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Coralie Fargeat

The Substance / 2024


par Anna Vezien / jeudi 7 novembre 2024

Une vision manichéenne du vieillissement féminin

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The Substance est sorti le 20 septembre aux Etats-Unis et en Angleterre et en France le 6 novembre. Il a remporté le prix du meilleur scénario au festival de Cannes 2024.

Ce film veut dénoncer l’invisibilisation des femmes quinquagénaires en mettant en scène les complexes d’une femme liés au vieillissement. Le film s’appuie sur un genre peu légitime jusqu’ici pour le jury du festival de Cannes : le body horror, déclinaison du genre de l’horreur qui met en scène des corps mutilés pour provoquer du dégoût. Coralie Fargeat utilise ce genre pour nous confronter à la question des corps féminins vieillissants. Mais au fil du film, on s’interroge sur ce qui choque : la toute-puissance du corps féminin jeune et sexy ou la vieillesse mal-vécue par des femmes ?

L’histoire : désormais considérée comme trop vieille pour animer son show télévisé de fitness, Elisabeth Sparkle (Demi Moore), est licenciée le jour de ses 50 ans. Elle animait l’émission d’aérobic depuis longtemps après une carrière dans le cinéma. Désormais, elle reste dans son appartement chic et impersonnel, avec comme seules activités s’habiller, regarder la télé et lire le journal. Son existence semble vide : pas de relations sociales, pas de loisirs, après une vie autrefois remplie par le travail et ce plaisir d’être reconnue par tous comme une star. Face à cette situation, le producteur de l’émission (Dennis Quaid) apparaît comme un type obséquieux, répugnant et vénal. Les actionnaires sont présentés comme un groupe d’hommes homogènes, avides de jeunesse et de beauté. Ces personnages sont utilisés en toile de fond pour critiquer le système de production télévisuel. Mais ce n’est pas le sujet du film.

Le film raconte l’histoire de cette animatrice qui compense la perte de sa jeunesse par un dédoublement de son ADN grâce à « la substance ». Elle donne naissance à un double d’elle, nommée « Sue » et jouée par Margaret Qualley, qui vit à sa place une semaine sur deux. Sue, cette autre version d’elle-même, jeune et belle, prendra sa place dans l’émission qu’elle vient de quitter et deviendra la star sexy qui fait exploser l’audimat, attire les hommes et s’impose dans le marché de la séduction. Tout cela à grands coups de plans « male gaze » exagérés pour dégoûter les spectateurices de ces canons de beauté : nous montrer des fesses jusqu’à l’écoeurement. Mais finalement, on s’ennuie de cette mise en scène ultra-esthétisée qui perd son ton sarcastique à mesure que le film avance. Le double d’Elisabeth, Sue, devient maléfique, hait de plus en plus sa matrice qui vieillit davantage lorsqu’est repoussé le moment où les personnages doivent commuter. Car échanger leur corps chaque semaine est nécessaire pour permettre aux deux femmes de survivre. La haine de soi d’Elisabeth est nourrie par une dégradation de son physique, elle poursuit son autodestruction et vit par procuration à travers son double. Elle est donc socialement morte et la seule personne qui lui fait un compliment, est un ancien camarade d’école qui lui confie maladroitement son numéro sur un bout de papier trempé de boue.

Le piège s’est refermé sur elle et, n’ayant pu faire le deuil de son succès, elle n’a plus que cet amour-haine de ce double maléfique qui méprise son corps, ses vêtements, son existence même. Ce double, c’est la figure d’une jeunesse comme objet d’exploitation commerciale à la télévision mais aussi l’objet du désir supposé de tout homme. C’est donc à la fois l’idéal perdu d’Elisabeth Sparkle et le regard masculin intériorisé par les femmes, ou ce que les femmes pensent que les hommes désirent et le point de départ à partir duquel elles s’évaluent.

Attention, à partir de là, risque de divulgâcher !

Le scénario est coincé dans cette binarité : le portrait cynique d’une vieille femme pathétique et déprimée face à une jeune femme sexy et heureuse. Coralie Fargeat fait s’entretuer ses héroïnes, intrinsèquement liées par « la Substance » : Sue va finir par tuer sa matrice, ce qui va irrémédiablement la tuer également car leurs vies sont interdépendantes. Les personnages sont volontairement la métaphore du piège que la société tend aux femmes.

