracturer sous ses yeux comme les falaises de Douvres, ou bien la scène où elle s’allonge dans l’eau tout habillée sur la plage. After Love est aussi rythmé par de discrètes répétitions (entre autres deux baptêmes et deux scènes où chaque femme à tour de rôle explore l’espace intime de la chambre à coucher de l’autre).

After Love innove aussi dans sa représentation des relations entre les deux femmes, dont la « rivalité » de fait a été imposée par leur mari/compagnon : le film évite de les montrer se déchirant. Si dans la scène où elle apprend la mort d’Ahmed et la supercherie de Mary, Geneviève insulte celle-ci, on comprend que c’est sa douleur qui parle et dans le reste du film elle fait preuve, tout comme Mary, de compassion et de compréhension envers l’autre femme. On peut trouver After Love légèrement frustrant cependant car dans ce film très contemplatif, focalisé sur le personnage de Mary, on n’apprend finalement pas grand-chose d’elle. Mariée puis veuve, sans enfant, on ne lui connait aucune activité sauf celle de la prière. On voit un intérieur impeccablement tenu mais on a du mal à croire que cela puisse remplir sa vie, d’autant plus que le métier de son mari a dû le tenir souvent éloigné du foyer (par contraste, Geneviève a un fils qu’elle élève la plupart du temps seule et un métier : elle est professeur en collège).

La clé de ce mystère se trouve dans le personnage du fils, alter ego du réalisateur qui, dans de nombreuses interviews lors de la sortie du film, a parlé de ses parents (un père pakistanais, une mère anglaise qui se sont connus jeunes dans la cité où ils habitaient, comme le raconte le film) et de la lutte qu’il a dû mener pour accepter sa sexualité – il est gay – dans le cadre de la religion musulmane héritée de son père. Aleem Khan réussit très bien à communiquer ce déchirement entre des identités contradictoires par une série de dédoublements : Mary a deux noms et à un moment on voit son visage coupé en deux dans le miroir de la salle de bains ; le récit se déroule entre deux villes (Douvres/Calais) et deux cultures (anglaise/française mais aussi occidentale/musulmane). C’est d’ailleurs juste après avoir vu la fêlure au plafond que Mary découvre Solomon au lit avec un autre garçon. Mais en idéalisant le personnage de sa mère et en la dédoublant en Mary/Geneviève (l’histoire de la double vie du père est une fiction), Khan fait le portrait de deux femmes qui n’existent finalement que par rapport à un homme qu’on ne voit jamais ou à peine – le père, mais aussi par extension le metteur-en-scène du film.


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