pour une critique féministe des productions audiovisuelles

♀ le genre & l’écran ♂


Accueil > Séries > This Is Going to Hurt

Adam Kay / 2022

This Is Going to Hurt


par Maylis Konnecke / mercredi 30 novembre 2022

Des violences obstétricales invisibles comme telles

En 2017 était publié le récit d’un ancien interne britannique en gynécologie obstétrique. Adam Kay, devenu humoriste puis scénariste pour le cinéma et la télévision, s’y inspirait des journaux intimes qu’il avait tenus durant ses années d’internat. En délivrant un récit alarmant, à l’humour dévastateur, son ouvrage s’est vendu à plus de 2,5 millions d’exemplaires. A la lumière de ce succès commercial et critique, c’est donc sans surprise que la BBC annonça en 2021 son adaptation en une mini-série de sept épisodes. L’auteur se retrouve ainsi à la fois créateur de la série et personnage principal.

Interprété par l’exceptionnel Ben Wishaw, Adam Kay y est chef de service adjoint au sein d’un hôpital public londonien, financé par le NHS (National Health Service) qui fut longtemps le fleuron de l’Etat-providence britannique. A ce poste peu confortable, une sorte d’avant-dernière marche avant d’atteindre le haut de la hiérarchie, Wishaw incarne un protagoniste tourmenté, à la fois fébrile et dédaigneux, cassant mais tout en fragilité, consciencieux, par moment bienveillant et pourtant prêt à céder aux manipulations les plus abjectes pour asseoir sa position hiérarchique.

Si la série s’empare d’une thématique brûlante, l’asphyxie des systèmes de santé publics, c’est un autre problème bien souvent éclipsé qui apparaît par intermittence pour finir par surgir très au premier plan : celui des violences obstétricales. A la fois institutionnalisées et genrées puisqu’elles ne concernent que les femmes en milieu médicalisé, les violences obstétricales n’en demeurent pas moins multiformes, s’immisçant dans le discours, les gestes, l’absence d’un regard. Elles demeurent par la même difficilement identifiables et couvrent une multitude d’enjeux. Dans le premier épisode de This is Going to Hurt, c’est pourtant sur une tout autre piste que le nœud narratif nous engage, celle de l’erreur médicale qui influera sur l’évolution du personnage. En effet, sous la pression, Kay renvoie à son domicile une patiente qui se retrouve ensuite dans un état critique suite à un cas de prééclampsie. Elle doit subir une césarienne d’urgence alors qu’elle enceinte de 25 semaines seulement. S’ensuit plus tard une plainte de la patiente en question, Erika, guidée par sa sœur. À travers le regard d’Adam, cette dernière est d’ailleurs représentée comme une nuisance, une influence quasi-malveillante qu’il s’évertuera à écarter.

Depuis les toutes premières secondes du récit, à travers la saisissante scène d’ouverture où nous découvrons qu’Adam a passé la nuit dans sa voiture, sur le parking de l’hôpital, accablé de fatigue, l’erreur médicale semble provoquée par les conditions de travail épuisantes qui malmènent les blouses blanches, leur vie privée et leur santé mentale. À la fin de la saison, Kay finit d’ailleurs par clamer l’impensable lors d’une émouvante diatribe, alors même qu’il se retrouve face à l’instance disciplinaire tribunal de l’Ordre des médecins : « Dans ce pays, un médecin met fin à ses jours toutes les trois semaines ». Le procédé visant à faire voler en éclat le quatrième mur vient consolider ce parti-pris. En s’adressant à la caméra, en jouant sur la connivence qu’il instaure avec le public durant ces sept épisodes, le protagoniste tente de nous rallier à sa cause, tout comme il tente de le faire avec Erika lorsqu’il manœuvre sournoisement afin que celle-ci retire sa plainte, pervertissant son savoir à des fins personnelles. Jusqu’à cette scène finale, ses intentions demeurent ambiguës. Court-il après une carrière semblable à celle de son supérieur, Nigel Lockhart, qui lui permettrait de se faire valoir auprès d’un cercle familial et amical cossu ou privilégiera-t-il le bien-être de ses patientes ?

À travers la répétition des violences, c’est la brutalité du système envers les professionnel·les de la santé qui est mise en avant. Violences verbales envers et entre soignant·es qui marquent une hiérarchie malsaine régissant le système au sein duquel l’humiliation sert de défouloir et d’affirmation de son propre pouvoir vis-à-vis des collègues. Violence sexuelle qui s’immisce dans un lieu qui devrait demeurer un sanctuaire dédié au care, dans toute sa dimension d’attention portée à l’autre et de respect du personnel de santé. Violence envers soi-même qu’une jeune patiente s’inflige, mais qui ne recevra pas le soutien psychologique dont elle a besoin, par manque de moyens.