Mais le film ne se termine pas là : lorsque Sue s’aperçoit qu’elle va mourir, elle tente de réutiliser la substance. Les deux héroïnes laissent alors place à un monstre, ersatz de leur ADN, qui se présente face aux caméras de l’émission pour laquelle elles ont toutes deux travaillé. C’est absurde bien sûr mais il fallait une solution pour éviter une morale cynique de type « les jeunes femmes veulent prendre le pouvoir sur les femmes âgées », ou une chute dans laquelle les femmes s’entretuent dans une guerre pour être l’incarnation cliché du fantasme masculin.

C’est un film de body horror sur une femme qui ne supporte pas de vieillir et qui est victime d’elle-même. Mais à aucun moment Coralie Fargeat ne sort du regard masculin intériorisé par son personnage, à aucun moment la version jeune d’elle-même ne subit la violence de la domination masculine. Car si le film critique la façon dont la société traite les femmes d’âge mûr, il passe à côté du continuum : être jeune et belle c’est aussi être surexposée aux violences sexistes et sexuelles. Il manque au film un female gaze : montrer que les femmes se débattent entre l’affirmation de soi et le regard masculin intériorisé et sans cesse réaffirmé par la société.

En fait, Coralie Fargeat n’a donné aucune chance à son scénario pour qu’il nous raconte quelque chose d’intéressant sur l’âgisme, qui fait disparaître les femmes passées un certain âge, sur leur déclassement social. La mise en scène de ce féminin pathétique laisse un goût amer et ennuyeux, un constat qui produit simplement une envie de se dire qu’en tant que femme « on ne veut pas finir comme ça ».
Mais c’est insuffisant pour une réalisatrice qui prétend dénoncer le regard perpétuellement chosifiant et sexualisé des hommes sur les femmes. Ça ne fonctionne pas puisqu’il ne se passe rien entre les spectateurices et l’héroïne, à part un regard condescendant pour la femme âgée et un regard envieux pour la jeune femme.

La réception du film à Cannes a été bonne : celle d’un public qui apprécie désormais le film d’horreur, passé d’un genre de seconde zone à du cinéma d’auteur depuis Titane de Julia Ducournau, Palme d’or en 2021. Dommage que sous prétexte de film d’horreur, on ne juge plus utile de s’interroger sur l’utilisation de la violence. Seul Théo Ribeton dans Les Inrockuptibles souligne la gratuité de l’esthétique du film et de la violence. Coralie Fargeat qui avait réalisé Revenge en 2017, versait déjà dans une esthétique lisse et surfaite, avec une mise en scène trop caricaturale pour vraiment critiquer les rapports sociaux de sexe.

Pourtant, le genre de l’horreur peut être un puissant outil de retournement du male gaze. Mais le film ne choque pas, le côté gore nous laisse indifférent·e à la violence et passif/ve face à sa mise en scène. Le film souffre d’une fausse radicalité esthétique et politique.


générique


Polémiquons.

  • Aaah MERCI !!!

    Je viens de voir ce film et je l’ai trouvé tellement vide politiquement ??! C’est exactement ça : le scénario s’identifie grossièrement à sa thèse (au demeurant pas subtile) et les personnages n’existent que pour l’illustrer à l’extrême, mais le seul ressort de la critique est l’hyperbole.. Aucune subversion (sauf à la limite à la toute fin). J’ai été mal à l’aise face à l’hypersexualisation de Margaret Qualley... En montrant à outrance ce que le film soi-disant reproche au cinéma... Il reproduit ce schéma ??? et le vend !? littéralement. La beauté érotisée de Qualley est un argument de vente de ce film. C’est flagrant et gênant. L’actrice a d’ailleurs eu beaucoup de mal à filmer ces scènes de danse grotesquement érotisée et raconte avoir eu un breakdown en répétition et ressenti de la honte, et n’avoir réussi à les tourner que sous les effets d’un combo weed-tequila... D’autant plus malaisant quand le film s’attarde sur le regard (masculin) du réalisateur de l’émission sur le replay image par image de la fesse de l’actrice, faisant mine de dresser une critique de ce regard invasif et objectifiant. Mais tu comprends nous c’est pas pareil parce que c’est une femme qui réalise uwu.

    La scène où Moore a un rencard avec son ami de lycée et finit par ne pas y aller car obnubilée par l’idée qu’elle ne peut être désirable à son âge aurait dû être poignante... Au lieu de ça les personnages sont tellement schématiques que je ne ressentais que de l’agacement. Difficile de s’émouvoir pour quelqu’un qui n’a jusque là été montré que comme une ex-star narcissique sur le déclin sans amies, sans hobby, sans personnalité. De plus la thèse du film est si transparente qu’il n’y a aucun suspense. Elizabeth n’a qu’un trait de caractère et le film ne s’intéresse à elle que pour illustrer strictement un message ultra basique qui ne l’a pas attendu pour être un lieu commun. le fait qu’elle renonce au rdv a donc un côté mécanique, cela semble moins le fruit d’un conflit intérieur qu’une nécessité scénaristique prédéterminée.

