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Paul Westmoreland / 2018

Colette


>> Geneviève Sellier / lundi 21 janvier 2019


« Rien ne pétille dans ce Colette académique où le Paris artistique et mondain de l’époque semble triste à mourir, et dans lequel les personnages apparaissent comme les fantômes de ceux (épicuriens et sensuels) qu’ils incarnent. » (bon exemple de la façon dont la critique cinéphile évacue ce dont parlent les films, ici une histoire d’émancipation féminine, et le fait que cet article qui descend un film féministe soit écrit par une femme est la cerise française sur le gâteau !)

Comme souvent, Le Monde (ici sous la plume de Véronique Cauhapé) gagne le pompon de la condescendance vis-à-vis d’un film (américano-britannique indépendant) qui ose faire d’un biopic sur une de nos plus grandes écrivaines, une œuvre ouvertement féministe ! À son époque (1999), le biopic féministe de Diane Kurys sur la liaison entre George Sand et Musset, Les Enfants du siècle, avait également été descendu en flammes. Il faut reconnaître à nos critiques cinéphiles une capacité remarquable à résister à la vague de fond féministe qui s’est concrétisée récemment dans le mouvement #MeToo.

Non que ce Colette soit le chef-d’œuvre du siècle, mais il a le mérite de rendre accessible à un large public l’histoire complexe de l’émancipation intellectuelle, sexuelle et économique d’une jeune provinciale à la Belle Époque, et par là-même d’inciter à lire ou à relire l’œuvre remarquable (et sous-estimée en France [1]) de l’écrivaine, même si le film ne raconte que ses années d’apprentissage littéraire, jusqu’à sa séparation d’avec son premier mari, Willy.

Et bien entendu, comme tous les films « historiques », il traite d’un sujet contemporain (l’émancipation des femmes) dans des termes contemporains.

Pour autant, il échappe à la caricature grâce l’interprétation complexe qu’il donne des rapports entre la jeune Gabrielle Colette, fille de la petite bourgeoisie bourguignonne rurale, incarnée par Keira Knightley, et son premier mari, le critique musical et littérateur parisien libertin de quatorze ans son aîné, Henry Gauthier-Villars, dit Willy (Dominique West). Willy l’épouse en 1893 alors qu’il a trente-cinq ans et qu’elle en a vingt. Ils divorceront treize ans plus tard.

Le film a été écrit et réalisé par un Américain d’origine britannique – Paul Westmoreland, sur un scénario co-écrit avec son compagnon, Richard Glatzer (décédé en 2015) et avec Rebecca Lenkiewics. Autant dire que c’est un projet de longue haleine, qui a une dimension militante, autant du côté des réalisateurs-scénaristes que de l’actrice britannique, Keira Knighley, qui justifie le tournage en anglais par le désir de faire connaître l’œuvre de Colette au public anglophone. On remarque d’ailleurs que toutes les traces manuscrites sont en français dans le film, façon de rappeler la nationalité de l’écrivaine.

Pour ma part, je ferai deux réserves : d’une part le physique de l’actrice britannique : comme la plupart des actrices contemporaines, elle est d’une minceur qui confine à la maigreur et qui devient gênante pour incarner les rondeurs sensuelles que suggèrent les photos de Colette et son style littéraire. D’autre part, le film fait l’impasse sur l’enfance de Colette, qui est une clé de son talent : éduquée avec amour par une mère féministe et athée, elle lit très tôt les grands classiques et apprend à observer la nature [2]. Dans le film, sa mère est clairement son alliée mais sa présence est trop périphérique pour qu’on comprenne vraiment son rôle.

En revanche le film utilise le talent de Dominique West (qui est surtout connu pour ses rôles dans de remarquables séries américaine, The Wire, et britanniques, The Hour et The Affair), qui donne au personnage de Willy une véritable épaisseur psychologique et historique : prolifique littérateur exploitant des « nègres » (dont sa femme), il est représentatif du développement d’une production culturelle orientée vers la rentabilité, mais aussi d’un type social d’homme à femmes qui dépense plus qu’il ne gagne, et vit d’expédients et de l’exploitation d’hommes (et de femmes) de lettres en situation dominée. Il est à la fois celui qui fait éclore le talent littéraire de Colette mais celui qui l’a exploitée de la manière la plus cynique (l’enfermant pour la forcer à écrire quand il a besoin d’argent, pour publier ses manuscrits sous son nom à lui, vendant ensuite à l’éditeur tous les droits des « Claudine » dans son dos, ce qu’elle ne lui pardonnera pas).

Sur le plan des relations amoureuses et sexuelles, ce sont les mêmes contradictions que le film tente de décrire, dans ce milieu parisien artistique et mondain et à cette époque permissive, où la loi continue à favoriser la domination patriarcale. Willy, plus ou moins complice et contraint, permet à sa jeune femme de faire des rencontres qui lui révèlent sa bisexualité et l’aideront à s’émanciper (on apprécie le portrait empathique de ces relations avec Mathilde de Morny, dite Missy).

On s’étonne de n’avoir jamais vu de film français sur l’une de nos plus grandes écrivaines… À ma connaissance, la seule production notable est le téléfilm en deux parties, Colette une femme libre, réalisé par Nadine Trintignant en 2004, où Colette était incarnée par sa fille Marie, qui se montrait d’une timidité regrettable pour traiter des relations amoureuses de Colette avec les femmes.

La vie extraordinaire de Colette après son divorce avec Willy, quand elle prend son envol, tant sur le plan social et sexuel que sur le plan artistique et littéraire, recèle pourtant des richesses qui mériteraient bien d’autres explorations cinématographiques…



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