La récurrence de la douleur, des interventions chirurgicales, des fluides s’écoulant des corps, des annonces douloureuses prononcées avec détachement viennent comme normaliser une relation soignant·e-soigné·e fondée sur l’automatisme, la négation de la volonté des patientes, voire l’agression des corps. Le ton sarcastique renforce le processus. A grand renfort d’exagérations comiques, This Is Going to Hurt en vient à d’outrancières représentations. Alors qu’il est tombé en disgrâce, Adam se voit par exemple assigné aux urgences et semble passer une journée entière à retirer des corps étrangers de divers orifices, ôtant toute humanité à la masse des patientes. Les hommes aux côtés de leur compagne enceinte, sont invariablement infantilisés, donnant peu d’espoir quant à l’équilibre de la charge parentale. Les patientes se retrouvent pour la plupart en situation de faiblesse, face à des obstétricien·es sans cesse en mouvement, tenant des discours jargonnants. Mais l’on pense surtout à une scène du premier épisode où une jeune femme et sa mère en viennent à tenir des propos racistes à mots couverts à l’encontre de Tracy, sage-femme en chef du service. Si Adam vient d’abord « voler au secours » de cette dernière, la privant à ce moment-là de toute agentivité sous prétexte d’une supériorité hiérarchique, celle-ci viendra lui rappeler plus tard qu’elle n’a nul besoin de « chevalier blanc pour défendre son honneur », soulignant ainsi le double mépris dont elle a été victime. Puis le jeune obstétricien effectuera une césarienne et recoudra la patiente en prenant un malin plaisir à décapiter le dauphin qu’elle avait tatoué sur son ventre, lui niant ainsi la possession de son corps. Si Erika peut d’ailleurs trouver un recours légal, cela ne semble pas être le cas de la jeune femme au tatouage puisque cet épisode demeure sans suite. La violence obstétricale ne trouve aucune réponse légale appropriée.

Et c’est là que s’exprime toute la virtuosité de This Is Going to Hurt, cette violence devenue systémique ne reste pas sans réaction. La plainte ayant été retirée, nous apprenons que c’est suite à une dénonciation qu’Adam est renvoyé face à l’Ordre des Médecins. Mais c’est finalement parce qu’il en vient à accuser sa jeune collègue Shruti d’être à l’origine de ses difficultés que Tracy parle. Et ce n’est pas la dénonciation en elle-même qui est salvatrice mais la confrontation qui oppose les deux personnages lors des fiançailles ratées entre Adam et son compagnon, Harry. Par son aveu, à la fin de l’épisode 5, Tracy fait surgir avec sagesse ce que finalement plus personne ne semble voir, cette violence infligée aux corps des femmes, opérées sans leur consentement. Elle articule très précisément les violations éthiques dont Adam est fautif : « Vous avez agressé une patiente. C’est de cela dont il s’agit lorsque vous découpez le tatouage d’une personne, c’est une agression (…) Et vous avez intimidé Erika pour qu’elle retire sa plainte. La cerise sur un immense gâteau de merde. Vous êtes arrogant, malhonnête et arrogant. Tout vous est dû. Vous vous croyez plus malin que tout le monde et cela vous rend dangereux. Comment pourrais-je vous confier mes patientes ? » Au-delà de l’assignation genrée de l’attention à l’autre, incarnée par Tracy, le public peut espérer que celle-ci soit parvenue par la puissance de son discours, mais aussi par l’exemplarité de sa conduite et sa bienveillance, à opérer une prise de conscience chez le protagoniste. C’est d’ailleurs l’un des rares personnages qui semble prendre à cœur à la fois sa vie professionnelle et sa vie de famille, à être présente pour ses collègues, ses patientes et sa fille. La mise en parallèle du début d’une journée de quatre des personnages, Adam, Nigel Lockhart, Shruti et Tracy, dans la séquence d’ouverture du 4ème épisode, nous permet de voir l’équilibre qu’arrive à construire la sage-femme.

A plusieurs reprises, This is Going to Hurt laisse à penser que le récit pourrait prendre une dimension collective en donnant plus d’amplitude à certains personnages comme Tracy ou Shruti. Mais elles ne sont finalement que des porte-parole œuvrant à cartographier les difficultés liées à l’exercice des différents métiers des personnels de santé. L’intervention de Tracy n’était donc qu’un éclairage, éblouissant certes, un argumentaire brillant qui ne modifie pas notablement le discours de la série. Jusqu’au dénouement, la focalisation demeure sur le médecin, à travers le personnage principal qui ne semble jamais éprouver le moindre remords et sans que soient prises en compte les souffrances infligées aux patientes.
Les violences obstétricales, mêmes si elles ne sont jamais nommées comme telles, seulement visibles, sont présentées comme le résultat de l’épuisement professionnel dont sont victimes les médecins. Adam Kay, qu’il soit personnage, narrateur, showrunner, ne semble pas parvenir à remettre en cause les fondements même d’un système de santé patriarcal. Un système au sein duquel les actes médicaux sont encensés, les femmes dépossédées de leurs corps, mais les soins – les paroles, les gestes, les temps d’écoute – toujours plus appauvris par un fonctionnement néo-libéral visant toujours plus de productivité.


générique


Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.