    En fait le film épouse complètement le jugement négatif de Élizabeth sur son corps vieillissant, même s’il prétend en rendre responsable le manager dégueu. C’est à peine malhonnête, Coralie.

    Pareil le côté où la violence patriarcale s’exerce unilatéralement sur le femmes âgées ?! trop chelou. Qualley a l’air d’incarner un trope masculiniste selon lequel les femmes jolies n’ont jamais aucun mérite car cest uniquement leur beauté et/ou leur sexualité qui leur ouvre des portes. Là encore le film est trop schématique pour laisser la moindre place à la complexité du monde réel, au point que Qualley semble bizarrement invulnérable.

    Jai regretté que le film ne prenne pas le parti de représenter des dynamiques économiques quitte à parler d’Hollywood et s’inspirer de la carrière de Jane Fonda : si le choix de Élizabeth répondait à un calcul économique alors le sujet devenait immédiatement plus ancré dans des réalités matérielles plutôt que dans une psychopathologie du narcissisme à 2 balles.

    Le final cathartique est drôle et en vrai assez malin, c’est un exercice de style sur l’étymologie du mot "monstre" (celui/celle qu’on montre) et une sorte de rape-revenge où le sang répond aux spots et caméras phallocratiques qui exigent et construisent la "perfection" plastique. là aussi je dirais pas que cest profond comme observation mais au moins ça ne se prend pas tant au sérieux, de même que le plan de fin, énième réitération de la thèse et presque une auto-parodie du film entier. Rigolo/poussif.

    C’est juste ridicule que ce film ait reçu "meilleur scénario". Meilleurs effets spéciaux, ça serait mérité. (Mais je crois pas que Cannes ait un prix pour ça) mais scénario ?!! En fait Cannes devrait peut-être laisser l’horreur aux festivals d’horreur. Parce que quand ils décernent "meilleur scénario" à The Substance ça se voit qu’ils n’y connaissent rien et ont une vision du genre comme si l’horreur était par essence tout dans la sensation et rien dans la réflexion. Bullshit. Il y a des films d’horreur bcp plus intelligents tout le temps. Récemment et dans des thèmes comparables il y a eu l’incroyable The Devil’s Bath, Men et oui, Titane dont la récompense est bien plus méritée malgré des réserves là aussi (la critique sur ce site est excellente). Cronenberg et Lynch dont Fargeat se réclame et qu’elle "cite" largement dans ce film sont bcp plus ambigus tant dans leur approche de l’horreur que dans leurs films sur la violence hollywoodienne (Maps To The Stars, Mulholland Drive). Le body horror féminin a même une longue tradition de personnages complexes et magnétiques : Jennifer’s Body, La Nuée, Under The Skin, Audition, Black Swan, Grave, Ginger Snaps, À L’Intérieur... Je me limite à ceux que jai vu, et sans forcément les recommander spécialement. L’horreur fait souvent la part belle aux angoisses féminines et propose des discours souvent bien plus riches et potentiellement plus féministes quel que soit le genre du/de la réal (c’est le moment de se souvenir que l’obsession française pour la figure de l’auteur, dénoncée implacablement par Geneviève Sellier ici même et dans son livre récent laisse dans l’ombre l’importance créative des actrices entre autres. Certes on manque encore cruellement de réalisatrices mais cest pas pcq une femme signe un film et se réclame du féminisme qu’on doit perdre tout regard critique. Si un homme avait réalisé ce film la critique ne serait elle pas, à juste titre, à peine plus circonspecte ??)

    Dernière remarque, Fargeat cite Haneke parmis ses reals préférés. Dommage qu’elle n’adhère apparemment pas à sa réflexion importante sur le contrat implicite et amoral entre un réalisateur qui vend de la pulsion de violence érotisée enrobée de justification moralisante et le spectateur-voyeur-complice. Haneke a bien compris pour sa part que le cinéma peut bien "dire" ce qu’il veut, son vrai discours est toujours dans ce qu’il montre, et qu’il n’y a pas de 2nd degré dans une image. Une énième preuve en a été apportée lorsque Musk a prouvé avoir mieux compris Starship Troopers que Verhoeven lui même en s’identifiant dans un tweet récent à un caporal de l’armée impérialiste américaine qui torture victorieusement l’insectoïde indigène vaincu. Soi disant c’était une critique subtile du fascisme. Oups.

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